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élevé à de hautes considérations sur les phénomènes de la distribution des richesses. Son livre est un de ceux où les causes de la pauvreté publique et privée ont été le mieux exposées, ainsi que l'effet des restrictions sur les échanges. « Le bonheur de l'espèce humaine, s'écrie l'auteur en finissant, peut facilement, au moyen de la prévoyance, égaler et même dépasser l'accroissement de la population. » La doc, trine de MM. Wade et Scrope diffère essentiellement de celle qui a été développée à peu près à la même époque dans les ouvrages de M. Babbage et du docteur Ure, sur l'économie des manufactures. Le livre de M. Babbage n'est autre chose qu'une série d'aperçus ingénieux sur la division du travail et l'emploi des machines; celui du docteur Ure est un hymne en l'honneur du système manufacturier, que cet auteur proclame le plus favorable au soulagement des classes ouvrières. Babbage croyait du moins qu'il restait beaucoup à faire aux fabricans pour profiter des découvertes industrielles et pour améliorer l'état moral des travailleurs ; le docteur Ure, apologiste plus prononcé de la grande industrie, en dissimule habilement les imperfections et la considère comme le dernier terme de la civilisation. Tel est le caractère dominant de l'école économique anglaise, et c'est avec raison qu'on lui reproche de ne pas assez tenir compte des complications inhérentes au travail manufacturier, mal

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gré les avertissemens sévères de la taxe des pauvres et les crises périodiques dont l'Angleterre cst affligée depuis quarante ans. A l'aspect de ces milliers d'enfans étiolés et de filles corrompues qui pullulent dans les manufactures anglaises, on est surpris de Jire dans un ouvrage qui s'intitule philosophie des manufactures, un passage tel que celui-ci : « Lorsque les enfans travaillent à domicile, ils sont renfermés toute la journée avec leurs parens ; ils ne connaissent ni les hommes ni les choses qui les entourent. Ainsi, le seul sentiment qu'ils puissent percevoir est celui de l'égoïsme (1). Mais l'école anglaise n'a vu, dans la production des richesses qu'un élément de puissance nationale, et les économistes de cette école se sont trop accoutumés à considérer les ouvriers comme de simples instrumens de la production. A peine il leur échappe un eri de commisération à l'aspect des hôpitaux encombrés, et des prisons remplies de toutes les victimes de nos inégalités sociales. Ils ferment leurs oreilles à la plainte et ils se laissent éblouir par le prestige de la civilisation, sans se demander si ce brillant édifice n'est pas cimenté de pleurs et de larmes, et si la base en est tellement solide qu'on n'y ait point à redouter des secousses. Heureusement, la France a revendiqué son privilége

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(1) Philosophie des manufactures par le docteur Ure, troisième partie, chap. 11.

accoutumé de défendre les droits de l'humanité, et tandis que la Grande-Bretagne avance à pas de géant dans la carrière de l'industrie, nos écrivains la rappellent aux principes sacrés d'une répartition équitable des profits du travail. Nous entrons dans l'ère sociale de l'économic politique.

CHAPITRE XLI.

Des économistes sociaux de l'école française. —Nouveaux principes d'économie politique de M. de Sismondi.-Nouveau traité d'économie sociale de M. Dunoyer. — Économie politique chrétienne de M. de Villeneuve-Bargemont.—Traité de législation par M. Ch. Comte.-Économie politique de M. Droz.

Il y avait déjà plusieurs années que les doctrines d'Adam Smith, de Malthus et de l'école industrielle étaient adoptées sans discussion dans toute l'Europe, lorsque M. de Sismondi fit paraître la première attaque sérieuse contre les abus de ces doctrines, tout en acceptant ce qu'elles avaient d'incontestable et de positif ('). Frappé du contraste de la grande opulence et de la misère extrême dont il avait été témoin en Angleterre, surpris de voir les perfectionnemens de l'industrie profiter presque exclusivement à quelques hommes, sans avantages suffi

(1) Témoin son premier ouvrage intitulé: de la Richesse commerciale, publié en 1803, la même année que la première édition du Traité de J.-B. Say.

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sans pour la communauté, il rechercha les causes de cette anomalie et il crut les avoir trouvées dans la constitution même de l'industrie, mal appropriée, selon lui, aux besoins généraux des travailleurs. J'ai voulu prouver, dit-il, que l'augmentation de la production n'est un bien qu'autant qu'elle est suivie d'une consommation correspondante; qu'en même temps l'économie sur tous les moyens de produire n'est un avantage social qu'autant que chacun de ceux qui contribuent à produire continue à retirer de la production un revenu égal à celui qu'il en retirait avant que cette économie eût été introduite; ce qu'il ne peut faire qu'en vendant plus de ses produits.

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En examinant sous ce point de vue neuf et hardi la constitution industrielle de la société européenne, M. de Sismondi rencontrait les questions immenses de la concurrence, des prohibitions, des banques et de la population. La concurrence entre les travailleurs lui semblait devoir amener de jour en jour davantage la baisse des salaires, tandis que les machines fournies par les banques, diminuaient graduellement la demande du travail. Il y avait sans doute une plus grande masse de richesses produites; mais le revenu des populations laborieuses n'en était point augmenté et par conséquent leurs moyens d'existence devenaient insuffisans ; de là résultaient tous les fléaux dont l'humanité

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