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Que reste-t-il donc de tous ces rêves brillans et généreux qui ont agité le monde, depuis Turgot jusqu'à nos jours, et quelles conquêtes sociales l'économie politique a-t-elles faites, qui aient enfin jeté quelque gloire sur elle? Nous en pourrons citer deux mémorables, l'émancipation des colonies anglaises et espagnoles de l'Amérique et l'abolition de l'esclavage des nègres; à quoi peut-être il convient d'ajouter la suppression des priviléges de corporations, c'est-à-dire l'affranchissement du travail. Nous avons encore deux autres victoires à remporter l'affranchissement des travailleurs et celui du commerce, œuvre difficile et compliquée dans un temps comme le nôtre, où les gouvernemens euxmêmes partagent les préjugés vulgaires contre la liberté commerciale et la considèrent comme hostile au travail national. De toutes les crreurs économiques de la révolution, celle-là seule a survécu, plus vivace que jamais, et elle s'est élevée triomphante sur les ruines des autres. On ne défend plus l'esclavage, ni les corporations, ni les compagnies privilégiées; les haines nationales ont à peu près disparu pour faire place aux rivalités, aux jalousies industrielles. Le champ de bataille n'est plus dans les plaines, il est dans les ateliers. C'est là que la guerre continue, savante, acharnée, infatigable et qu'elle fait des victimes dans tous les partis occupés à se nuire, au lieu de s'entr'aider; guerre véri

table, où les combattans se servent de machines ingénieuses et puissantes qui laissent sur le terrain du paupérisme des millions de travailleurs haletans, hommes et femmes, sans pitié pour la vieillesse ni pour l'enfance!

Cette guerre est aujourd'hui la dernière expression de la vieille économie politique en Europe, et le dernier retentissement de la grande querelle sociale soulevée par la révolution française. Ce n'est pas seulement une lutte internationale; c'est un combat sérieux entre les diverses classes de travailleurs. La France a sans doute l'air de rivaliser avec l'Angleterre; mais le capital lutte bien plus profondément avec l'ouvrier. Sous prétexte de faire triompher le pays dans le premier de ces combats, on maintient dans le travail une organisation qui a cessé d'être en harmonie avec ses besoins et les progrès de la civilisation. Aussi n'y a-t-il rien de nouveau dans la science, de 1789 à 1814, si ce n'est l'expérience des faits accomplis et la facilité d'en tirer les conséquences pour marcher en avant et pour achever l'œuvre de nos pères. Toutefois, il sortira bientôt du sein de l'industrie une puissance irrésistible, destinée à guérir, comme la lance d'Achille, les maux qu'elle aura faits; puissance née de nos discordes commerciales et qui finira par les éteindre toutes c'est l'association, importée d'Angleterre, où l'excès des impôts nécessités par la

guerre lui a fourni les moyens d'y suffire à force de prodiges; mais il est bon de remonter aux causes principales de ce nouvel élément de progrès social, et d'étudier les faits qui ont préparé sa venue.

CHAPITRE XXXVIII.

De la révolution économique opérée en Angleterre par les découvertes de Watt et d'Arkwright.-Conséquences économiques de l'indépendance des États-Unis.-Réaction de la révolution française sur le système financier de l'Angleterre. --Accroissement des impôts. --Suspension des paiemens de la banque.--Développemens et abus du crédit. Enormité de la dette publique, Conséquences de la paix générale.

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Tandis que la révolution française faisait ses grandes expériences sociales sur un volcan, l'Angleterre commençait les siennes sur le terrain de l'industrie. La fin du dix-huitième siècle y était signalée par des découvertes admirables, destinées à changer la face du monde et à accroître d'une manière inespérée la puissance de leurs inventeurs. Les conditions du travail subissaient la plus profonde modification qu'elles aient éprouvée depuis l'origine des sociétés. Deux machines, désormais immortelles, la machine à vapeur et la machine à filer, bouleversaient le vieux système commercial et faisaient naître presque au même moment

des produits matériels et des questions sociales, inconnus à nos pères. Les petits travailleurs allaient devenir tributaires des gros capitalistes; le chariot remplaçait le rouet, et le cylindre à vapeur succédait aux manéges. En même temps les beaux essais de canalisation du duc de Bridgewater commençaient à porter leurs fruits et le perfectionnement des transports coïncidait avec l'accroissement des marchandises. La production du fer et celle des autres • métaux s'améliorait avec celle des houilles, activée par l'emploi de la vapeur dans les travaux d'épuisement. On eût dit que l'Angleterre avait découvert des mines nouvelles et s'était enrichie tout à coup de trésors inattendus.

La génération contemporaine, plus occupée de recueillir les profits de ces conquêtes, que d'en rechercher les causes, ne paraît pas avoir apprécié à leur juste valeur les embarras qu'elles traînaient à leur suite. Cette transformation du travail patriarcal en féodalité industrielle, où l'ouvrier, nouveau serf de l'atelier, semble attaché à la glėbe du salaire, n'alarmait point les producteurs anglais, quoiqu'elle eût un caractère de soudaineté bien capable de troubler leurs habitudes. Ils étaient loin de prévoir que les machines leur apporteraient tant de puissance et tant de soucis. Le paupérisme ne leur apparaissait pas encore sous les formes menaçantes qu'il a revêtues depuis, et les métiers mécaniques n'avaient pas déve

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