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perpétuelles auxquelles se livrent les seigneurs de l'époque; on lui distribue des bons de pain, de viande, d'huile et même de bains. Les spectacles sont envahis dès la pointe du jour; les plus pressés y passent quelquefois la nuit.

Dans ce désordre général des mœurs et des coutumes qui remontait aux derniers temps de la république, on vit s'élever à Rome et dans toute l'étendue de l'empire une véritable conspiration contre le mariage. Tout le monde se réfugiait dans le célibat comme dans un asile inaccessible aux soucis et aux charges de la famille et plus d'un empereur, depuis Auguste, se vit obligé de poursuivre par des édits cette manie qui renaît pour d'autres causes , au temps où nous vivons. Un censeur invitait sérieusement les citoyens au mariage comme à une corvée patriotique, et l'état s'emparait des successions dévolues aux célibataires récalcitrans. Tous les Romains étaient saisis d'une invincible répugnance pour l'esprit d'ordre et d'entreprise, pour tout ce qui exigeait de la prévoyance ou de l'économie. Les ouvriers prolétaires rencontraient dans les esclaves-overs une concurrence d'autant plus redoutable que ces esclaves étaient nourris

x frais de leurs maîtres et, par conséquent, en état de nuire aux travailleurs salariés. Aussi le nombre des indigens était-il considérable; ils vivaient entassés dans des demeures étroites et fé

tides, en proie aux excès les plus hideux, aux privations les plus cruelles. Leurs vêtemens généralement confectionnés en tissus de laine et rarement renouvelés auraient bientôt propagé parmi eux des épidémies meurtrières, si l'usage des bains ('), universel à Rome, n'en eût prévenu l'invasion. La bienfaisance publique, inconnue dans ces temps de despotisme et d'esclavage, n'avait pas encore organisé des asiles pour la misère et pour la maladie, et Voltaire a pu dire avec raison : « Quand un pauvre diable tombait malade à Rome. sans avoir les moyens de se faire soigner, que devenait-il? il mourait. »

Ainsi, au milieu des magnificences de la puissance romaine, on n'aperçoit qu'une masse confuse de prolétaires esclaves, affranchis, domestiques et artisans qui travaillent pour suffire aux consommations improductives des grands propriétaires de capitaux ou de terres. Les arts libéraux, si glorieux et si nobles, y sont abandonnés à des mains serviles; la médecine elle-même n'est exercée que par des esclaves. Le commercs demeure toujours dans l'enfance, à moins qu'on n'appelle ❤mmerce l'opération banale d'échanger l'or des pay> conquis contre les marchandises qu'on en apportait. On cite aucune ville Romaine célèbre par quelque fabrication spéciale, comme nos grandes cités

(1) On prenait un bain pour 2 liards, quadrante lavari, a dít un poète.

industrielles, Birmingham, Lyon ou Manchester. Aucun port de l'Empire ne peut être comparé à ceux de Marseille, de Liverpool ou de NewYork ('). Et cependant, les grandes villes sont nombreuses sur toute la surface du monde romain, et leur incroyable opulence a toujours quelque chose qui nous accable. Mais cette opulence ne ressemble en rien à celle de nos états contempo rains, où les plus modestes particuliers disposent de plus de jouissances que les privilégiés de l'Empire. Toute la grandeur romaine était extérieure et théâtrale; on multipliait les monumens par ostentation, rarement dans un but d'utilité. A côté de ces monumens fastueux, le peuple habitait des demeures indignes de la splendeur nationale, et dont les appartemens mal éclairés n'en étaient pas moins exposés à l'intempérie des saisons. Nous jugerions très mal du régime alimentaire des masses, si nous ne considérions que l'élégance des ustensiles dont elles se servaient communément pour les usages domestiques. Leurs formes gracieuses excitent notre admiration, et semblent n'avoir pu convenir qu'à un peuple riche ou artiste; mais ces objets étaient bien loin de répondre à tous les besoins et de remplir la destination des ustensiles semblables dans les temps modernes. Les Ro

(1) Cicéron disait: Nolo eumdem populum imperatorem esse terrarum ei portitorem.

mains ne connaissaient ni le papier ni les plumes; ils écrivaient en lettres majuscules sur des feuilles de papyrus ou sur du parchemin, avec des poinçons de fer ou de bois. Leurs siéges étaient élégans, mais fort durs, et leurs chars, assis sur l'essieu, sans ressorts ni soupentes, n'étaient guère plus commodes que nos chariots de roulage. On ne peut admirer sans réserve parmi les productions de leur génie industriel que les aquéducs et les grands chemins, et encore y a-t-il lieu de s'étonner que des constructions aussi gigantesques n'aient été établies que dans un intérêt purement militaire et pour l'embellissement de quelques cités.

CHAPITRE VII.

De l'importance des moyens de communication chez les Romains. -Services que leurs grands chemins auraient pu rendre à la civilisation et au commerce.- Esquisse des principales lois romaines en matière d'économie politique. —Vue générale de leur com

merce.

Les grands chemins de l'empire romain ont dépassé en grandeur et en solidité tout ce qui a été exécuté de plus magnifique en ce genre, de temps immémorial ; leurs ruines que nous admirons encore sous l'herbe qui les couvre, ne permettent pas de douter de toute l'importance qui s'attachait au perfectionnement de ces prodigieux élémens de puissance et de civilisation. Et cependant, ces grands chemins ne semblent pas avoir rendu à la civilisation tous les services qu'elle en retire aujourd'hui ; ils ne sont pas devenus pour Rome la source d'une grande prospérité commerciale; ils ont rarement prévenu la disette et les malheurs qu'elle entraîne à sa suite. Les Romains n'y ont vu que le moyen de

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