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gards en arrière et présenter un exposé rapide des révolutions monétaires qui ont précédé et suivi la découverte du Nouveau-Monde.

CHAPITRE XXIV.

Des divers systèmes monétaires qui ont régné en Europe depuis les anciens jusqu'à la découverte des mines du Nouveau-Monde. Conséquences économiques de la découverte de ces mines. -- Vue générale des ouvrages qui ont été publiés sur les monnaies.

Les anciens avaient apprécié aussi bien que les modernes les véritables fonctions de la monnaie. Aristote en avait dit : « C'est une marchandise intermédiaire destinée à faciliter l'échange entre deux autres marchandises. » Xénophon (1) n'est pas moins explicite: « Dans la plupart des autres villes, dit-il en parlant d'Athènes, un marchand est obligé de prendre des marchandises en retour de celles qu'il y apporte, parce que la monnaie dont on y fait usage n'a pas grand crédit au dehors; chez nous, au contraire, le commerçant étranger a l'avantage de trouver une multitude d'objets qui sont partout en demande, et, de plus, s'il ne veut pas encombrer son vaisseau de marchandises, il se fait solder en (1) Essai sur le revenu de l'Attique.

argent comptant, qui de tous les articles commerçables est le plus sûr et le plus commode, attendu qu'il est reçu en tout pays, et qu'en outre, il гарporte toujours quelque profit à son maître, quand celui-ci juge à propos de s'en défaire. »

Les fonctions de la monnaie n'ont pas changé depuis Xénophon et Aristote; l'argent est toujours une marchandise intermédiaire destinée à faciliter l'échange entre les autres marchandises. D'où vient donc que son histoire, qui semblerait devoir être très simple, est précisément la plus compliquée et la plus difficile de toutes celles dont l'ensemble constitue les annales de l'économie politique? d'où vient que tous les peuples ont eu leur monnaie particulière, au lieu de s'entendre pour le choix d'un étalon uni. forme? et surtout pourquoi chaque siècle nous of fre-t-il le spectacle d'une révolution monétaire, c'està-dire d'un bouleversement dans la valeur, la forme, le poids et le titre du principal élément de la circulation, celui de tous qui aurait dû demeurer le plus inaltérable? pourquoi, enfin, voit-on apparaître tour-à-tour, sur les marchés du monde, tantôt de bons écus, tantôt de mauvais; les uns de métal presque pur, les autres presque absorbés par l'alliage? Une réponse exacte et développée à toutes ces questions exigerait des volumes, et ces volumes existent; aussi me bornerai-je à indiquer les plus importans, pour ne pas donner à l'examen du sujet qui y est

approfondi plus d'étendue que n'en comportent les proportions de cette histoire.

La question des monnaies est une de celles que les modernes ont le plus compliquée; il y règne la même confusion que dans les langues, et la simplicité ingénieuse des anciens a été remplacée par des combinaisons tellement inextricables, que nous avons perdu l'espoir d'y revenir, quand même l'Europe entière ferait un pacte dans ce but. Posons quelques principes pour nous guider dans cette étude. La qualité essentielle d'une monnaie est qu'elle conserve sa valeur depuis l'instant où on la reçoit jusqu'à celui où on la donne; autrement, on ne recevrait plus, en échangeant ce qu'on vend contre ce qu'on achète, une marchandise égale en valeur à celle qu'on aurait livrée. Une autre propriété de la monnaie, c'est que sa valeur se mesure comme celle de tout autre objet, sur la quantité de choses qu'une autre personne consent à donner en échange; si, contre une once de monnaie d'or, on consent à donner quinze fois plus de blé ou de toute autre marchandise qu'on n'en donnerait contre une once de monnaie d'argent, il sera aisé de conclure que la monnaie d'or, à poids égal, vaut quinze fois plus que la monnaie d'argent. Ainsi, déjà nous pouvons expliquer la folie des tentatives qui ont été faites. à diverses époques pour altérer les monnaies, c'està-dire pour leur donner, par la force, une valeur

qu'elles n'avaient pas. A mesure que ces altérations ont été opérées, le prix des marchandises s'est élevé, parce que chacun se refusait à en donner une quantité égale pour une valeur métalliquedevenue moindre. Aussi a-t-il fallu proclamer le maximum toutes les fois qu'on a voulu obtenir quelques résultats de ces grandes spoliations. Quand les écus d'une once furent réduits à une demi-once, sous Louis XIV, ils n'achetèrent plus que trente livres de froment au lieu de soixante. A toutes les autres époques de notre histoire, bien avant et bien après Louis XIV, les mêmes causes ont produit les mêmes résultats.

Les manipulations plus ou moins frauduleuses qui ont été exercées sur les monnaies, depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, viennent d'une erreur des gouvernemens, aujourd'hui encore assez répandue, et qui a fait supposer à la monnaie un caractère de fixité qu'elle n'a point. On s'est imaginé mal à propos que l'unité monétaire, en sa qualité de mesure des valeurs, avait elle-même une valeur invariable, et que lorsqu'on payait une marchandise tantôt plus, tantôt moins, c'était nécessairement la marchandise qui changeait de valeur, et non la monnaie. Cette erreur a servi de prétexte à la cupidité de plusieurs princes auxquels on persuadait imprudemment qu'il dépendait d'eux de doubler leurs ressources en déclarant que cent mille écus valaient six cent mille francs, comme s'ils ne devaient pas être punis le

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