Page images
PDF
EPUB

le gouvernement comme le prix de la victoire : il lui donne les livrées de son parti (') ». Plus on relit Aristote, plus on reconnaît que ce grand écrivain a résumé en toute chose les idées les plus avancées de la civilisation de son temps. Car il y a eu en Grèce, à Rome, comme dans le reste de l'Europe depuis l'ère chrétienne, des époques et des hommes qui ont mérité le privilége de représenter mieux que les autres le caractère et la pensée de plusieurs générations. C'est ainsi qu'on peut s'expliquer la puissante influence des grands hommes et des grands écrivains de la Grèce, malgré la diversité d'intérêts de toutes les républiques qui ont occupé ce petit territoire. En dépit des nombreux changemens que les institutions de ces républiques ont éprouvés aux divers âges de la Grèce, elles reposaient sur des principes à peu près invariables, mais dont l'esclavage formait toujours la base. Tout ce qui n'était pas grec était considéré comme barbare; les prêtres, les philosophes législateurs, les guerriers et les orateurs, ont passé tour à tour par le pouvoir sans ébranler les vieux fondemens de la civilisation grecque, l'horreur du travail industriel, le mépris du commerce, l'indifférence pour tout ce qui était étranger ou esclave. En vain, les grandes expéditions d'Alexandre et les développemens de leur puissance maritime auraient facilité aux di(1) Politique, liv. Iv, chap. xI.

verses nations grecques l'établissement d'un grand empire oriental: leurs divisions intestines et l'abus du servage leur ont fait perdre cette chance glorieuse, et le fédéralisme grec a disparu devant l'unité romaine dès qu'il a plu à celle-ci de se mon

trer.

CHAPITRE IV.

Des colonies grecques et de leurs relations avec la métropole.-Elles ont contribué à répandre dans une grande partie de l'Europe les idées dont le foyer était à Athènes et à Sparte. Elles ont été fondées, comme les nôtres, par des émigrations, mais elles ont joui d'une plus grande indépendance.

L'histoire de la Grèce ancienne présente, comme celle de l'Europe moderne, le phénomène remarquable d'une fédération de petits peuples qui tiennent en respect des contrées immenses, par le seul ascendant de leur supériorité morale. La carte des colonies grecques ressemble à un monde, quand on la compare à celle du Péloponèse et des autres dépendances métropolitaines de terre ferme. Les Grecs avaient en effet des colonies dans l'Asie-Mineure, sur les bords de la mer Noire, à Chypre, en Crète, en Sicile, en Gaule, en Espagne et en Afrique. Ils y comptaient les villes par centaines et l'on ne saurait douter que la plupart de ces villes aient joui de la plus grande

opulence, même dans le sens que nous attachons aujourd'hui à ce mot. Dans le principe, elles furent le produit de la conquête; on s'emparait des habitans comme esclaves, et de leurs terres comme d'un domaine public. Plus tard, les nations conquises furent reçues à capitulation; les Grecs y envoyèrent l'excédant de leur population famélique et turbulente, et il se forma une association véritable entre les indigènes et les émigrans. Tant que la métropole pouvait les maintenir dans l'obéissance au moyen de ses flottes, la dépendance était réelle; mais il suffisait d'une interruption dans les communications pour remettre sa suprématie en question. C'est ainsi que la défaite d'OEgos-Potamos fit perdre à Athènes toutes ses clérouquies.

On ne saurait douter, néanmoins, que le régime colonial des anciens n'ait été, en général, plus indépendant que le nôtre de l'influence des métropoles. Les Grecs n'avaient point à leur disposition les flottes immenses des peuples modernes, ni la puissance de l'artillerie qui agit de loin, sans nécessiter des débarquemens. Toutes les fois qu'une de leurs colonies s'insurgeait, ils étaient obligés d'y transporter des troupes à grands frais et ces troupes devaient être très nombreuses pour résister au choc de l'ennemi. Aussi la plupart des établissemens grecs ont-ils fini par devenir entièrement libres de toute influence extérieure. Le travail y

était honoré, le commerce florissant et l'aisance beaucoup plus généralement répandue que dans les grandes cités métropolitaines. Ephèse, Smyrne, Phocée et Milet se sont élevées à un degré de prospérité inoui. Milet seule avait quatre ports et une flotte de plus de cent vaisseaux. On sait les merveilles de Rhodes, la richesse de Smyrne, la hardiesse des navigateurs Phocéens, fondateurs de Marseille. Les grecs asiatiques ont perfectionné de bonne heure la teinture des laines, l'exploitation des mines, la fonte des métaux. Leurs savans ont tous contribué aux progrès des sciences; la philosophie, l'astronomie leur doivent de brillantes découvertes; les beaux-arts des monumens magnifiques. Ils eurent aussi leurs constitutions particulières et devinrent assez puissans pour faire des conquêtes. L'ile de Crète a longtemps maintenu son indépendance par le commerce et n'a succombé que devant la domination Romaine.

Une grande partie de l'Europe actuelle, la Gaule, l'Espagne, l'Italie méridionale ont long-temps existé à l'état de colonies grecques. La Sicile seule était un véritable empire et les établissemens situés dans la portion actuelle du royaume de Naples qui se termine aux deux Calabres, parvinrent à un tel degré de splendeur qu'ils effacèrent l'éclat de la mère-patrie et méritèrent le nom de Grande Grèce. Tous ces états commerçaient librement entre eux, moyen

« PreviousContinue »