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d'une gestion industrielle, où toutes les ressources sont mises en œuvre avec ordre, intelligence et économie. On dirait de vastes entreprises, fortes d'un crédit assuré, qui expédient dans tous les ports de riches cargaisons, et qui s'occupent sans cesse de suffire, par une production infatigable, aux besoins d'une consommation immense. C'est, en effet, dans le sein des républiques italiennes qu'ont pris naissance les arts les plus ingénieux et les doctrines financières les plus avancées dont l'histoire fasse mention à cette époque; et l'on ne saurait dire à quel degré de splendeur ces états auraient pu s'élever encore, sans le funeste avénement de Charles-Quint, qui changea tout à la fois la face de l'Europe et celle de l'économie politique.

CHAPITRE XXI.

De la révolution causée par Charles-Quint dans la marche de l'économie politique. —L'esprit de conquête substitué à l'esprit de - Établissement officiel du système restrictif.-Traite Exactions financières. Couvens et paupérisme. -

commerce.

des noirs.

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Résistance du protestantisme.

Charles-Quint, enfant de Flandre, empereur allemand et monarque espagnol, réunissait au plus haut degré toutes les antipathies italiennes. Il venait d'un pays où les manufactures de Venise, de Milan, de Florence et de Gênes avaient trouvé de redoutables concurrences; il était, en sa qualité d'empereur d'Allemagne, la personnification la plus haute du parti Gibelin, si abhorré en Italie; et, comme roi d'Espagne, il allait devenir le plus funeste rival des banquiers italiens, incapables d'opposer une résistance sérieuse à l'heureux possesseur des mines du Mexique et du Pérou. A peine monté sur le trône, il mit dans la balance du commerce, outre le poids de son épée, celui du nou

veau monde et d'une grande partie de l'ancien. En politique, en religion, en industrie, sa puissance ne voulut point souffrir de rivale; et, dès l'âge de vingt ans, il se prépara à soulever toutes les questions et à bouleverser tous les royaumes.

Ce n'est pas sans raison que les historiens s'ac cordent à considérer le règne de ce prince comme le point de départ d'un nouvel ordre social en Europe. A dater de son règne, en effet, il s'opère un changement rapide et profond dans la marche de la civilisation. Les idées sont aussi agitées que les empires, et pour la première fois, depuis bien des siècles, le monde semble convoqué à la lutte définitive du despotisme et de la liberté. La découverte de l'Amérique, l'expulsion des Maures d'Espagne, la réformation protestante, la traite des noirs, sont des événemens contemporains de Charles-Quint, et chacun de ces événemens porte dans ses flancs le germe de vingt révolutions futures. Au régime municipal qui s'était établi sous l'influence du travail dans toutes les villes libres de l'Allemagne, de la Belgique, de l'Espagne et des républiques italiennes, nous allons voir succéder la domination de quelques puissantes monarchies qui se partageront l'Europe, après l'avoir ruinée. Charles-Quint a été le principal instrument de cette révolution, dont le contre-coup devait être si fatal à l'économie politique, en mettant sous la protection de la force les

plus funestes doctrines qui aient affligé l'humanité. La nécessité de soutenir des guerres sans cesse renaissantes, réduisit ce monarque, dès les premières années de son règne, à des expédiens financiers qui enlevèrent la majeure partie des capitauxaux industries productives, pour les engloutir dans le gouffre de la consommation stérile. Son trésor était toujours vide; ses troupes étaient mal soldées, et elles prirent l'habitude de vivre au moyen de pillages, de concussions ou de taxes arbitraires. Des mesures violentes et oppressives remplacèrent partout le système régulier de contributions établi par les financiers italiens. Alors commencèrent les extorsions de toute espèce, les logemens militaires, les impôts excessifs sur la consommation, qui faisaient renchérir le prix de la main-d'œuvre au détriment des manufactures. On augmenta les droits sur les matières premières à l'entrée et sur les produits fabriqués, à la sortie. Au libre exercice des arts on substitua le monopole des métiers et celui du commerce. Partout s'élevèrent, flanquées de priviléges, les manufactures impériales ou royales dont il fallut acheter des licences pour avoir le droit de travailler. Tout cet attirail restrictif s'établissait peu

à

peu dans les lois et dans les mœurs; puis vinrent les sophistes qui en firent des doctrines, et c'est ainsi que toutes les hérésies économiques dont l'Europe est encore infestée, sont devenues d'autant plus

difficiles à détruire qu'elles se présentent avec la sanction du temps et le caractère de l'autorité. Charles-Quint les rendit plus funestes, en les organisant, en les faisant pénétrer dans l'administration dont elles devaient devenir la règle de conduite et le dogme inviolable.

Une conséquence plus déplorable du système impérial autrichien-espagnol fut de remettre en honneur l'aristocratie de parchemin et d'épée, qui commençait à disparaître devant les notabilités de l'industrie et du commerce. La noblesse des républiques italiennes, des villes anséatiques, des grandes cités marchandes belges, françaises et espagnoles, travaillait du moins et s'honorait d'une origine laborieuse; mais Charles-Quint se mit à vendre des titres pour avoir de l'argent, et le préjugé castillan, qui fait consister la noblesse dans l'oisiveté, se répandit comme un fléau sur toute l'Europe. Un seul règne suffit pour faire rétrograder les libertés publiques jusqu'aux plus mauvais temps de la féodalité. Chaque jour, quelque grande existence industrielle se retirait de l'arène, où il ne lui était plus possible de se maintenir sans déroger. Les seigneurs avaient cessé de détrousser les passans sur les routes, comme faisaient leurs prédécesseurs du haut des vieux donjons; mais ils se retranchèrent dans les priviléges qui leur assuraient la meilleure part des profits du travail de leurs con

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