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S. II. Le jugement qui prononce sur une Question d'état élevée incidemment dans un procès, a-t-il la même autorité de chose jugée que s'il était rendu sur une action dont cette Question serait l'objet direct et principal?

Le célèbre commentateur de la coutume de Bretagne, d'Argentrée, dans ses avis sur les partages des nobles, chap. 29, établit d'abord, d'après d'autres jurisconsultes, dont l'opinion sera discutée dans le paragraphe sui vant, que les jugemens rendus sur des Questions d'état avec de légitimes contradicteurs, font la loi aux tiers ni plus ni moins qu'aux parties entre lesquelles ils ont prononcé. Puis, il ajoute: « Et encore pour avoir et » acquérir un jugement de telle consequence, » il faut qu'il soit donné sur la querelle de » l'état ou du gouvernement principalement, » et, comme ils disent, à part soi. Car s'il » était donné incidemment sur un procès où » il fût question d'autre chose que d'état, cela » ne ferait pas semblable conséquence contre >> autrui ni contre la partie même, et ne s'en>> suivrait aucun effet, ni pour autres parties, » ni pour autre procés que celui qui aurait » été jugé, et entre les mêmes parties ».

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En laissant de côté, pour le moment, ce qui, dans cette proposition, est relatif aux tiers, et en la restreignant aux parties entre lesquelles a été jugée incidemment une Ques. tion d'état, cherchons avant tout à en bien fixer le sens.

D'Argentrée veut-il dire que, si, par exemple, sur une demande formée par un soi-disant enfant légitime, contre ses prétendus frères et sœurs, en partage de la succession de leur père commun, il intervenait un jugement qui, d'après des conclusions expressément posées à cet effet par ceux-ci, le déclarerait illégitime et par suite non-recevable dans cette demande, ce jugement n'aurait pas contre lui l'autorité de la chose jugée dans toutes les autres causes où il chercherait à remettre sa légitimité en question?

Ou bien veut-il seulement dire que, si, dans l'hypothèse que l'on vient de proposer, les défendeurs avaient fait de l'illegitimité du demandeur en partage, non un chef de conclusions précises à ce qu'il fût déclaré illégitime, mais seulement une exception, un moyen de défense contre sa demande, le jugement qui aurait rejeté sa demande, produirait en leur faveur une exception de chose jugée que relativement à la succession paternelle, et qu'il n'empêcherait pas celui contre lequel il aurait prononcé, de faire TOME XXVI.

ne

juger de nouveau son état avec ses prétendus frères et sœurs?

Pour saisir exactement la pensée de ce jurisconsulte, il faut le suivre lui-même dans l'application qu'il en fait.

Son objet est de déterminer l'effet qu'avaient produit, par rapport à la qualité de noble ou de roturier, les jugemens que des commissaires préposés à la recherche des droits de francs-fiefs, avaient rendus, en 1551, sur les réclamations de prétendus roturiers, possesseurs de biens féodaux, qui, poursuivis en paiement d'une composition substituée par grâce à la peine de commission ou confiscation qu'ils avaient encourue pour avoir acquis ces biens sans la permission du prince, se défendirent de leur qualité de noblesse, obtinrent jugemens desdits commissaires qui les déclarèrent nobles et non sujets à ladite commission ni composition.

De ces termes qui les déclarèrent nobles, il résulte clairement que ces prétendus roturiers ne s'étaient pas bornés à exciper de leur prétendue noblesse pour repousser la demande des agens du fisc, mais qu'ils avaient pris des conclusions à ce qu'elle fût expressément reconnue et déclarée par les commissaires, et qu'en effet ceux-ci l'avaient consacrée par les dispositifs de leurs jugemens.

Ces jugemens rentraient donc dans la prémière des hypothèses que l'on vient de proposer ; et cependant d'Argentrée décide qu'ils ont bien l'autorité de la chose jugée, quant à la décharge des taxes réclamées contre ceux qui les ont obtenus, mais qu'ils ne l'ont pas, quant à la qualité de noble qu'ils leur attri

buent.

Entend il par là décider qu'en thèse géné rale, un jugement rendu incidemment sur une Question d'état et qui la juge formelle. ment par son dispositif d'après des conclusions prises à cet effet, ne forme pas obstacle à ce que cette Question soit renouvelée dans une autre instance entre les mêmes parties?

Non, c'est une raison particulière qui lui dicte cette décision: « Les commissaires (ditil) étaient ordonnés pour faire la taxe des » roturiers tenant fiefs nobles, ni autre puis»sance avaient-ils, ni leçon que le texte de >> leur commission, ni pouvoir que d'icelle; » et si, par exception et en défense, aucun » mettait sa qualité en avant, et pour véri » fier sa qualité de tenir fiefs, et se défendre » de n'encourir la peine indictée, il était rai » sonnable de les y recevoir; mais advenant » qu'ils la vérifiassent, c'était aux commis"saires de prononcer sur l'action du procu» reur du roi prétendant qu'ils fussent taxes,

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» et ce faisant, les absoudre de la taxe, leur » qualité se trouvant vérifiée, non pas de » prononcer sur l'exception du défendeur, » qui consistait en la noblesse, attendu que » la Question d'état n'était qu'incidente, et » non pas principale ni principalement poursuivie. Car il n'était pas question de faire » une réformation de la noblesse; mais de » juger qui était ou n'était pas sujet à la taxe; » et la noblesse n'était qu'arme défensive » contre les coups de l'ordonnance du duc »Pierre, et confiscation convertie en com» position ».

İci, l'auteur revient à son principe que la prononciation qui se fait sur un incident, ne saurait emporter effet ni conséquence, sinon celle qui s'agit pour le cas particulier et à même fin et entre les mêmes parties, Car (continue-t-il) si, outre cela, il se fait par conséquence aucune importance hors le cas particulier, la prononciation qui se fait sur un tel incident, n'emporte rien de plus que ce qui a été jugé, et comme il a été jugé, et à la même fin, et au préjudice des mêmes parties, moins en matière de commission, en laquelle les juges ont puissance bornée et arrêtée aux termes de leur commission, et non plus. Et parlant ne peuvent juger, soit principalement, soit par conséquence, autre chose que ce qui leur est commis : et pour ainsi en ladite commission il y aurait faute d'autorité et de charge pour prononcer sur l'état, n'étant commis que pour le jugement de la contravention de ladite ordonnance:

Puis, il se fait une objection. Il est bien vrai, dit-il, que, suivant Bartole, Balde, Alexandre et Paul de Castro, ce qui est jugé et arrété par voie d'exception, ne se peut ni doit remettre en connaissance de cause, quand il en a été pleinement connu PER VIAM EXCEP

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TIONIS.

Et voici sa réponse. • Tout cela s'entend » quand il a été connu à plein fond de l'exception et pourvu que l'on veuille rappe»ler en question à même fin et intention; » mais s'il était question d'autre fin aussi » principale que celle qui a été jugée, infail » liblement elle pourrait remettre et rappe»ler en connaissance, pour être jugée à » autre fin. Comme au cas de présent, qui » voudrait rappeler l'un de ceux qui rem»portèrent jugement à leur profit pardevant » les commissaires, pour payer les francs» fiefs, comme roturiers et incapables, » qu'est même fin à laquelle il fut jugé, il >> aurait par aventure matière de s'en défen» dre, et dire qu'il a été jugé. Car encore » qu'il ne fût jugé que par incidence et pour

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» l'effet de la composition, toutefois il en » fut connu. Mais si du jourd'hui était ap pelé un de ceux-là à payer les fouages ou » les tailles ou autres fins aussi principales » que fut celle de ladite composition, il » est sans doute qu'il faudrait qu'il en ré»pondit, nec obstaret exceptio rei judica» tæ; qui est la résolution de tous ceux qui » ont été allégués ci-dessus, quod judicatum » per viam exceptionis, non parit præjudi» cium agenti posteà viá actionis ad alium finem æquè principalem. Et est hors de » propos, par une incidence, de vouloir con»clure résolution pour un effet principal et » d'état, et d'un membre vouloir juger le corps. » Etre exempt de la composition de l'ordon>>nance du duc Pierre, est un exploit ré»sultant de l'état de noblesse; mais ce serait » bien mal conclure pour avoir été prononcé » sur un simple exploit et particulier, de » vouloir inférer l'état avec tous ses autres » effets. Quiconque est noble, n'est tenu ni >> aux fouages ni aux tailles. Mais celui le» quel étant appelé pour la composition, » fait juger qu'il n'en doit point, n'emporte » jugement qui fasse droit sur sa qualité, » combien qu'il en dépende; tellement que, » s'il est appelé après pour le fouage ou au» tres devoirs roturiers, il s'en puisse défen» dre, veluti de re judicatá: car il n'a pas » sentence sur l'état, mais sur la composi» tion; au lieu que, s'il l'a sur l'état, il l'a » sur tous les actes qui en dépendent, cùm » de jure personæ in universum est pronun» tiatum. Ce qui ne pouvait être jugé par >> commissaires, la puissance desquels était » bornée pour juger de la contravention de » l'ordonnance et de la composition qui en

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dépendait, non pas sur l'état personnel » de ceux qui y étaient appelés. Car du juge"ment d'état, il restait qu'ils fussent en tout » exempts de fouages, tailles, corvées et >> autres devoirs roturiers, toutes choses loin » et hors de puissance desdits commissaires » qui n'avaient qu'un acte particulier à ju»ger, duquel l'état personnel ne peut être » inféré ».

De ces développemens donnés par l'auteur à son assertion prise dans le premier des deux sens que nous avons signalés (c'est-àdire, comme signifiant qu'un jugement qui, ayant à statuer sur une Question d'état elevée incidemment, la décide expressément et par son dispositif, d'après des conclusions prises ad hoc), il résulte évidemment qu'il ne l'applique qu'au cas où ce jugement est émané d'un tribunal qui, limité à certaines attributions, est sans pouvoir pour connaître

de l'état des personnes, cas tout-à-fait particulier et sur lequel nous reviendrons ci-après, S. 3, art. 2, no 6..

Mais voyons comment il s'explique, en passant de ce cas à celui où un pareil jugement a été rendu par un tribunal ordinaire.

« Autre chose (dit-il) pourrait être débat» tue, si les jugemens avaient été rendus par » les juges ordinaires fondés en connaissance » sur la personne; car la compétence des » juges serait capable de prononcer sur la » personne; et s'ils l'avaient fait, il y aura » matière de douter, quoique les juges avisés » (le cas advenant) se donnent bien de garde » de prononcer super statum, ains pronon» cent seulement sur le différend qui se pré» sente. Comme si aucun est imposé au "fouage, et il s'oppose; le juge sage, par les » considérations qui ont été dites, encore » qu'il trouve matière, pour respect de la » preuve de la qualité d'état, de juger pour » l'opposant, ne prononce pas sur la noblesse, »ni par ces mots, nous l'avons déclaré noble, » mais dira seulement qu'à bonne cause l'op» posant a formé son opposition, qui sont » bien diverses choses, dont toutefois beau» coup font leur profit, comme s'ils étaient » prononces et jugés nobles; en quoi, ils

» s'abusent assez ».

Telle est donc la pensée de d'Argentrée par rapport à l'effet du jugement qui intervient dans un tribunal ordinaire sur une Question d'etat incidente. Si ce jugement prononce formellement par son dispositif sur l'état contesté, il y a matière de douter qu'il fasse obstacle à ce que la Question soit renou. velée, dans une autre instance, pour d'autres fins et entre les mêmes parties; mais si le tribunal, se bornant à prendre pour motif de son jugement sur l'objet principal du litige, l'idée qu'il s'est, d'après le débat incidentel, formée de l'état contesté à l'une des parties, la Question sur cet état demeurera entière et elle pourra être débattue de nouveau entre les mêmes parties pour d'autres objets.

Apprécions maintenant cette doctrine dans ses deux branches.

D'Argentrée trouve qu'il y a matière de douter relativement à l'effet du jugement qui prononce formellement par son dispositif sur une Question d'état élevée incidemment; mais on sent assez que le doute ne peut pas être difficile à résoudre, et que la solution en découle tout naturellement du principe écrit dans la loi 7, S. 4, D. De exceptione rei judicata, que, pour que l'on puisse exciper dans une instance, de ce qui a été jugé dans une

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autre, il n'est pas nécessaire que les deux instances soient de la même nature: exceptio rei judicatæ obstat, quoties inter easdem personas eadem quæstio revocatur, VEL ALIO genere judicii. Il est bien impossible, en effet, de ne pas conclure de ce principe que le jugement rendu sur une demande incidente, produit l'exception de chose jugée contre la même demande renouvelée par une action directe et principale. Aussi est-il universellement reconnu que, lorsqu'une pièce a été déclarée fausse par le dispositif d'un jugement rendu sur une inscription de faux incident la fausseté de cette pièce ne peut plus être' remise en question entre les mêmes parties.

Mais ce qui est, aux yeux de d'Argentrée, au-dessus de toute espèce de doute, c'est que le jugement qui, en statuant incidemment sur une Question d'état, ne la décide pas formellement par son dispositif, mais seulement par des motifs exprimés ou sous-entendus (1), n'a l'autorité de la chose jugée que relativement à l'objet principal du litige qu'il termine.

Et, effectivement, il ne peut pas y avoir là-dessus l'ombre d'une difficulté sérieuse.

L'une des premières conditions requises par les lois romaines (dont l'art. 1351 du Code civil ne fait que sanctionner les dispo sitions) pour que je puisse écarter, par l'exception de chose jugée, une demande que vous formez aujourd'hui contre moi, il faut que vous ayez précédemment formé contre moi la même demande, et qu'un jugement devenu irrévocable l'ait rejetée.

Or, cette condition se rencontre-t-elle dans le cas où la demande dont je vous ai fait précédemment débouter, ne portait pas sur le même objet que celle que vous formez aujourd'hui contre moi, quoiqu'elle ait été rejetée par le même moyen que je viens encore aujourd'hui vous opposer?

Non sans doute. Une demande judiciaire et le moyen de la justifier ou de la combattre, ne sont pas la même chose.

Cela est si vrai que, comme le dit la cour de cassation dans un arrêt du 29 janvier 1821, il est constant en droit que l'identité de moyens n'est pas nécessaire pour constituer la chose jugée (2); au lieu que bien certainement il ne peut pas y avoir exception de chose

(1) On sent assez que ce mot sous-entendus ne peut se rapporter qu'à l'ancien ordre judiciaire. V. l'arti cle Motifs des jugemens, S. 2, no 1.

(2) Jurisprudence de la cour de cassation, tome 21, page 30 9.

jugée, là où il n'y a pas identité de demande.

Cela est si vrai encore que, comme l'ont jugé le même arrêt et deux autres des 3 février 1818 et 3 juin 1821 (rapportés aux mots Chose jugée, §. 1 bìs), lors qu'ayant deux moyens à faire valoir pour justifier une demande, je n'en ai proposé qu'un, je ne puis pas, après avoir succombé, renouveler cette demande en proposant l'autre.

Aussi n'est-ce pas par la même partie d'un jugement qu'il est prononcé sur les moyens et sur la demande qu'ils justifient ou combattent. Les moyens sont approuvés ou improu vés par les motifs; et c'est par le disposif que la demande est accueillie ou rejetée.

De là il suit évidemment qu'il n'y a que le dispositif d'un jugement qui constitue la chose jugée.

tre cause, il n'avait été pris de conclusions pour faire prononcer sur la légitimité dudit Masson de Maisonrouge, et que l'arrêt du 20 juillet 1790 ni aucun des jugemens rendus dans ladite cause, n'avaient déclaré ledit Masson légitime ou bátard.

Mais quel fond peut-on faire sur cet arrêt, alors qu'on le voit faire sortir du seul silence de ceux du parlement de Paris de 1773 et de 1790, sur la qualité d'enfant légitime que le sieur Masson de Maisonrouge avait prise dans les deux instances, une exception de chose jugée contre cette qualité; alors sur▲ tout qu'on le voit attribuer l'autorité de la chose jugée en faveur de la dame Nugent, à l'arrêt de 1773, dans lequel ni elle ni ses auteurs n'avaient été parties? Deux erreurs aussi graves suffisent certainement pour discréditer une pareille décision.

Et cette conséquence en amène nécessairement une autre non moins indubitable : c'est que, pour qu'un jugement qui rejette une demande d'après le moyen qui y a été opposé par le défendeur, sur le fondement que son adversaire n'avait pas l'état qu'il s'attribuait, imprime à ce moyen le caractère de chose jugée, et fasse obstacle à ce qu'il soit ensuite formé, pour un objet different, une autre demande contre laquelle ce moyen s'élève également, il faut que le défendeur ait proposé ce moyen, non par forme de simple exception, mais par forme de demande incidente, c'est-à-dire, qu'il ait pris des conclusions tendantes expressément à ce qu'il fût déclaré que l'état que son adversaire s'attribuait, n'était pas réellement le sien; car, a» dit la cour de cassation dans l'arrêt du 5 juin » 1821 que l'on vient de citer, suivant l'art. 1351 du Code civil, conforme aux anciens principes, il est indispensable, pour constituer la chose jugée sur un objet quelconque, qu'il y ait des conclusions prises par les parties sur ce chef, et une disposition du jugement qui en prononce le rejet ou l'admission.

Il est vrai qu'un arrêt de la cour de cassation elle-même, du 25 pluviose an 2, rapporté à l'article Légitimation, sect. 2, §. 2, no 7, a cassé, comme attentatoire à l'autorité de la chose jugée, un jugement en dernier ressort, du 18 octobre 1792, qui avait admis le sieur Masson de Maisonrouge à réclamer sa legitimité par action principale contre la dame Nugent, fille légitime du père à qui il devait le jour, nonobstant deux arrêts du parlement de Paris, des 10 mai 1773 et 20 juillet 1790, auxquels son illegitimité, alléguée comme simple exception par ses adversaires, avait servi de fondement, et qui l'y avait admis, attendu que, ni dans l'une, ni dans l'au

Il est vrai encore que M. Toullier (Droit civil français, liv. 3, tit. 3, chap. 6, sect. 3, art. 1, no 231) applaudit à cet arrêt, et qu'après l'avoir cité comme décidant « bien posi »tivement que le jugement rendu, avec un » contradicteur légitime, sur la Question d'é. >>tat proposée incidemment et par voie d'ex» ception, n'a pas moins de force que celui » qui est rendu sur la même Question par » voie d'action principale »; il ajoute : «< et » cette décision est conforme à la raison; » car, dans l'un comme dans l'autre cas, le » jugement ne peut être prononcé sans que » la Question soit examinée et jugée. Les »juges ne peuvent prononcer sur une exception, la rejeter ou l'admettre, sans examiner et juger si elle est fondée; seule»ment, dans ce cas, la décision se trouve » énoncée dans les considérant, comme » moyen décisif et péremptoire du déboute» ment de la demande principale; et quand » la Question est proposée par voie d'action » principale, la décision n'est énoncée que » dans le dispositif, et comme disposition principale ».

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Mais comment M. Toullier peut-il mettre en these qu'une décision énoncée dans les considérant d'un arrêt ou d'un jugement, a la même autorité de chose jugée que si elle était consignée dans le dispositif? C'est précisément tout le contraire qu'il faut dire; et indépendamment des raisons que nous venons d'en donner, cela résulte encore

1o Du principe proclamé par la cour de cassation, dans les arrêts déjà cités, des 29 janvier et 5 juin 1821, et dans un autre du 11 germinal an 13, rapporté au mot Cens, S. 5, que

les motifs d'un jugement qui sont relatifs à un moyen sur lequel il n'a pas été pris de

conclusions par les parties, ne suffisent pas pour que, contre ce moyen, non compris d'ailleurs dans le dispositif, il résulte du jugement une exception de chose jugée;

2o De ce que, tandis que la voie d'appel est toujours indispensable pour faire réformer le dispositif d'un jugement de première instance qui offense la loi ou blesse la justice, elle ne l'est point du tout, comme l'ont jugé deux arrêts de la même cour, des 22 floréal an 10 et 15 juillet 1816 (1), pour que, sur l'appel in terjeté par mon adversaire, d'un jugement qui, tout en me faisant gagner mon procès, s'est fondé sur un motif d'après lequel j'aurais dû le perdre, je puisse attaquer ce motif par le moyen que j'y avais inutilement opposé en première instance;

30 De ce que, comme l'a jugé un arrêt de la même cour, du 4 germinal an 13 (2), la requête civile, qui est toujours un moyen in faillible de faire rétracter un jugement en dernier ressort dont le dispositif se contrarie lui-même, est une arme impuissante contre un jugement en dernier ressort, entre les motifs duquel seulement il se trouve de la contrariété ;

4o De ce que, suivant la jurisprudence constante de la même cour, calquée sur la loi dernière, D. quod cùm eo qui in aliená potestate est, gestum esse dicetur, un jugement qui, dans son dispositif, est conforme à la loi, ne peut pas être annulé sur le fondement qu'il la viole dans ses motifs (3);

5o De ce que, comme l'a jugé un arrêt de la même cour, du 15 janvier 1818, lorsqu'un jugement en dernier ressort contenant plusieurs chefs contre chacun desquels un moyen de cassation est spécialement dirige, vient à être cassé purement et simplement, la cassation l'atteint èn entier, quoique le motif qui la determine, ne porte que sur l'un des chefs attaqués (4). La question est d'ailleurs tranchée dans un sens diametralement opposé à l'arrêt du 25 pluviose an 2, par deux lois romaines qui s'expliquent là-dessus de la manière la plus énergique.

La loi 1 C. de ordine judiciorum, trans

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(1) V. mon Recueil de Questions de droit, aux mots Inscriptions sur le grand- livre, S. 4, et Transport, §. 6.

(a) V. l'article Requéte civile, §. 3, no 5, aux

poles.

(3) V. l'article Motifs des Jugemens, no 3 et 24. (4) Jurisprudence de la cour de cassation, tome 19, page 137.

crite ci-dessus, no 3, décide que le juge in-
compétent, pour connaître d'une action prin-
cipale en déclaration ou dénégation d'état,
peut cependant en prendre connaissance,
lorsqu'elle s'élève incidemment à une de-
mande en nullité de testament dont il est
saisi; et quelle raison en donne-t-elle ? C'est
qu'à la verité, ce juge doit examiner, dans
toutes ses branches, la Question d'état qu'un
incident fait naître devant lui; mais qu'il ne
doit le faire que pour décider à qui appartient
l'hérédité litigieuse; et qu'en dernière ana-
lyse, ce n'est pas sur cette question, mais sur
l'hérédité seule qu'il prononce : pertinet enim
ad officium judicis qui de hereditate cognos-
cit, universam incidentem quæstionem quæ
in judicium devocatur, examinare, quoniam
non de eá, sed de hereditate pronunciat. N'est-
ce pas dire aussi clairement qu'il est possible
(comme je l'ai déjà remarqué dans des con-
clusions du 23 brumaire an 12, rapportées
dans mon Recueil de Questions de droit, au
mot Héritier, §. 8), que son jugement n'a
l'autorité de la chose jugée que relativement
à l'hérédité, et qu'il laisse la Question d'état
parfaitement entière ?

La loi 5, D. de agnoscendis et alendis liberis, n'est pas moins positive. Elle suppose qu'à la demande en alimens formée par un fils contre son père, ou par un père contre son fils, le défendeur oppose une dénégation de paternité ou de filiation ; et que là, par conséquent, s'élève incidemment la question de savoir si le demandeur est ou le fils ou le père du défendeur. Que doivent faire les juges? Il faut, répond la loi, §. 8, qu'avant d'accorder les alimens demandés, ils prennent sommairement connaissance du fait de paternité ou de filiation. S'ils en trouvent la

preuve bien constante, ils adjugeront la de-
mande; et ils la rejeteront, si la paternité ou
la filiation ne leur parait pas bien prouvée :
si vel parens neget filium, idcircòque alere
se non debere contendat, vel filius neget pa-
rentem, summatim judices oportet super eá
cognoscere. Si constiterit filium vel paren-
tem esse, tunc ali jubebunt. Cæterùm si non
constiterit, nec decernent alimenta. Mais il
faut bien remarquer, continue-t-elle, S. 9,
que, si par leur jugement, ils accordent les
alimens demandés, il n'en résultera point d'ex-
ception de chose jugée sur la question de pa-
ternité: car, par ce jugement, ils ne décla-
rent pas que tel est l'enfant de tel; ils
décident seulement que l'un doit des alimens
à l'autre : meminisse autem oportet, si pro-
nunciaverint ali oportere, attamen eam rem
præjudicium non facere veritati: nec enim

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