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l'intégrité du système monétaire. De tous les procès pendans au tribunal de la science, il n'y en a point qu'elle ait jugé avec plus d'expérience et de maturité, et sur lequel son jugement soit plus inattaquable. Chacun sait aujourd'hui que les véritables avantages que l'Europe a retirés de la découverte des mines du Nouveau-Monde, ne viennent pas exclusivement de l'abondance des métaux précieux, mais de la culture des denrées consommables qui font la base de nos échanges avec ce pays. L'or et l'argent ont disparu; le coton, le sucre et le café sont restés. La seule découverte de la pomme de terre a mieux valu que celle des mines du Pérou et du Mexique.

CHAPITRE XXV.

De quelques fâcheuses conséquences de la découverte des mines d'Amérique.-Des premières apparitions de pauvres en Angle terre. Ministère de Sully. Ses réformes financières. Ses idées erronées sur l'industrie et le commerce. Il est le plus ardent propagateur du système mercantile. Son penchant pour

les lois somptuaires.

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Ses rudes attaques contre les abus de finances. Résultats définitifs de son administration.

Si l'on se bornait à examiner la surface des choses, il y aurait peut-être lieu de déplorer la découverte des mines du Nouveau-Monde. La grande importation de numéraire qui en fut la conséquence ne semble, en effet, avoir servi qu'à bouleverser l'Europe et à jeter la perturbation dans les esprits et dans les intérêts. Charles-Quint et Philippe II s'en servent pour assouvir leur ambition, en suscitant partout des guerres sanglantes et ruineuses; les autres princes n'y voient qu'une occasion d'accaparer le numéraire de leurs sujets, afin de lutter à armes égales contre les possesseurs de la nouvelle terre promise. Partout l'esprit de fiscalité se réveille à l'aspect des monceaux d'or et d'argent qui nous

viennent de l'Amérique, et le premier résultat de cette inondation est de suspendre l'activité des peuples et des rois, uniquement pressés de courir après la richesse des mines, plutôt que d'encourager celle qui vient du travail. On a vu quelle fut la surprise des uns et les expédiens imaginés par les autres, à l'apparition de ces phénomènes inconnus de hausse subite dans le prix des choses, sans augmentation dans le taux des salaires. En vain on opposait aux incidens de chaque jour des palliatifs nouveaux; le mal renaissait sous mille formes imprévues, toujours plus menaçant et plus incurable. La fausse monnaie, les augmentations d'impôts, les exactions de tout genre n'y pouvaient porter remède, et la plus affreuse anarchie faillit désoler un moment toute l'Europe.

Qu'on se transporte, par la pensée, au temps de nos guerres civiles, sous Henri III, lorsque de toutes parts le vieux catholicisme ébranlé jusqu'en ses fondemens, essayait de ressaisir un pouvoir prêt à lui échapper. C'était l'époque la plus brillante des mines d'Amérique; chaque année les galions revenaient du Mexique chargés de piastres fortes, et cependant la pauvreté régnait partout, malgré ces élémens naissans d'opulence, et, d'une extrémité à l'autre, l'Europe était en proie à la discorde et à la misère. On n'entendait parler que d'extorsions et de pillages. « Le pays, s'écriait un

écrivain français contemporain ('), est mangé non seulement par la gendarmerie et par les gabelleurs; mais d'heure à autre sortent des citadelles les soldats qui vont à la picorée, avec des insolences et des excès tels et si grands, qu'il n'y a village ou maison qui, une, deux et trois fois la semaine, ne soit contrainte de contribuer à l'appétit de ces canailles; quand le soldat sort, le sergent y entre, et d'ordinaire les maisons sont remplies de gens d'armes, soldats, collecteurs de tailles, sergens et gabelleurs, tellement que c'est bien merveille quand l'heure du jour a passé sans être visité de telles gens. >>

La même chose se passait en Angleterre, en Flandre, en Italie, en Allemagne. On eût dit que des armées entières de soudards s'étaient ruées sur la fortune publique, et que les peuples étaient condamnés à verser désormais leurs sueurs et leur sang jusqu'à la dernière goutte pour assouvir cette soif d'or et d'argent qui dévorait leurs oppresseurs. Au lieu de seconder les ressources naturelles de chaque pays, les métaux précieux ne servirent d'abord qu'à les épuiser, et il a fallu près de trois siècles d'expériences et de malheurs pour nous apprendre que leur véritable destination était d'alimenter l'industrie plutôt que la guerre. Les mines d'Améririque ont été découvertes cent ans trop tôt; elles

(1) Fromenteau, le Secret des finances, édition de 1581.

n'auraient dû verser leurs trésors en Europe qu'après les longues guerres de religion, d'où sortirent la liberté d'examen, l'ordre dans les finances et la sécurité pour le travail. Aux mains d'un roi tel que Philippe II, leur action fut plus meurtrière que celle de la poudre, et c'est par elles, ou à cause d'elles que la France, l'Espagne et l'Angleterre ont été si long-temps désolées. Les princes qui n'avaient point de mines, en cherchèrent l'équivalent dans la bourse de leurs sujets, sans songer qu'en attaquant ainsi les capitaux en même temps que les revenus, ils frappaient la production dans sa source et l'état dans sa vie. Aussi, lorsqu'on étudie l'histoire de ces temps déplorables, on n'entend plus parler que de provinces épuisées, de maisons détruites, de malheureux errans dans les campagnes. Quand les États de Blois s'assemblèrent, on leur présenta l'énumération de ces scènes de désespoir et de ruine, et dans tous les diocèses, après chaque exposé des pertes en argent, on disait le nombre de prêtres égorgés, de moines, de soldats et bourgcois massacrés, de filles et de femmes violées, sans que jamais ce supplément au budget des misères contemporaines ait été oublié.

La plus horrible confusion régnait également en Angleterre, et le règne d'Élisabeth, dont les résultats devaient être si glorieux pour son pays, avait commencé sous des auspices très lugubres.

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