Page images
PDF
EPUB

lets dix fois plus considérable que le capital en espèces. La confiance était générale; le tort de Law fut d'en abuser. Le régent l'y entraîna peu à peu, dans l'intention de rembourser la dette nationale; et il le força « d'élever, suivant l'expression d'un contemporain ('), sept étages sur des fondemens qu'il n'avait posés que pour trois » Les véritables effets du système nous sont à peine bien connus à présent. Les écrivains du temps en parlent tous avec cette affectation d'horreur qui poursuit trop souvent les plus grandes renommées, quand la main du malheur s'est appesantie sur elles. « En quittant cette partie, dit M. Lemontey (3), les joueurs heureux eurent trop d'intêrêt à dissimuler leurs profits, et les malheureux à exagérer leurs pertes. Les appréciateurs de cette crise compliquée furent exposés à confondre la violence du remède avec celle du mal,et ce qui n'était que déplacé avec ce qui était détruit... Cependant les provinces centrales, où la civilisation était le plus retardée, en éprouvèrent un ébranlement salutaire. Ces pays pauvres et indolens, où l'on avait vu le commerce et l'argent presque ignorés, les fruits de la terre sans valeur, et la perception des impôts aussi pénible qu'improductive, s'animèrent d'une vie nouvelle. Sous le rapport de la richesse, du prix des (1) Dutol.

(2) Histoire de la régence, tome I, page 356.

denrées, de la somme des contributions, de la vie sociale et de l'importance politique, la renaissance de ce vaste territoire date du cataclysme de Law, et sa civilisation progressive, depuis 1720, en est un meilleur monument que les billets de la banque qu'on y conserve dans quelques chaumières. »

La principale cause de la chute du système, fut donc la trop grande émission de billets de banque et d'actions de la compagnie des Indes. Des capitaux fictifs étaient impuissans à fournir des intérêts réels: il n'en résulta que l'élévation exagérée du prix de toutes choses et un déplacement général des fortunes, d'autant plus dangereux qu'il était plus rapide. Des catastrophes semblables ont signalé depuis, les mêmes abus du crédit, dans les deux mondes. Nos pères ont vu les assignats, multipliés outre mesure, tomber avec fracas malgré la garantie des biens dits nationaux; l'Angleterre a éprouvé à son tour une grande crise monétaire, pour avoir dépassé dans les prêts de sa banque à son gouvernement, la limite naturelle des espèces. Au moment où j'écris, une crise plus grave vient de bouleverser toute la circulation aux États-Unis, et l'on se croit transporté à l'époque de Law, quand on étudie les causes de cette perturbation, qui sont presque identiquement les mêmes que celles de la chute du système. En vain la Convention punit de mort le refus de la monnaie de papier; en vain le

:

parlement d'Angleterre autorise la faillite de la banque et les États-Unis précipitent-ils la banqueroute des leurs ces formidables attaques ne font que raffermir les bases fondamentales de la théorie du crédit. Le crédit ne doit représenter que les valeurs solides, et la solidité des valeurs ne peut être apprẻ ciée que par la confiance, jamais décrétée par la force. Si Law eût été libre dans ses opérations, il aurait contenu ses émissions de billets et d'actions dans les proportions indiquées par les besoins de la circulation et par les revenus probables de la compagnie des Indes. Ses premiers succès furent éblouissans. Il s'imagina qu'il pourrait réduire la France entière en petite monnaie et faire circuler toutes les terres sous forme de papier. Toutefois l'effet qu'il obtint de cette tentative gigantesque ne fut pas stérile. Les mutations innombrables qui s'effectuerent sous l'influence du système, commencèrent le morcellement de la propriété dont la France a tiré de si grands avantages. L'esprit d'entreprises'empara de toutes les classes de la société, et la puissance de l'association, inconnue jusqu'alors, se révéla par des combinaisons neuves et hardies dont nos opérations actuelles de crédit ne sont que des imitations. Sans les prodigalités de la cour, Ja dette publique eût été considérablement réduite par le remboursement d'une partie des créanciers de l'État, et la baisse de l'intérêt aurait bientôt permis de rembourser les autres.

La propriété foncière sortit pour la première fois de l'état de torpeur où l'avait si long-temps maintenue le système féodal. Ce fut un véritable réveil pour l'agriculture, et la terre s'éleva dès ce moment au rang de puissance productive. Elle venait de passer du régime de la main-morte à celui de la circulation. Les nouveaux propriétaires presque tous sortis des rangs des travailleurs, cultivèrent la terre avec toute l'ardeur de leurs habitudes et avec la facilité que leur en donnait l'abondance des capitaux. Aussi, l'orage qui venait de la bouleverser, semblait-il n'avoir fait que la rafraîchir et dès lors commença pour elle une ère nouvelle. Tout le → monde s'y attacha comme à la plus sûre des valeurs, au point que, malgré les mécomptes essuyés par les autres industries pendant la débâcle du système, un système nouveau succéda presque immédiatement à celui qui venait de s'éteindre, non sans jeter un vif éclat avant de passer comme lui. On devine aisément qu'il s'agit du système de Quesnay ou des économistes.

CHAPITRE XXXII.

Du système de Quesnay et de l'école Economiste,

[ocr errors]

Origine de ses doctrines. Services qu'elles ont rendus. - Des diverses nuances de l'école Économiste. — Gournay. - Mercier de La Rivière. Turgot. Admirable probité de ces philosophes. - Détails sur Quesnay.

[ocr errors]

Le triste dénoûment du système de Law laissait la France entière plongée dans une véritable stupeur. On ne savait plus désormais à quels principes se fier, après avoir vu rapidement naître et mourir tant de fortunes. Les uns déploraient la ruine des manufactures si laborieusement fondées par Colbert; les autres se reportaient à cent ans en arrière et rappelaient les maximes patriarcales de Sully: labourage et pâturage sont les mamelles de l'État; et il faut avouer que les circonstances étaient devenues bien favorables au retour de ces idées. De toutes les valeurs industrielles écloses sous l'atmosphère embrasée du système, il ne restait plus rien que la ruine, la désolation et la banqueroute.

« PreviousContinue »