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atelier; soit qu'il s'indigne des abus de la force européenne envers les races faibles du continent américain. On ne le lit plus guère aujourd'hui; on traite ses écrits à la manière des échafaudages que l'architecte démonte et retire à mesure que son édifice s'élève; mais l'Histoire philosophique restera comme un souvenir des premiers efforts consacrés à la défense du travail et à la régénération des travailleurs. Ce livre semble écrit sur la brèche il y règne une fougue de style qui annonce l'approche des révolutions; c'est un dernier défi lancé avant le combat. Il nous reste donc à voir les combattans à l'œuvre; œuvre sublime et convulsive où tout devint instrument de destruction et de guerre ; où la philosophie elle-même crut devoir recourir à la hache pour déblayer le terrain sur lequel nos enfans seront appelés à bâtir.

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CHAPITRE XXXVII.

Des doctrines économiques de la révolution française. Elles ont toutes un caractère social plutôt qu'industriel. Elles sont cosmopolites en théorie et restrictives dans la pratique. — La Convention et l'Empire ea font des armes de guerre. -Vue générale des conséquences du blocus continental. Il existait de fait avant d'être décrété. - Fâcheux préjugés qu'il a répandus en Europe.

Il y a une parole célèbre de l'abbé Sieyes qui caractérise très bien la tendance de l'économie politique, au commencement de la révolution française: « Qu'est-ce que le Tiers-État, disait-il? Rien. Que doit-il être ?-Tout. » Ce mot profond résumait la pensée du dix-huitième siècle ; il remettait en honneur le programme oublié de Turgot et il annonçait l'avénement de la force capable de le faire exécuter. Aussi à peine ce mot fut-il prononcé, qu'on se mit à l'oeuvre; et dans quelques mois de session, l'Assemblée constituante avait fait justice des priviléges, détruit les douanes intérieures, adouci le régime des douanes frontières, supprimé les corporations, assujéti tous les citoyens

au paiement de l'impôt et préparé l'émancipation du travail. Jamais à aucune autre époque on n'avait fait pareille moisson d'abus invétérés, et manifesté une volonté aussi ferme de marchér hardiment dans la voie des réformes. L'édifice social fut, pour ainsi dire, repris en sous-œuvre, et il n'y eut pas une seule institution importante qui ne fut modifiée plus ou moins profondément.

L'immortelle nuit du 4 août 1789 vit se réaliser la plupart de ces changemens mémorables. Quelques heures suffirent pour l'abolition des jurandes, de la main-morte, des droits féodaux, des priviléges de naissance, des inégalités fiscales. En même temps, l'Assemblée constituante jetait les fondemens d'une division territoriale qui détruisait les privilégcs des provinces, en créant l'unité nationale. La France pouvait désormais s'avancer comme un seul homme vers les nouvelles destinées que la révolution venait de lui ouvrir. Le travail était libre; les citoyens l'étaient aussi; nulle carrière n'était fermée à leur capacité, nulle espérance interdite à leur ambition. Le gouvernement central, vigoureusement organisé, pouvait faire exécuter ses ordres d'une extrémité du royaume à l'autre. Les expériences décrétées à Paris ne rencontraient pas de résistance sérieuse dans les départemens, et c'est ainsi que commença cette série de tentatives plus ou moins heureuses qui ont fourni tant de

sujets d'études et de méditations aux économistes et aux hommes d'État.

Tout était à faire en matière d'industrie, de commerce, de finances : l'Assemblée constituante mit hardiment la main à l'œuvre. La suppression des corporations fut suivie de la création des patentes; l'abolition des douanes intérieures fut accompagnée d'un adoucissement dans le régime des douanes extérieures ; l'impôt foncier fut établi sur le principe de l'égalité de tous les Français devant la loi. Il y cut sans doute beaucoup d'errcurs commises dans cette période d'essais hasardeux, trop souvent effectués au milieu des préoccupations politiques les plus vives; mais ces erreurs mêmes sont devenues pour nous de graves sujets d'enseignement, et la science en profite aujourd'hui, comme d'un phare destiné à nous éviter de nouveaux naufrages. Toutefois, quelle que fût la hardiesse et l'originalité des réformateurs de 1789, ils étaient encore trop imbus des principes qui dominaient à cette époque dans le monde philosophique et économique, pour ne pas céder à leur influence quand l'occasion se présenta d'en faire l'application. Ainsi, les idées des physiocrates déterminèrent l'Assemblée constituante, malgré les sages remontrances de Roederer et de quelques esprits avancés, à concentrer tout le poids des impôts sur la propriété foncière. A peine on consentit à y joindre les taxes

mobilières et les droits de douanes. La France se vit privée d'un trait de plume des ressources immenses qu'elle aurait pu retirer des contributions imposées à tous les producteurs qui ne vivaient pas de leurs rentes, et il lui fallut bientôt chercher dans les assignats une compensation à ce déficit volontaire, ajouté au déficit de la vieille monarchie.

La création des assignats a été une source orageuse, mais féconde, de changemens avantageux dans notre ordre social. Elle a favorisé la division du sol et rendu à la culture une foule de terrains jadis consacrés à des emplois stériles. Elle a multiplié le nombre des producteurs en leur procurant le premier élément de la production, la terre, et le plus énergique stimulant du travail, la propriété. C'est dans les rapports des principaux membres de nos grandes assemblées délibérantes que les hommes sérieux de nos jours trouveront un ample sujet d'études sur ces matières importantes. Mirabeau, Necker, Roederer, Dallarde, Cambon nous ont laissé des travaux auxquels la postérité commence à rendre justice, et qui méritent de figurer parmi les monumens intéressans de l'économie politique. Quoi de plus favorable à l'industrie que la législation des brevets d'invention et que les belles discussions qui eurent lieu à ce sujet dans le sein de l'Assemblée constituante? Plus tard, la Convention nationale assurait par un décret la propriété litté

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