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lumer: Socrate à Athènes, Spartacus à Rome. Du sein même de la barbarie jaillissent les premières lueurs du travail et de l'ordre : Charlemagne dompta le flot qui l'avait apporté; les villes anséatiques s'élevèrent du fond des marais qui servaient de retraite à la piraterie.

Le système féodal, si funeste aux travailleurs asservis à la glėbe, est tout plein d'enseignemens précieux pour l'économie politique. C'était la division extrême de la souveraineté, comme nous assistons à la division plus extrême de la propriété. L'empire romain, un moment reconstitué par Charlemagne, avait vu la centralisation poussée au dernier degré; la féodalité nous fera voir cette grande puissance politique réduite en atomes. Ici nous assisterons à des synthèses gigantesques; ailleurs à des analyses presque microscopiques. Quelle différence ne devait-il pas y avoir entre l'économie politique du chef de quarante millions de sujets et celle d'un hobereau planant sur la campagne du haut de son donjon! Mais en haine de ce donjon, les bourgeois commencent à se blottir dans les villes, à s'organiser en confréries, et à se faire respecter

par le nombre. On ne leur prend plus leur argent, on le leur emprunte, et de ce fait en apparence insignifiant, ressort pour l'économiste l'explication de tout un nouvel ordre social.

J'ai suivi pas à pas ces grands événemens, et il m'a semblé que l'économie politique des anciens n'avait pas d'autres prétentions que celle des modernes. Dans toutes les révolutions, il n'y a jamais eu que deux partis en présence: celui des gens qui veulent vivre de leur travail et celui des gens qui veulent vivre du travail d'autrui. On ne se dispute le pouvoir et les honneurs que pour se reposer dans cette région de béatitude, où le parti vaincu ne laisse jamais dormir tranquillement les vainqueurs. Patriciens et plébeïens, esclaves et affranchis, guelfes et gibelins, roses rouges et roses blanches, cavaliers et tétes rondes, libéraux et serviles, ne sont que des variétés de la même espèce. C'est toujours la question du bien-être qui les divise, chacun voulant, si j'ose me servir d'une expression vulgaire, tirer la couverture à soi au risque de découvrir son voisin. Ainsi, dans un pays, c'est par l'impôt qu'on arrache au travailleur, sous prétexte du bien de l'état,

le fruit de ses sueurs; dans un autre, c'est par les priviléges, en déclarant le travail objet de concession royale, et en faisant payer cher le droit de s'y livrer. Le même abus se reproduit sous des formes plus indirectes, mais non moins oppressives, lorsque par le moyen des douanes, l'état partage avee les industries privilégiées les bénéfices des taxes imposées à toutes celles qui ne le sont pas.

Voyez les Romains dans les pays conquis et les Espagnols dans leurs colonies d'Amérique : à plus de mille ans de distance, vous retrouvez le même mépris de la vie humaine, les mêmes paradoxes abominables sur la nécessité pour les uns d'être exploités par les autres. C'est quelque chose de plus affligeant que ce qui se passe parmi les animaux,

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dont les espèces dévorantes vivent des espèces dévorées, sans ériger du moins leur voracité en système, et parce qu'elles ne peuvent pas faire autrement. Toutes ces horribles iniquités sociales se sont propagées au travers des âges, sous des formes diverses, quelquefois adoucies par le progrès de la raison humaine, mais toujours vivaces au fond et ́partout soutenues, tantôt avec audace, tantôt avec

hypocrisic. Ici, c'est le clergé qui s'empare de tous

les biens, et qui daigne faire l'aumône au genre hu main dépossédé, menaçant d'anathème quiconque

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oserait troubler le repos de la maison de Dieu. Plus loin, la dime appartient aux seigneurs, parce qu'ils sont des seigneurs et qu'il n'y a pas de seigneurs sans dimes. Les paysans se vendent encore en Russie comme ustensiles d'agriculture, et l'aristocratie anglaise marchande aux pauvres Irlandais quelques brins de paille, et quelques pommes de terre qu'ils partagent avec le bétail.

Il n'y a donc pas si loin qu'on le pense de l'économie politique grecque et romaine, cruelle, insatiable, inexorable, à l'économie politique de plus d'un pays en Europe. Dans notre belle France, si riche de pampres et de moissons, plusieurs millions d'hommes ne mangent pas de pain, et ne boivent que de l'eau. Le sel abonde sous leurs pieds, mais l'impot pèse sur leurs têtes, et le gabelleur, l'odieux gabelleur du moyen-âge n'a fait que changer de nom et d'habit. Si l'on découvre une plante nouvelle, le tabac par exemple, la loi en défendra la culture. C'est le cas de s'écrier avec Rousseau: tout est bien

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en sortant des mains du créateur; tout dégénère entre les mains de l'homme. Ces pauvres filles de Lyon dont les doigts de fée tissent le satin et la popeline, n'ont pas de chemises; les canuts qui décorent de leurs tentures magnifiques nos palais et nos temples, manquent souvent de sabots.

Non, ce n'est point là le dernier mot de la Providence, car de ceux qui jadis auraient été attachés haletans à la glèbe, plusieurs vivent aujourd'hui au sein de l'opulence, et ce nombre augmente tous les jours. Il n'y a pas un événement important de l'histoire qui ne concoure à ce grand résultat. Après les croisades, la terre commence à se diviser; le commerce maritime ouvre de nouvelles sources de profits; l'industrie émancipe des milliers de vassaux. Écoutez les doléances des peuples que demandent-ils, quand ils élèvent la voix? des réductions de taxes. Que voulaient ces paysans effarés de la Jacquerie, las de se voir décimés par la famine, par la lèpre et par le désespoir ? une distribution plus équitable des profits du travail. Ils étaient plus modestes encore, ils demandaient à des gens qui ne travaillaient pas de les laisser vivre au moins de la

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