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formateurs, choisies de trois ans en trois ans dans une assemblée publique et autorisées par leur charge, à laquelle étaient attachées toutes sortes d'exemptions, non seulement à dénoncer aux juges tous pères, enfans de famille et telles autres personnes accusées de porter la dissolution au delà des bornes de l'honneur, et les dépenses superflues au delà de leurs facultés, mais encore à obliger les juges eux-mêmes, en les prenant à partie en cas de refus, à apporter le remède qui leur était prescrit contre les excès dans l'un et l'autre genre. Deux monitions devaient précéder toute poursuite criminelle; mais à la troisième, on intentait une espèce d'action de curatelle par laquelle les mauvais ménages voyaient le maniement de leurs biens et effets passer en des mains qui ne leur en laissaient précisément que les deux tiers, et réservaient l'autre pour l'acquit de leurs dettes. Nulle condition n'en était exceptée, et aucun citoyen n'aurait vraisemblablement évité cette censure, parce qu'elle avait elle-même à répondre de ses actions à un tribunal supérieur, dont les ministres étaient aussi bien qu'elle fixés dans leur devoir par la menace d'une peine égale au déshonneur. Il aurait été établi en même temps qu'aucune personne de quelque qualité et condition qu'elle pût être, n'eût pu emprunter une somme, censée considérable par rapport à ses facultés, niancune autre la lui prêter, sous peine

de la perdre, sans qu'il fût déclaré dans les contrats ou obligations à quoi on prétendait employer cel emprunt. Il était encore défendu, dans la même vue, à tous pères de famille de donner à un de leurs enfans, en les établissant, une somme plus grande que de justice, eu égard à leurs moyens présens, au nombre de ces enfans nés ou à naître, excepté le cas seul qui permettait à l'autorité paternelle méprisée ou blessée de punir un enfant vicieux ou dénaturé, »

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On croirait entendre, en lisant ces lignes, une prédication saint-simonienne de nos jours, et la ressemblance des doctrines est encore plus frappante dans les dispositions menaçantes de Sully, pour détruire, ainsi qu'il le disait, l'art méprisable de la chicane. Dans les procès entre parens, le demandeur était tenu avant toute chose, de faire offre et même sommation de remettre tous ses différends à l'arbitrage de quatre personnes, choisies parmi les parens ou amis des parties, deux par chacune; up sur-arbitre nommé par les arbítres devait les départager. « A l'égard des épices, salaires, vacations et autres frais, ainsi que de tous les différens subter-. fuges de la chicane et de tous les autres abus du barreau dans les plaidoyers, les écritures, dont les plaintes se font entendre partout ('), le roi croyait ne pouvoir mieux faire que de remettre tout ce dé(1) Rien n'est changé à cet égard depuis Sully.

tail à discuter et à régler à douze hommes choisis parmi les plus intelligens dans les affaires. >> Sully eût donc fait rédiger deux cents ans plus tôt le code de procédure civile. Henri IV était tellement préoccupé du désir de ces réformes, que le jour où Sully lui en envoya le programme rédigé de sa main, le roi le fit appeler sur le champ pour en causer ensemble, et aussitôt qu'il le vit : « allez dire aux capucins, s'écria-t-il, qu'on retarde ma messe, car il faut que je m'entretienne avec cet homme là, qui n'est pas homme à messe.» La mort de Henri IV empêcha l'exécution de ces vues dont la plupart sans doute étaient impraticables, mais n'exprimaient pas moins la pensée économique de Sully, telle qu'on la trouve dans les actes accomplis de son administration. Le principal mérite de ce grand ministre, fut d'avoir rétabli l'ordre dans les finances et d'avoir facilité par cela seul le retour ou plutôt la création des élémens essentiels de la prospérité publique. Son canal de Briare a ouvert en France la première voie hydraulique, à laquelle il ajouta bientôt sur les rivières l'établissement des coches publics, comme il avait organisé sur les routes les maisons de poste avec des chevaux pour les voyageurs. Il avait trouvé la France endettée de trois cents millions de francs, qui feraient près d'un milliard aujourd'hui : il la laissa presque entièrement libérée. Il réduisit les impôts, améliora les routes, les fortifications, le matériel de

guerre, le domaine public, et fournit au trésor une réserve en espèces de quatorze millions déposés à la Bastille. Douze années avaient suffi pour amener ces résultats, qui préparèrent l'avénement des beaux jours du règne de Louis XIV, et qui installèrent définitivement l'économie politique dans les conseils des rois.

CHAPITRE XXVI.

Du ministère de Colbert et de ses conséquences économiques. Édit et tarif de 1664. Son véritable but. — Édit de 1667.- Encouragemens aa mariage. Belles instructions données aux ambassadeurs. Véritables doctrines de Colbert. C'est à tort qu'on le considère comme le fondateur du système prohibitif.

Entre l'administration de Sully et celle de Colbert, il y a celle de deux prêtres, Richelieu et Mazarin, dissipateurs l'un et l'autre quoique pour des motifs différens et dont les vues toutes personnelles n'ont rien de commun avec l'économie 'politique; mais il y a aussi le règne d'Élisabeth d'Angleterre et le développement de la puissance commerciale des Pays-Bas, magnifiques épisodes dans l'histoire de la science et du monde. Colbert domine ces deux événemens de toute la hauteur de son génie, et l'éclat dont ils ont brillé en Europe pâlit devant le récit des grandes choses accomplies par le ministre de Louis XIV. Colbert est, en effet, le seul ministre qui ait eu un système arrêté, complet et conséquent dans toutes ses parties, et c'est l'hon

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