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du travail : la Constituante, la Convention, l'école Saint-Simonienne, l'école Socialiste et beaucoup d'autres; en quoi leurs grands essais nous ont-ils avancés ? Nous entendons gronder, comme une voix partie de l'abîme, la parole austère de M. de La Mennais, le père Bridaine de l'économie poli tique; mais il se plaint des ouvriers autant que des maîtres et il se borne à recommander la charité aux uns et la résignation aux autres. Ses paraboles véhémentes rappellent quelquefois l'Histoire philosophique et politique de l'abbé Raynal; mais on n'a pas oublié non plus les désastres de Saint-Domingue. Ce n'est pas l'éloquence fiévreuse de Raynal qui a émancipé les noirs; c'est la raison de Wilberforce, et la sagesse du parlement d'Angleterre.

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CHAPITRE XXXVI.

De l'influence des écrivains du dix-huitième siècle sur la marche de l'économie politique en Europe. Esprit des Lois. - OEuvres économiques de J.-J. Rousseau.- Opinions économiques de Voltaire. L'abbé Raynal.

11 est juste de rapporter aux philosophes du dix-huitième siècle une partie de l'honneur qui revient aux économistes pour toutes les réformes exécutées ou tentées à la fin de ce siècle. Leurs écrits en contenaient le germe, et quoiqu'il y règne une incertitude vague sur la plupart des questions sociales, si hardiment abordées par l'école de Quesnay, par celle d'Adam Smith et par Malthus luimême, on ne peut s'empêcher de convenir que Montesquieu, Rousseau, Voltaire, l'abbé Raynal ont été les précurseurs de ces grands maîtres dans la science économique. L'immense éclat dont les œuvres littéraires des encyclopédistes ont brillé, semble avoir exclusivement absorbé l'attention de

la postérité; mais la partie qui nous échappe aujourd'hui, celle qu'on lit le moins, est le véritable point de départ de toutes les théories économiques modernes. Elles y sont à l'état d'embryon, toutes prêtes à naître sous l'atmosphère brûlante de la Révolution française, et il suffit de l'oeil le moins exercé pour les reconnaître et les signaler.

Montesquieu occupe le premier rang parmi les publicistes qui ont porté leurs regards sur les plus hautes questions d'économie politique, et quoiqu'il se trompe souvent, quoiqu'il ait partagé à beaucoup d'égards les préjugés de ses contemporains, nous lui devons les premiers aperçus vraiment neufs et hardis qui aient été publiés sur l'influence du commerce, et quelques curieuses analyses de la théoric des monnaies. Quoi de plus vrai, aujourd'hui même, que cette belle apréciation du caractère des impôts : L'impôt par tête est naturel à la servitude; l'impôt sur les marchandises est plus naturel à la liberté, parce qu'il se rapporte d'une manière moins directe à la personne. » C'est Montesquieu qui a osé dire le premier que les gouvernemens les plus libres étaient aussi les plus chers (1), et si cette doctrine est vraie de nos jours, pour d'autres motifs que ceux dont parlait ce grand homme, il n'en a pas moins eu le mérite de l'avoir découverte. Il a com

«

(1) Esprit des lois, liv. XIII, chap. x11,

mencé par marcher : plus tard, on a expliqué le

mouvement.

Nous avons vivement attaqué, depuis trente ans, le système colonial et la traite des noirs; mais à part l'acte d'affranchissement rendu par le parlement d'Angleterre, qu'y a-t-il de plus éloquent au monde que le chapitre de Montesquieu sur l'esclavage des nègres! « Ceux dont il s'agit, dit-il ('), sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête, et ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre. On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une ame, surtout une ame bonne, dans un corps tout noir... Il est impossible que nous supposions que ces genslà soient des hommes, parce que si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens. De pe. tits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains: car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié! » Cette convention a été faite, grace à Dieu; mais qui pourrait nier qu'elle soit principalement due à l'ironie sublime du plaidoyer de Montesquieu ! L'économie politique a

(1) Esprit des lois, liv. XV, chap. v.

prouvé la cherté du travail des négres, et la supériorité relative de la culture par des mains libres; Montesquieu a mieux fait : il a inspiré l'horreur de l'esclavage; il l'a flétri, il l'a marqué au front; les législateurs n'ont eu qu'à enregistrer son arrêt. L'Esprit des lois avait déjà tranché cette grave ques tion, bien avant les déclamations de Raynal et les décrets de la Convention.

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J'ai hâte de payer à Montesquieu la dette de la science et de l'époque actuelle. Écoutez sa définition du commerce, qu'on croirait tirée de quelqué discours du trône, cette année, en France ou en Angleterre L'effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l'une a intérêt d'acheter, l'autre a intérêt de vendre, et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels. N'est-ce point, en deux lignes, le programme de la politique moderne? Nous marchons à grands pas vers la réalisation de cette grande pensée harmonique, qu'il fut donné à Montesquieu d'énoncer, sans pouvoir en démontrer la justesse. Cette tâche était dévolue aux économistes et jamais peut-être leurs travaux ne se distinguèrent plus nettément de ceux des philosophes du dix-huitième siècle, que dans tout ce qui a rapport à ce sujet. En effet, Montesquieu n'a pas plus tôt exposé les vóritables bases du commerce des nations, que la dé

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