4 Une des plus grandes crises pour l'honneur, c'est d'être placés entre d'austères principes et le besoin, entre la faim et la délicatesse : voilà pourquoi il serait à désirer que ceux qui se dévouent à exercer une profession dont T'honneur est le premier fruit, où l'on doit attendre la reconnaissance sans jamais la solliciter, eussent au moins le nécessaire. Mais, d'un autre côté, si l'on écartait des jeunes gens qui se présentent sans fortune pour suivre une carrière ouverte à l'éloquence, on risquerait d'en éloigner le véritable talent. On n'a que trop souvent l'occasion de remarquer que l'aisance assoupit les facultés morales de l'homme, et le fixe dans la médiocrité, tandis que l'amour de la gloire le tient éveillé, Jui inspire un noble dédain pour la fortune, et réduit presque à rien ses besoins. Si les sentimens de la confraternité existaient réellement, peut-être y aurait-il moins d'inégalité entre les facultés pécuniaires; peut-être le travail serait-il plus également réparti: on s'enquerrait davantage des causes de la mélancolie qui consume un jeune confrère, lorsqu'il voit ses belles années s'écouler dans l'obscurité ou l'indigence. Au lieu de l'humilier en faisant retentir ses succès, en étalant à ses yeux des occupations multipliées, on irait à son secours, on lui fournirait les moyens de tirer sa substance du travail dont on le chargerait. La reconnaissance formerait alors un lien de plus: mais pour s'obliger réciproquement, il faut se connaître; et dans une grande ville où les membres d'un même corps sont épars, ils n'ont pas toujours l'occasion de se rapprocher. Il serait donc avantageux d'établir des points de réunion où ils pussent se communiquer leurs idées, s'inspirer mutuellement de l'intérêt par le rapport de leurs idées et de leurs goûts. L'ordre des avocats semble séparé en trois divisions: la première, qui est celle des consultans, voit rarement celle qui s'adonne à la plaidoirie; la troisième, occupée à composer des écritures ou des mémoires, s'ensevelit TOME XXVI. dans des cabinets, et y demeure presque inconnue aux deux autres. Comment pourraient exister parmi des hommes ainsi séparés par le genre de leurs occupations, cette confiance, cette intimité, et surtout cette disposition à s'entr'aider qui écarte les besoins particuliers, et fait le bonheur et la force de tous? Tant qu'il n'y aura point de rapprochemens, il n'y aura pas de véritable confraternité, et alors point d'indulgence pour les fautes légères; point de secours mutuel contre l'injustice. L'égoïsme isolant tous les individus dans les affaires publiques, chacun cherchera à rendre sa condition meilleure, sans s'embarrasser du sort des autres, comme cela est arrivé en 1770. De tout temps, l'ordre des avocats a été en possession d'exercer sa discipline sur ses membres; il a toujours eu le droit de les réprimander, de les suspendre, et même de les exclure: cependant, en 1775, la Radiation d'un homme célèbre qui a appelé à lui l'intérêt public et a fait retentir la grand'chambre de ses plaintes, a répandu pendant quelques instans des doutes sur un pouvoir qui depuis a été reconnu et confirmé solennellement par le parlement, dont l'arrêt, rendu à ce sujet (1) écartera à jamais tout avocat qui serait tenté de se soustraire à l'empire de son ordre. Plus l'homme est censé tenir à l'état qu'il a embrassé par choix, et auquel sont attachées son existence et sa considération, plus il doit trouver de moyens de se garantir des effets de la haine ou de la prévention. Aussi a-t-il été arrêté que l'avocat rayé par cette chambre qu'on nomme la députation, et qui est instituée afin de recevoir les dénonciations, entretenir une police toujours active, admettre ou rejeter les jeunes gens qui se présentent pour être inscrits sur le tableau, devait jouir de la faculté d'appeler de son jugement à l'ordre assemblé. Placé au milieu de ses pairs, c'est à lui à se disculper, s'il le peut, des chefs d'accusation élevés contre lui. Ce qui prouve la sagesse de ce réglement, c'est que la plupart des avocats qui ont eu recours à l'autorité de leur confrères convoqués pour les juger souverainement, (1) Le 29 mars 1775, le parlement déclara M. Linguet non-recevable, tant dans son opposition à l'arrêt du 5 février précédent, qui avait confirmé sa Radiation, que dans les demandes portées dans ses requêtes; ordonna que ces requêtes seraient biffées, et fit défenses à tout procureur d'en signer à l'avenir de semblable, et à tout huissier de les signifier, à peine d'interdiction. 48 . ont été rétablis dans leurs fonctions par l'ordre dont la présence suspendait les pouvoirs de ses députés. Il est bien à désirer que ceux-ci, usant tou jours avec sagesse et modération du pouvoir qui leur est confié, n'exposent point légèrement un homme honnête et délicat à l'humiliation de se présenter à ses confrères sous les apparences d'un homme déjà jugé indigne de rester parmi eux. Il en est plus d'un qui préféreraient de faire en silence le sacrifice de leur état, plutôt que de dévorer cette honte: moins l'ordre entier s'assemble, plus il était nécessaire que ceux qui le représentent, portassent son véritable vœu et ses vraies intentions. Il existait un abus très-contraire à ce point important, et qui vient heureusement d'être réformé par la nouvelle distribution de l'ordre, actuellement divisé en colonnes égales, au lieu d'être partagé en bancs inégaux. Au moyen de ce changement, les députés sont les représentans d'un même nombre d'individus; ils portent à la chambre de la députation la même quantité de suffrages, et peuvent conséquemment faire connaître le vœu général de l'ordre; au lieu qu'autrefois on ne connaissait que le vœu général des bancs. Comme il y a une très grande distance entre les égaremens de l'imagination et les fautes qui proviennent de l'altération des sentimens, il ne serait pas juste de punir de la même peine tous ceux qui ont élevé contre eux quelques sujets de plainte: aussi, dans plusieurs cas, se contente-t-on de réprimander avec plus ou moins de sévérité, ou de suspendre pour un temps plus ou moins long, l'avocat qui s'est écarté de ses devoirs. La Radiation est réservée pour ceux qui se sont déshonorés euxmêmes par leurs actions, ou qui l'ont été par des jugemens publics. L'ordre des avocats n'est pas le seul corps auquel le parlement ait reconnu le droit de se séparer d'un membre indigne de lui rester attaché. Nous avons vu, en 1777, la faculté de médecine bannir de son sein un de ses docteurs, auquel elle reprochait, non-seulement d'avoir annoncé au public la découverte d'un préser. vatif contre cette maladie qui se cache sous l'attrait des plaisirs, mais d'avoir fait luimême l'épreuve de ce remède sous les regards de plusieurs spectateurs. Le médecin rayé appela des décrets de la faculté, et prétendit que tout son crime était de s'être occupé d'étouffer jusque dans sa racine un mal destructeur de l'espèce humaine. La faculté soutint que l'appelant avait blessé les mœurs ; qu'il avait contrevenu aux réglemens de la faculté, en s'annonçant pour être le distributeur d'un remède secret, et qu'elle avait justement usé du pouvoir qu'elle avait d'exclure un membre déshonoré à ses yeux. Le parlement confirma, par arrêt du 13 août 1777, les décrets de la faculté de médecine, par lesquels il était ordonné que le nom du sieur Guilbert de Préval serait rayé du catalogue des docteurs de ladite faculté, et fait défense audit Préval de vendre aucun remède par lui-même. Depuis ce moment, le sieur de Préval n'a plus vu son nom sur la liste des médecins. La même faculté a, par arrêt du mois d'avril 1781, fait juger contre M. le procureur général, qu'en déposant ses décrets au greffe de la cour, elle ne pourrait pas être tenue d'en déclarer les motifs. La difficulté qu'on avait d'abord paru faire de reconnaître le droit que les avocats ont de suspendre ou de cesser toute communication avec celui d'entre eux qu'ils ont jugé avoir mérité cette peine, a déterminé un avocat très-estimé (1) à discuter et approfondir cette question vraiment importante. Il est difficile de rien dire de plus sage que ce qui se trouve dans l'écrit qu'il publia sous le titre de la Censure. <<< S'il existe (dit l'auteur de cet écrit) un corps particulier dont les caractères soient tels, que la censure y soit exercée avec fruit, non-seulement laissez-lui, sans jalousie, son utile discipline, mais encouragez l'honneur à proportion qu'il est plus rare. (1) [[ Cet avocat était M. Target, qui depuis a occupé dans la cour de cassation un rang si distingué. Voici comment en parle M. le premier président Muraire, dans le bel éloge qu'il a prononcé de ce magistrat, à l'audience du 31 août 1807: * En 1775, une grande question était agitée devant le parlement de Paris; un avocat qui avait été rayé du tableau, contestait à l'ordre le droit et l'exercice de la censure sur ses membres. >> M. Target sentit combien cette insurrection pouvait être dangereuse, en atténuant parmi les avocats la puissance de l'opinion, en rendant moins nécessaire entre eux le besoin d'une estime réciproque, en détruisant cette juridiction intérieure et morale, en brisant ce ressort magique qui avait formé et perpétué depuis des siècles cette tradition constante et pure d'honneur et de principes qui distinguait si éminemment le barreau français. Jaloux de la dignité et de l'indépendance de sa profession, il écrivit pour les soutenir, pour les défendre; et ce fut en cette occasion qu'il publia un ouvrage intitulé la Censure, ouvrage plein de raison et d'esprit, de vérité et de sentiment, de force et de délicatesse, que je regrette de ne pouvoir mettre tout entier sous vos yeux ».]] >> Par exemple, je suppose un corps de citoyens voués à des fonctions utiles et honorables; un corps dans lequel il faille des lumières et de la probité, où le travail soit payé par l'honneur, et rapporte peu d'argent, où de laborieuses veilles et des études fatigantes ne puissent être adoucies que par le sentiment intérieur d'une considération méritée; je suppose un corps qui n'existe que par la confiance publique, dont les membres soient dans une relation continuelle, entre tenue de même par une confiance réciproque; je suppose un corps dans lequel chacun soit, sous la foi publique, dépositaire des plus grands intérêts, des titres les plus précieux, des secrets les plus importans, de la vie, de l'honneur et de la fortune des citoyens; dans lequel une fraternité mutuelle établisse des communications nécessaires, des confidences sans précaution, des rapports indispensables et multipliés; où le ministère habituel soit de s'attaquer sans animosité, de se ménager sans prévarication, de se pénétrer des intérêts des autres; sans s'abandonner à leurs emportemens; de juger froidement ce qu'il faut défendre avec chaleur; d'interposer un zèle éclairé, une raison active entre les passions et la justice; de nourrir une concorde mutuelle au sein des combats journaliers; d'être enfin toujours rivaux, jamais ennemis; toujours zélés, jamais colères; toujours sages, jamais défians: un tel corps, s'il existait, aurait, si je ne me trompe, des caractères particuliers qu'il faudrait bien se garder de confondre avec ceux des autres corps. >> Si l'honneur lui était cher, il faudrait l'en combler; s'il allait jusqu'à la fierté, il faudrait la relever encore; s'il aimait la liberté, il faudrait rompre toutes chaînes; s'il était libre, il faudrait le rassurer contre toute entreprise. Quand ses prétentions auraient quelque chose de chimérique, c'est une belle chimère que celle qui conduit à l'honneur; elle ne peut blesser que l'orgueil; et comme elle n'est pas nuisible, elle est toujours salutaire; il entre nécessairement dans la constitution d'un tel corps, d'avoir la censure de ses membres: comme citoyens, ils sont soumis à toutes les lois de l'Etat; comme membres du corps, ils ne doivent dépendre que de sa police. Tout est confiance dans leurs fonctions; la confiance publique leur apporte des secrets, des titres, des actes originaux, des intérêts de tous genres, auxquels est attaché souvent le sort de la vie de ceux qui les approchent; la confiance mutuelle établit entre eux une communication qui n'a que l'honneur seul pour garant. La paix, la concorde et la considération réciproque doivent cimenter leurs relations nécessaires. Eux seuls peuvent s'inspecter les uns les autres, se connaître, se suivre dans les moindres détails, prononcer sur le plus ou moins de délicatesse de leur conduite. Dans un corps ainsi composé, le rapport entre les membres doit être dégagé de toute inquiétude, de toute alarme, de tout soupçon d'infidélité ou de turbulence. Aux yeux de l'honneur, une tache sur un seul membre doit être la tache du corps entier; les vertus y sont solidaires; les fautes sont communes, s'il ne les réprime pas; en un mot, nulle autre compagnie n'est plus essentiellement disposée à rendre nécessaire le droit de censure. En tout ce qui ne tient pas à la fonetion qui les distingue, ils ne sont que citoyens; en tout ce qui intéresse cette fonction, ils sont soumis à la discipline du corps. Le corps doit avoir le droit de les admettre, de les avertir, de les réprimander, de les exclure. >> Si cette censure est nécessaire, les moyens par lesquels elle s'exerce ne le sont pas moins. C'est sur le caractère, le génie, la délicatesse, la conduite entière, qu'elle doit s'exercer, c'est la personne qui est soumise à l'opinion : il n'y a point d'instruction possible, si ce n'est celle que se prescrivent l'honneur et la probité. C'est l'ensemble des faits qui dirige l'opinion, ce n'est souvent aueun acte parti. culier; la censure a tous les caractères de l'estime; elle est libre, elle est sévère, elle est un résultat d'impressions successives; rarement, au milieu de la vie, un seul acte la fait naître ou mourir. >> Si ce corps présente de temps en temps au public la liste des membres qui le compo. sent, elle n'est et ne peut être autre chose que la liste d'un certain nombre d'hommes qui ont l'un pour l'autre une confiance mutuelle, et que le corps présente à la société comme étant dignes de la sienne. En la publiant, le corps semble dire aux citoyens : Ne craignez rien; portez vos droits à soutenir, vos intérêts à ménager, vos secrets à garder, vos titres à faire valoir, votre confiance pleine et sans réserve, dans les demeures de ces hommes laborieux et purs qui se sont consacrés au soin pénible de votre défense; ils méritent d'être abordés sans inquiétude, et de devenir les dépositaires de vos pensées les plus intimes. Quelque soit l'adversaire qu'on vous oppose, on le choisira dans cette liste. Ce sera un noble ennemi qui ne confondra point la violence avec le zèle, les injures avec l'énergie, l'astuce avec une adresse légitime, le fiel et l'amertume avec la force et la vigueur. Cette fraternité, que vos démêlés ne doivent point éteindre, rapprochera les deux champions; vos titres passeront des mains qui les tiennent dans celles qui doivent vous combattre; ils y passeront sans aucune autre précaution que la bonne foi et la droiture. Mais ne tremblez pas; l'honneur se nourrit par la confiance; c'est un gage plus assuré que toutes les signatures; et depuis cinq cents ans, grâce à notre vigilance, il n'a jamais trompé personne. Un seul exemple connu a été suivi d'une justice rapide, et la réparation ne s'est pas fait attendre. Votre abandon sans réserve sera payé de la même générosité. Vous serez maîtres de donner ou de refuser des marques de reconnaissance; et si vous êtes assez injustes pour oublier les services rendus par le zèle, jamais votre injustice ne retentira dans les tribunaux ni aux oreilles du public. Voilà les lois de la confédération que nous avons formée pour le triomphe de la vérité et de la justice. >> C'est par l'honneur que se maintient l'honneur. Tout ce qui blesse la délicatesse, est un crime à nos yeux; ce qui est permis aux autres ordres de citoyens, doit être interdit à celui-ci. Signer une lettre de change, prendre une procuration, gérer des affaires, exiger de l'argent, sont choses permises, mais qui engendrent des tentations périlleuses, et mettent dans la dépendance une âme qui ne doit dépendre que de l'honneur et de son devoir. Nous les regardons comme des fautes graves; et ceux à qui cette sévérité paraîtra excessive ou ridicule, ne savent pas que, si la loi retient avec des chaines, c'est avec des fils que l'honneur gouverne les hommes; et que telle est la différence des moyens qu'emploient les jugemens et la censure. >> S'il faut que la censure s'astreigne à des formes prescrites et exige des preuves rigoureuses; si le corps qui l'exerce n'est pas libre dans sa police comme fut libre dans le choix de son état celui qui s'y fit adopter, il n'y a plus de censure; le corps ne sera pas plus pur que le siècle; les membres ne craindront plus que la loi: s'ils ne sont pas criminels, ils seront assez vertueux; les bassesses ou les violences aviliront ou agiteront l'association; on se croira fort en répandant le fiel conta. gieux, en affectant l'audace adroite, en se permettant le mensonge; intelligent, en préférant le riche, l'homme en crédit ou à la mode; sage, en mettant la confiance à contribution, en vendant les fureurs, en se faisant un patrimoine des passions les plus viles: le goût du luxe, du faste, des fantaisies, pénétrera dans les âmes avides et corrompues; le corps sera divisé en sujets flétris par la misère ou dépravés par la cupidité; la gloire ne sera plus que l'orgueil; et un mépris trop juste humiliera, sans corriger, des hommes à qui, comme à tant d'autres, la chimère de l'honneur ne paraîtra plus que ridicule » (1). Ce que nous venons de citer de cet excellent ouvrage, nous dispense de réponse à plusieurs objections qui ont été faites par des gens du monde et même par des magistrats, sur l'abus d'un pouvoir qui, au premier coup d'œil, peut paraître arbitraire. Les avocats auront toujours une considération particulière à faire valoir en faveur de l'exercice de leur discipline. Lorsqu'un d'eux est inscrit sur le tableau, il ne tient son admission que de ses confrères; on n'exige de celui qui se présente, que la durée d'un stage et le suffrage de ceux qui le connaissent. Dans les autres corps, au contraire, ceux qui le composent, n'y ont été agrégés qu'après avoir ou donné une finance, ou obtenu des lettres du prince. L'existence de l'avocat ne reposant que sur l'estime de ses confrères, une fois qu'il a eu le malheur de la perdre, il ne doit pas se plaindre que son état croule, puisqu'il en a lui-même brisé la base. Mais, dira-t-on, celui qui aura blessé les yeux de la jalousie par des talens transcendans, en marchant d'un pas rapide à la céléDri brité, et en attirant vers lui la foule des cliens, pourra donc être immolé sans défense par l'envie! Il ne tiendra donc qu'à d'obscurs rivaux d'abreuver de dégoûts un orateur distingué, et de l'enlever à la société? Peut-être une basse jalousie a-t-elle quelquefois pris, dans l'ame de quelques individus, la place de cette noble émulation qui seule devrait animer des hommes dévoués à de sublimes fonctions; mais elle n'a jamais dégradé que quelques ames vulgaires. On a souvent eu lieu de remarquer que les véritables talens, loin de blesser le grand nombre d'avocats qu'un mérite modeste retient dans une espèce d'obscurité, les flattaient, en relevant (1) [[ « Ainsi parlait (dit M. le premier président » Muraire dans le discours déjà cité), ainsi écrivait » M. Target, de la profession d'avocat : et ce qu'il » en pensait, ce qu'il en disait, n'était pas une pom>> peuse et vaine théorie: il l'exerçait d'après ces > nobles principes, d'après l'idée grande et libérale >> qu'il s'en était formée; il ne faut donc pas s'étonner » si, par ses qualités, encore plus que par ses talens >> il mérita et obtint parmi les avocats au parle» ment de Paris, un rang si distingué et si honora» ble ». ]] à leurs yeux une profession dont l'éclat semble se répandre sur tous ceux qui l'exercent. S'il est arrivé à des jeunes gens qui ont eu un début glorieux, d'éprouver quelques contradictions, d'essuyer quelques dégoûts, ils en ont été bientot dédommagés par les témoignages d'estime et de considération de leurs anciens confrères. Si l'on pouvait douter de ce que nous disons, nous invoquerions le souvenir des Cochin, des Normant, des Aubry, des Degênes, qui n'ont cessé de jouir, pendant le cours glorieux de leur vie, de la distinction la plus flatteuse dans leur ordre. Ce serait donc vraiment calomnier les avocats, que de prétendre que le mérite distingué est une cause de persécution parmi eux. Si le public pouvait pénétrer dans les motifs qui ont dicté les jugemens de Radiation dont il a quelquefois murmuré, il serait convaincu qu'ils n'ont jamais frappé que des sujets qui avaient obscurci leurs talens, ou par des vices, ou par des injustices, ou par des contraventions aux austeres principes de l'ordre. Par exemple, celui qui, après avoir défendu avec chaleur, avec éloquence, un client dont il aurait gagné la cause, exigerait ses honoraires d'une manière opposée à l'esprit de genérosité et de désintéressement, qui est un des plus beaux attributs de sa profession, encourrait la peine de la Radiation. L'avocat qui, sous le voile de l'amitié, aurait l'imprudence de se charger d'une procuration et de rendre des services au-dessous de son ministère, s'exposerait au même juge ment. On userait de la même sévérité envers celui qui serait convaincu de s'intéresser dans les entreprises, dans les affaires incompatibles avec son état, qui contracterait des engagemens qui mettraient sa liberté en péril. Un des plus grands dangers auxquels un avocat soit exposé, c'est celui qui naît de la vivacité de son imagination, ou de l'excessive confiance qu'il donne à un client aveuglé sur sa cause, ou faux dans ses récits. S'il anime son plaidoyer ou ses écrits par trop d'emportement, par un ton satirique et injurieux, ou par des reproches déplacés, il court les risques de voir son nom retranché de la liste des défenseurs publics. Cependant, si l'on reconnaissait qu'il a été lui-même trompé, qu'il était de bonne foi, et que son zèle l'a emporté au-delà des bornes d'une sage modération, l'ordre ne le priverait pas tout⚫à-coup de son état; ce ne serait qu'autant qu'il se montrerait absolument incorrigible, qu'on se déterminerait avec regret à se sépa « Le ministère de l'avocat (comme on l'a très-sagement observé dans une consultation sur la discipline des avocats) n'est pas seulement nécessaire dans les tribunaux, où les droits des citoyens ne peuvent être défendus que par des hommes consacrés à l'étude des lois; la justice désire encore qu'il y ait des médiateurs entre elle et la partie, afin que le langage des passions n'y trouble pas la paix de son sanctuaire; et que les causes y soient présentées avec la décence qu'il convient d'observer dans les lieux où la majesté du prince ne cesse point de résider. >> Lorsqu'un avocat met sur ses yeux le bandeau qui couvre ceux de sa partie, lorsqu'il ne se place entre le peuple et ses juges, que pour prêter aux haines, aux ressentimens de ses cliens, l'énergie de l'expression et de la vivacité des images, il se rend indigne d'un ministère sacré; ses talens mêmes deviennent un titre qui l'en écarte. » Quand on se connaît une imagination trop facile à s'enflammer et à épouser des passions étrangères, il faut s'abstenir des fonctions d'un état qui exige une circonspection sévère, plutôt que de courir le risque de faire à un honnête homme des blessures qui saigneront encore après que la justice aura rendu l'oracle qui le justifie ». Quoiqu'il n'entre pas dans les principes de l'ordre, de se livrer à des recherches trop exactes sur les mœurs privées des avocats, il n'en est pas moins vrai que celui qui se dégraderait aux yeux du public, par des habitudes viles et honteuses, devrait s'attendre, s'il était indocile aux réprimandes qui lui seraient faites, à être rayé du tableau. Cette Radiation serait plus prompte, s'il s'était dés. honoré en contractant une alliance réprouvée par les mœurs. Nous avons vu, il n'y a pas encore bien des années, un avocat rayé du tableau pour avoir essayé de combattre, dans une consultation, l'opinion fixée sur la profession de comédien (1). Le tableau des avocats étant, ou du moins devant être une liste de citoyens purs, laborieux, dignes de la confiance des plaideurs, l'avocat qui veut y voir son nom conservé, doit éviter tout ce qui peut compromettre son honneur et sa réputation: il ne peut pas (1) [[ Si jamais Radiation fut vexatoire et souleva justement le public éclairé ce fut assurément celle rer de lui. de cet avocat, qui, loin d'outrager nos lois dans sa consultation, n'avait parlé que leur langage. V. l'article Comédien, no 5. ]] |