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CHAPITRE XXXIX.

De J.-B. Say et de ses doctrines. - Conséquences importantes de sa théorie des Débouchés. - Exposé des services que cet écrivain a rendus à la science. Caractère de son école. - C'est elle qui a

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popularisé l'économie politique en Europe.

Il était impossible que les grandes expériences exécutées en France et en Angleterre, pendant la longue lutte que ces deux nations ont soutenue l'une contre l'autre, ne fournit pas à l'économie politique de nouveaux élémens d'observations, et ne contribuât point à son avancement. Adam Smith avait posé sans doute les bases essentielles de cette science d'une main ferme et assurée; mais nous avons vu qu'il avait laissé à ses successeurs de hautes questions à résoudre. Ce qui restait surtout à faire, c'était de poser les bornes de la science et de bien déterminer le champ où doivent s'étendre ses recherches. Adam Smith avait jeté la plus vive lumière sur la théorie des banques, sur la division

du travail, sur les fondemens de la valeur des choses; il avait fait de véritables découvertes: mais il n'avait pas assez vécu pour en observer les applications. C'est seulement après sa mort que l'on a pu juger les effets de la concurrence illimitée dont il fut un des premiers apôtres ; et le paupérisme compliqué de nos jours ne troublait pas encore la sérénité de ceux où il vécut. L'économie politique n'était que la science de la production des richesses. Il était réservé à un Français de compléter l'œuvre et de nous initier aux mystères de la distribution des profits du travail, en même temps qu'il nous faisait connaître les phénomènes si variés de la consommation des produits.

La situation de la France était très favorable à cette étude, après les orages de notre révolution. N'avait-on pas essayé de tous les systèmes et poussé jusqu'à leurs dernières conséquences les principes les plus hasardés ? N'avait-on pas vu de près la banqueroute, le gaspillage des capitaux par la guerre, la destruction momentanée du commerce par le maximum, le blocus des mers et cette foule de catastrophes industrielles et financières dont l'histoire du temps est toute remplie ? Le moment était venu de conclure, et de résumer en un corps de doctrine les théories qui ressortaient naturellement de cette masse de faits nouveaux et inouis. Il fallait expliquer ce cataclysme économique sans

pareil dans le monde et qui apparaissait pourtant comme le précurseur d'une rénovation générale, C'est ce que fit J.-B. Say, en publiant la première édition de son traité d'économie politique, sous le consulat de Bonaparte. De ce livre date réellement en Europe la création d'une méthode simple, sévère et savante pour étudier l'économie politique, et le moment est venu pour nous de la juger.

Le principal mérite de cet ouvrage fut d'avoir dé fini nettement les bases de la science. J.-B. Say en sépara la politique avec laquelle les économistes du dix-huitième siècle l'avaient sans cesse confondue, et l'administration, dont les Allemands la croyaient inséparable. Ainsi réduite à des limites plus précises, l'économie politique ne risquait plus de se perdre dans les abstractions de la métaphysique et dans les détails de la bureaucratie. J.-B. Say la rendait indépendante en l'isolant, et il prouvait que son étude convenait aux monarchies aussi bien qu'aux républiques. Partout on avait besoin de connaître ses lois, parce que sous toutes les formes de gouvernement, la production des richesses était la source la plus féconde de la prospérité des États. En même temps, il exposait ses principes de la manière la plus claire et la plus méthodique, et il créait la nomenclature désormais adoptée par tous les économistes de l'Europe. Sa théorie de la valeur fondée sur l'utilité, complétait celle d'Adam Smith,

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et quoiqu'elle laissât, comme toutes les théories quelques lacunes à remplir, il ne s'en servait pas moins pour résoudre les questions les plus difficiles, avec tout le degré de certitude dont elles sont susceptibles.

Quelques controverses qui se soient élevées depuis sur plusieurs points de ses doctrines, tout le monde reconnaît aujourd'hui la supériorité de sa méthode sur toutes celles de ses contemporains. L'économie politique n'est à ses yeux qu'une science qui traite de la production, de la distribution et de la consommation des richesses. Les richesses se produisent au moyen des trois grandes branches qui résument tout le travail humain : l'agriculture, l'industrie et le commerce. Les capitaux et les fonds de terre sont les instrumens principaux de la production par l'épargne et l'accumulation on obtient les premiers; la propriété garantit la libre action des autres. Le travail de l'homme, combiné avec celui de la nature et des machines, donne la vie à tout cet ensemble de ressources duquel seul émanent les richesses qui sont le fonds commun des sociétés. Smith avait admirablement démontré les avantages de la division du travail : J.-B. Say a perfectionné son œuvre et fait ressortir quelques-uns des abus de cette division, exagérés plus tard par M. de Sismondi ('). Mais ce qui assure une renommée immortelle à

(1) Nouveaux principes d'économie politique.

l'écrivain français, c'est sa théorie des débouchés qui a porté le dernier coup au système exclusif et précipité la chute du régime colonial. Cette belle théorie, toute fondée sur l'observation scrupuleuse des faits, a prouvé que les nations ne payaient les produits qu'avec des produits et que toutes les lois qui leur défendent d'acheter, les empêchent de vendre. Aucun malheur, dès lors, n'est sans contrecoup dans le monde; quand la récolte manque sur un point, les manufactures souffrent sur un autre ; et quand la prospérité règne dans un pays, tous ses voisins y prennent part, soit à cause des demandes qui en viennent, soit à cause du bon marché qui résulte de l'abondance des produits. Les nations sont donc solidaires dans la bonne comme dans la mauvaise fortune; les guerres sont des folies qui ruinent même le vainqueur, et l'intérêt général des hommes est de s'entr'aider, au lieu de se nuire comme une politique aveugle les y a poussés trop long-temps. Nous commençons à comprendre les conséquences de cette doctrine vraiment savante et élevée, et déjà l'on peut juger par la sollicitude des gouvernemens à éviter la guerre, que les principes de J.-B. Say ont pénétré dans les conscils des rois. Son titre le plus glorieux est d'avoir démontré comme une vérité positive et d'intérêt matériel ce qui ne paraissait qu'une utopie philosophique, et ce mérite est d'autant plus grand

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