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au succès de leur exploitation que Thémistocle dut les moyens de porter à sa plus grande hauteur la puissance maritime de l'état. Toutefois ces mines ne tardèrent pas à s'épuiser, et du temps de Strabon on en retirait à peine de quoi couvrir les frais d'exploitation. Il est probable aussi que les connaissances imparfaites des anciens dans les sciences chimiques ne leur permirent pas d'en tirer le parti convenable. Ce travail était exécuté par des bandes d'esclaves naturellement peu instruits, assez mal disciplinés, et qu'on pourrait comparer avec exactitude à ces malheureux Indiens dont les Espagnols avaient peuplé leurs mines du Mexique et du Pérou, au commencement de la conquête. Aussi, rien n'égala le désespoir des Athéniens quand ces ressources précieuses leur manquèrent tout-à-coup, et qu'ils se virent, comme les Espagnols de nos jours, réduits à chercher dans le travail dont ils avaient perdu l'habitude, un refuge contre la misère et la ruine. Cette révolution dut leur être d'autant plus pénible, que les mines étaient réparties entre un plus grand nombre de propriétaires ou de fermiers, jusque-là fort riches et placés sur la même ligne que les agriculteurs et les marchands les plus opulens.

Tout nous porte à croire que les anciens partagcaient les préjugés modernes au sujet des métaux précieux. Nous verrons dans l'exposé des Econo

miques de Xénophon qu'ils considéraient l'or et l'argent comme la richesse par excellence, et que leur politique eut toujours pour but de faire affluer ces métaux sur le territoire national par tous les moyens possibles. C'est ainsi qu'ils avaient établi sur les marchandises étrangères l'impôt du cinquantième, qui était une taxe de douane. Cet impôt devait être acquitté au moment du déchargement des marchandises, en argent et non en denrées, opération facile si l'on considère que presque tout le commerce de la Grèce se faisait par mer. 11 devait même exister à la porte de certaines villes un véritable octroi, source de fraudes comme le nôtre, puisque les auteurs rapportent plusieurs cas extrêmement curieux de contrebande, entre autres celui d'un paysan qui introduisait des barils de miel dans des sacs d'orge, et qui fut découvert par des préposés accourus au secours de son âne abattu.

La monnaie d'or et d'argent était assez rare chez les Grecs avant leurs expéditions en Orient. La conquête d'une partie de l'Asie par Cyrus fit affluer vers l'Occident une masse immense de numéraire, et sans doute les fabuleux récits des richesses de Crésus et du Pactole aux sables d'or doivent leur origine à des faits vraisemblables que l'imagination des Grecs aura exagérés. La grande variété des monnaies importées donna naissance à l'industrie des

changeurs qui spéculaient, comme ceux de nos jours, sur la conversion des espèces. Les Athéniens exerçaient d'ailleurs une surveillance sévère sur la fabrication de la monnaie, et la leur était de si bon aloi qu'on la recherchait avec faveur sur tous les marchés. Quoique Pline le naturaliste ('), Strabon (2) et Diodore de Sicile (5) nous aient laissé de précieux documens sur les richesses métalliques des anciens, on n'en doit pas moins regretter la perte d'un livre spécial que Théophraste paraît avoir écrit sur l'art métallurgique 300 ans avant notre ère, et dont il nous est resté quelques fragmens épars dans les ouvrages des écrivains ses successeurs. C'est là que tous ont puisé les documens relatifs à la question du numéraire dans l'antiquité. Philippe de Macédoine soutint la guerre contre les Grecs autant avec de l'or qu'avec du fer. Alexandre, son fils, rapporta des millions de son expédition dans l'Inde, et il fit à ses soldats des libéralités extraordinaires. Les Ptolémées, ses successeurs, passent pour avoir réuni près d'un milliard de francs de notre monnaie en espèces. L'argent était d'ailleurs plus rare qu'aujourd'hui relativement à l'or. Au dix-neuvième siècle le prix de l'or est quinze fois plus élevé que celui

(1) Liv. XXXII.

(2) Liv. 11, Iv et v.
(3) Liv. xxvi et xxxvi.

de l'argent, tandis que du temps des Grecs il ne l'était que dix fois davantage. Une monnaie de billon, mêlée de fer et de cuivre, servait aux relations usuelles du petit commerce, et n'avait pas cours en dehors des frontières.

L'extrême importance attribuée à l'or et à l'argent donna naissance chez les Grecs à des institutions financières qui ne manquent pas d'analogie avec les nôtres. Le temple de Delphes recevait annuellement, sous la protection d'Apollon, des dépôts de sommes considérables appartenant à des particuliers et même à des villes. Les prêtres, intéressés à voir l'or s'amasser au pied de leurs autels, encouragèrent ces dispositions, et le temple de Delphes devint une banque de dépôt respectée dans toute la Grèce. Cependant comme on ne retirait aucun intérêt des sommes qui y étaient déposées, plusieurs concurrences s'établirent, et la profession de banquier ne tarda point à devenir très lucrative. Le moindre taux de l'intérêt paraît avoir été de 10 pour 100, et le plus haut de 36. L'usure prit une extension démesurée, en raison des profits qu'on pouvait retirer des capitaux à l'aide des esclaves, et surtout à cause du peu sécurité des prêteurs. Le même phénomène se reproduit encore de nos jours dans les pays à esclaves, ainsi qu'on le voit dans nos colonics, où d'ailleurs les formalités de l'expropriation sont si

de

lentes qu'un débiteur de mauvaise foi peut faire mourir son créancier à la peine. Aussi les prêteurs étaient dans l'habitude de prélever par avance la somme entière des intérêts, qu'ils prêtaient de nouveau à des conditions rigoureuses, bravant le mépris public mêlé de déférence et de flatterie qui s'attachait aux hommes d'argent, dans ce temps-là comme de nos jours. L'usure reparaîtra, non moins hideuse, à Rome et dans toute l'Europe au moyenâge symptôme fatal de l'ignorance des véritables lois de la production et du mépris des plus simples exigences de la morale. On peut juger par ces faits de ce que devaient être les loyers et les fermages, dont le taux se règle toujours plus ou moins d'après celui de l'intérêt de l'argent. Le professeur Boeckh évalue à huit et demi pour cent du capital le montant des loyers; celui des fermages était un peu moins élevé. On bâtissait par spéculation des espèces d'hôtels dont les appartemens étaient loués aux divers étrangers que la politique ou le commerce attirait à Athènes, et qui n'y avaient pas droit de bourgeoisie.

Il est facile de concevoir, d'après ces données, sur quelles bases onéreuses devaient être effectués les emprunts publics. Le manque de sécurité et la tendance perpétuelle de ces peuples aux spoliations juridiques permettent de douter qu'un seul emprunt de ce genre ait été consenti librement. On

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