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L'ÉCONOMIE POLITIQUE.

CHAPITRE XXVII.

De l'économie politique sous Louis XIV.-Ordonnances du commerce. -De la marine.-Des eaux et forêts. Code noir. Conseils de prud'hommes. Lois sur les pauvres. - Fondation des hospices d'enfans-trouvés. - Création de compagnies commerciales.-Opinion des Économistes contemporains: Vauban, Boisguilbert, l'abbé de Saint-Pierre.

Si, comme l'écrivait naguère un de nos hommes d'état ('), « les lois sont toujours le monument le plus important et le plus instructif pour l'histoire,» il n'est pas de législation plus intéressante pour l'économie politique que celle du règne de Louis XIV. Nous

(1) M. Thiers, article Law, de l'Encyclopédie progressive.

avons déjà fait connaître la pensée dominante du grand ministre auquel ce règne a dû tant d'éclat ; il est temps de signaler les actes qui en furent l'expression, et dont l'ensemble compose le plus bel édifice qui ait été élevé par aucun gouvernement à la science économique. Seul, en effet, au milieu des ruines du passé, cet édifice est demeuré debout; et il plane encore de toute sa hauteur sur nos institutions, qui n'ont pas perdu, malgré le choc des révolutions, l'empreinte de son imposante originalité. C'est à Colbert qu'appartient l'honneur d'en avoir doté la France, et d'avoir compris le premier, dans toute leur étendue, les ressources de la production. Sully avait voulu maintenir la France dans les limites étroites d'un système exclusivement agricole et patriarcal; il s'était opposé de toutes ses forces au développement des manufactures, et il n'avait vu dans le commerce qu'une chance dangereuse d'exportation pour les espèces. L'austérité de son économie politique s'était perpétuée sous le règne même de Louis XIII, par des réglemens somptuaires et des ordonnances d'un caractère hostile au progrès des richesses. Colbert ouvrit la carrière au travail national d'une manière régulière et savante, et nous ne saurions douter que sa législation ait devancé d'un siècle au moins les théories de l'économie politique moderne. Par lui, la France agrandit ses frontières et se mit en relation

avec le monde; elle cessa d'être exclusivement agricole, et elle s'enrichit tout à la fois de la valeur nouvelle donnée à son territoire et à ses habitans.

Cette époque demeurera éternellement célèbre dans les annales de la science, parce qu'elle a démontré l'union intime du progrès matériel et du progrès social. Que d'existences commerciales ont dû leur origine à ces belles ordonnances sur la marine, sur le négoce, sur les manufactures, dont Colbert était le dispensateur et l'organe! Quand on les étudie avec attention, il est facile de reconnaître qu'elles ont suscité à l'aristocratie foncière une rivalité formidable, en donnant à tous les citoyens la facilité de s'élever à la fortune par la seule influence du travail. Les forces de la nation en ont été doublées, et Louis XIV a pu, durant les longues années de son règne, élever notre pays au premier rang des puissances; heureux s'il n'avait point abusé des ressources immenses accumulées par son ministre! Notre temps, si fertile en essais hasardeux, n'a rien qui puisse être comparé à la hardiesse des créations de cette époque; on les dirait toutes fondues d'un seul jet, tant elles sont sage. ment coordonnées entre elles et dirigées vers un but identique.

C'est premièrement la situation des pauvres qui attire les regards de l'autorité. Tandis qu'en Angleterre on les fustigeait, on les mutilait sous les aus

pices des lois draconiennes de Henri VIII, Colbert faisait rendre un édit pour établir à Paris une maison de refuge où les indigens devaient être reçus comme membres vivans de Jésus-Christ, et non pas comme membres inutiles de l'état ('). Un autre édit de juin 1662 veut qu'il soit fondé un hôpital en chaque ville et bourg du royaume pour les pauvres malades, mendians et orphelins, qui y seront instruits aux métiers dont ils pourront se rendre capables. Des primes d'encouragement sont accordées aux compagnons qui épouseront des orphelines de l'hospice de la Miséricorde le roi veut, dans ce cas, qu'on leur accorde la maîtrise sans frais. Les ordonnances rendues sous son règne témoignent des efforts constans de ce prince pour extirper de ses états le fléau de la mendicité, grave question de tous les âges, et que le nôtre n'a su résoudre encore qu'en emprisonnemens et en poursuites! En même temps, la sollicitude du pouvoir établissait les premières maisons d'enfans-trouvés (*), devenues depuis lors des asiles plus meurtriers pour l'enfance que ne le serait l'abandon même; et notre progrès se borne encore à compter les victimes (3)!

(1) Édit d'avril 1656, dans la Collection d'Isambert, tom. XVII, p. 326. (2) Édit de juin 1670.

(3) M. Macculloch rapporte que dans l'hospice des enfans-trouvés de Dublin, sur 12,786 enfans exposés, il y eut 12,561 morts, en moins de 6 années, de 1791 à 1797. (Principles of political economy, p. 232, édition de 1830).

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