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plus humble part du fruit de leurs sueurs. Les premiers qui eurent cette audace périrent dans les tortures, comme la chose se fût passée à Rome si quelque esclave avait osé demander le moindre droit à son maître.

Ainsi apparaissent à l'économiste toutes les luttes, dont les détails sanglans remplissent les pages de l'histoire. Ce serait une grande erreur de supposer que la pensée vraiment religieuse du bien-être général ait passé inaperçue au travers de ces deux mille ans de guerres et d'efforts soutenus pour la faire triompher. On verra dans le cours de cet ouvrage, que, plus d'une fois, le nuage qui la dérobait aux regards des peuples s'était dissipé pour les gouvernemens d'élite, chargés des destinées de la civilisation. La plupart ont dû agir d'une manière empirique, et sans proclamer leurs projets, de peur de les faire échouer; d'autres ont obéi, sans s'en douter, à la loi du progrès qui les entraînait malgré eux: mais jamais il n'y a eu disette complète d'hommes de cœur pour accélérer ce grand œuvre, et j'ai été surpris plus d'une fois, en parcourant l'histoire, de la hardiesse et de la netteté de leurs vues.

Les capitulaires de Charlemagne, les institutions de Saint-Louis, les maximes du gouvernement commercial des républiques italiennes sont tout pleins de dispositions claires et précises, ayant pour but le développement de la richesse publique, selon les lumières et les préjugés du temps, sans doute, mais dans les intentions les plus généreuses et les plus élevées. Au sein des assemblées privées et publiques qui consacraient leurs discussions aux affaires des avis remarquables furent souvent énoncés; j'ai eu occasion de citer des fragmens très curieux de ces opinions scientifiques. Si ces productions ne sont pas plus connues, c'est que jusqu'à nos jours les lecteurs ont préféré la narration des faits à l'analyse sévère des causes qui les ont amenés. D'ailleurs ces écrits, examinés isolément, ne semblent pas présenter une grande importance; c'est seulement quand on les compare entre eux et qu'on les étudie dans un ordre méthodique, qu'ils représentent réellement l'enchaînement des doctrines économiques adoptées à chaque époque mémorable comme règle de conduite par les gouvernemens. Parfois, lorsqu'après de longues discordes les

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deux principes de l'exploitation et de la liberté semblent près de succomber l'un devant l'autre, et se font pour ainsi dire une dernière sommation, le problème social apparait dans toute sa simplicité, tel que nos pères le posèrent dans la fameuse nuit du 4 août 1789; tel que l'avaient déjà soumis à Charles-Quint les communes d'Espagne insurgées par Padilla (1); tel enfin qu'il tend à se formuler devant les communes d'Angleterre depuis la réforme de 1832. Toutes les théories de l'économie politique se réduisent alors à de courtes maximes qui la résument clairement aux yeux des peuples liberté de travailler, liberté d'user de son travail. La réformation protestante, l'insurrection des Pays-Bas contre Philippe II, l'émancipation des colonies américaines du Nord et du Sud, les guerres civiles et les guerres étrangères ne sont que des symptômes de ce mouvement irrésistible qui entraîne l'humanité. J'ai pensé qu'il valait mieux en signaler avec exactitude les principales phases écomiques, que de négliger l'histoire européenne tout entière, et de faire commencer presque avec notre

(1) Voir le chapitre XXI de cette Histoire, page 307.

siècle une science aussi ancienne que les sociétés. Cette marche m'eût été prescrite par un simple sentiment d'équité, quand la nature de mon sujet ne m'en eût pas fait un devoir. C'est une erreur de croire que, même en ne tenant aucun compte des systèmes essayés par les gouvernemens, l'écomie politique date seulement de la seconde moitié du dix-huitième siècle. Plus de deux cents ans auparavant, l'Italie avait vu paraître des traités fort multibo.

remarquables sur une foule de sujets spéciaux qui en dépendent. Les républiques de Venise, de Gênes, de Florence savaient trop bien comment on multiplie les richesses pour n'avoir pas laissé de bons exemples à suivre et de bons livres à consulter. Plusieurs comptes-rendus de leurs doges et de leurs podestats pourraient aller de pair avec les messages les plus complets des présidens américains. J'ai cité (1) un discours du doge Moncenigo empreint des maximes économiques les plus judicieuses et un budget de Florence, plus clair et plus circonstancié dans sa brièveté que ne le sont les nôtres dans leurs indéchiffrables colonnes. Et le système de Law, que nos auteurs affectent de rejeter dans les temps hé(1) Page 299 de ce volume.

roïques de l'économie politique, qu'était-ce donc, sinon l'aurore encore incertaine et douteuse du crédit public et privé, tel qu'il se développe de nos jours? quoi! les belles réformes financières de Sully, les essais hardis de Colbert, le fameux acte de navigation des Anglais passeraient inaperçus avec la révolution causée par les croisades, avec les vastes opérations des juifs, avec le bouleversement monétaire qui suivit la découverte du Nouveau-Monde!

Si l'étude des causes qui ont ralenti ou développé le progrès de la richesse publique n'était autre chose qu'une simple affaire d'arithmétique, il ne serait peut-être pas indispensable de remonter si haut; je n'aurais compté pour rien l'avènement du christianisme, et je me serais borné à un simple exposé des belles dissertations des économistes sur la valeur et sur l'utilité. Mais c'est parce que j'ai cru voir dans l'économie politique une science vraiment sociale, plutôt qu'une théorie de finances, que j'ai voulu montrer, aussi loin que la vue de l'homme peut s'étendre, le fil providentiel qui dirige les peuples dans l'accomplissement de leur destinée. Je crois fermement qu'un jour il n'y aura plus de Parias au banquet de la vie et je puise cette espé

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