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à Charles-Quint et couronner toutes ses entreprises, il s'élevait dans la vieille et laborieuse Allemagne une puissance qui devait détruire le fruit de ses victoires et préparer de grandes humiliations à son successeur. La liberté d'examen renaissait à la voix d'un moine irrité. Les germes d'indépendance mal étouffés dans les villes anséatiques fermentaient de nouveau sous l'influence des prédications brûlantes du protestantisme. Les paysans opprimés couraient aux armes; les écrivains les plus courageux préludaient par des essais hardis aux manifestes éloquens du dix-huitième siècle ('). La contrebande et l'interlope amortissaient l'effet des monopoles naissans. Les vexations des traitans, la vénalité des charges et le poids des impôts faisaient sentir le prix de l'ordre dans les finances et le besoin de con

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(1) Pauvres gens et misérables, disait La Boëtie (*), peuples insensés, nations opiniâtres en votre mal et aveugles en votre bien, vous vous laissez emporter devant vous le plus beau et le plus clair de votre rcvenu, piller vos champs, voler vos maisons et les dépouiller des meubles anciens et paternels; vous vivez de sorte que vous pouvez dire que rien n'est à vous... et tout ce dégât, ce malheur, cette ruine, vous vient, nou pas des ennemis, mais bien certes de l'ennemi et de celui que vous faites si grand qu'il est, pour lequel vous allez si courageusement à la guerre, pour la grandeur duquel vous ne refusez point de présenter à la mort vos personnes. Celui qui vous maîtrise tant n'a que deux yeux, n'a que deux mains, n'a qu'un corps et n'a autre chose que ce qu'a le moindre homme du nombre infini de vos villes, sinon qu'il a plus que vous tous l'avantage que vous lui faites pour vous détruire,

(*) Le Contr'un, page 125.

sidération chez les magistrats, et fortifiaient l'éducation des peuples par de rudes épreuves. L'esprit d'examen émané de la réformation protestante venait de pénétrer dans toutes les questions sociales: il est important d'en étudier les conséquences économiques avant d'aborder celles qui suivirent la découverte de l'Amérique, car ces deux mots réformation et nouveau monde sont tout pleins d'enseignemens mémorables.

CHAPITRE XXII.

De la réformation protestante et de son influence sur la marche de l'économie politique. - Sécularisation des moines. Vente des biens d'église. Leur importance en Angleterre à cette époque. - Augmentation des jours de travail.

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Lois sur les pauvres.

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Il y a quelque chose de vraiment providentiel dans la marche du travail et de la liberté. Poursuivis sur un point, ils se réfugient sur un autre; arrêtés dans leur essor, ils s'élancent plus vivement vers l'avenir, aussitôt que cet essor leur est rendu. A l'esclavage grec et romain succède l'indépendance barbare; celle-ci, à son tour, à peine altérée par le servage féodal, reparaît plus brillante et plus forte dans les communes affranchies. La glėbe succède à la meule, et les corporations précèdent la liberté du travail. Quand une expérience a fait son temps, elle rentre dans la nuit du passé et soudain recommence l'expérience nouvelle, chargée de transmettre à la postérité le dépôt et le profit de

toutes celles qui l'ont précédée. La réformation protestante est une de ces grandes péripéties du développement majestueux de l'humanité. Ses commencemens furent très humbles; mais ses résultats ont changé la face de l'Europe. Léon X n'y avait vu que la révolte d'un moine et Charles-Quint qu'une infraction au dogme de l'obéissance passive; mais sous la révolte du moine se cachait une protestation contre l'exploitation de la chrétienté par l'évêque de Rome, et l'apparition de Luther à la diète de Worms ne fut que le prélude de la ligue de Smalkalde, c'est-à-dire de la première confédération des petits états contre le despotisme des grands. Aussi, dès les premiers éclairs de cette tempête, il devint évident que la foudre allait frapper des institutions que l'on croyait consolidées par le temps, mais que le temps avait minées. Comme la découverte du cap de Bonne-Espérance venait d'arracher aux Vénitiens le monopole du commerce, l'établissement du protestantisme enleva aux papes et aux empereurs la domination de l'Europe. Les Guelfes et les Gibelins furent mis hors de cause et la question socialc apparut sous un jour tout nouveau.

On ne peut s'empêcher de reconnaître une sorte de corrélation consolante et merveilleuse entre ces grands événemens contemporains tels que la traite des noirs et la réforme protestante destinée à y mettre un terme, la monarchie universelle de

Charles-Quint et la formation des états allemands, auxquels se joindront plus tard la Suède toute entière amenée au combat par le grand GustaveAdolphe, et les Provinces-Unies de Hollande, ensanglantées par Philippe II. Mais nous n'avons à les considérer que sous le point de vue économique et quoique, pour cet examen, la plupart des historiens soient des guides peu sûrs, les résultats présentent un caractère tellement prononcé, qu'il suffira de les indiquer pour en faire sentir l'importance. Ce n'était d'abord qu'un refus de payer les indulgences au moyen desquelles Rome battait monnaie jusque dans les moindres villages ('); mais ce refus devint l'ère d'une première réforme dans le système des impôts, et il n'y a pas aussi loin qu'on le pense de cette réforme aux discussions financières des parlemens constitutionnels modernes. En Allemagne, les petits princes eurent bientôt compris tout le parti qu'ils pouvaient tirer de l'enthousiasme religieux, pour entrainer leurs peuples à la résistance aux projets ambitieux de l'Autriche. D'ailleurs, l'appåt des trésors du clergé que chaque

(1) J'ai eu entre les mains l'original d'un diplôme d'indulgence plé nière accordé pour la somme d'environ 1 franc 50 centimes de notre monnaie; il y était dit textuellement: Veniam damus Joanni N. pro omnibus peccatis præteritis, præsentibus e! FUTURIS, quantumcùmque enormibus... Le bénéficiaire avait ajouté en marge, peut-être imprudemment, le nom de sa femme, qui se trouvait ainsi comprise dans l'indulgence par dessus le marché.

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