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libre concurrence est incomplet, et nous n'avons conquis, depuis la destruction de l'œuvre de saint Louis, que la faculté de nous encombrer: les guerres de douanes ont succédé aux luttes des corporations.

CHAPITRE XX.

Du mouvement imprimé à l'économie politique par les républiques italiennes du moyen âge. — Influence croissante du travail. Accroissement de la richesse mobilière. Changemens qui en résultent dans l'état social européen. - Fondation du crédit. Banque de Venise. -Origine du système prohibitif moderne.

Quand on étudie avec attention l'histoire des derniers temps de la féodalité, il est impossible de n'être pas frappé des efforts tentés sur les différens points de l'Europe pour assurer à tous les producteurs une plus juste part dans la distribution des profits du travail. L'affranchissement des communes en France, l'établissement de la ligue anséatique en Allemagne, la création des républiques italiennes au moyen-âge, ne sont que des épisodes de ce grand œuvre d'émancipation qui se poursuit de siècle en siècle avec une persévérance inébranlable. L'organisation des corporations sous le règne de saint Louis y contribue puissamment à son tour. Partout où les artisans et les marchands se réu

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nissent, ils essaient de se créer une existence indépendante du caprice des seigneurs et des gouvernemens. La facilité qu'ils éprouvent à dissimuler leurs richesses ou à les déplacer quand l'orage gronde, leur agglomération, le besoin qu'on a de leurs services, leur assurent des franchises qui ne furent nulle part plus étendues qu'en Italie, puisqu'elles allérent jusqu'à leur donner le monopole de la souveraineté.

Dès l'année 1282, l'industrie était si puissante à Florence, que les citoyens de cette république se donnèrent une magistrature exclusivement composée de marchands, sous le nom de Prieurs des arts. Ces délégués du peuple, réunis en un collége suprême de six membres, furent investis du pouvoir exécutif, et logés dans le palais de la nation. Leurs fonctions ne duraient que deux mois, mais ils pouvaient être réélus au bout de deux ans. Les prieurs étaient choisis par leurs prédécesseurs réunis aux chefs des arts majeurs et à un certain nombre de notables. A Sienne on fit de même et les quinze seigneurs qui gouvernaient cette petite république furent remplacés par neuf bourgeois, exclusivement désignés parmi les marchands. A Gênes et à Venise, les fortunes commerciales se substituèrent à l'aristocratie foncière et créèrent un pouvoir plus absolu que celui des barons féodaux. Il fallut, dans la plupart de ces républiques, exercer un art ou un mẻ

tier pour rester citoyen et pour pouvoir aspirer au gouvernement de l'état. Les marchands voulurent être ennoblis par leur profession même : il y eut une noblesse de soie et une noblesse de laine, et celleci se crut bientôt en droit de mépriser celle-là (1). Au commencement du quatorzième siècle, on remarquait dans toute l'Italie des nuances infinies parmi les diverses constitutions républicaines; mais elles étaient toutes d'accord en ce sens que nulle part l'aristocratie n'avait prévalu sur les bourgeois de l'industrie et du commerce. Bientôt les armes à feu et l'imprimerie porteront un dernier coup à la puissance des châteaux, en nivelant les forces et les intelligences,

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Quel homme du peuple n'eût senti son cœur battre d'espérance à l'aspect des progrès chaque jour croissans de la liberté italienne! Jamais les républiques de Rome et d'Athènes n'avaient joui d'une liberté semblable à celle-là à Rome et à Athènes on combattait pour la souveraineté de quelques-uns; dans l'Italie du moyen-âge on défendait l'indépendance de tous. On prenait les magistrats dans les comptoirs, dans les échoppes; on tenait les nobles à distance et en respect. On traJaillait pour soi, non pour des maîtres. Peu de vexations et peu d'impôts; liberté absolue du commerce et vigoureuse organisation de l'industrie. L'habi

(1) Daru, Histoire de Venise, tome Ier, page 505.

tude des réunions publiques et privées fit bientôt naître des orateurs, des hommes d'état, et la pratique des affaires mercantiles donna l'élan aux premières idées financières qui se soient popularisées en Europe. Il ne faut pas croire que ces gouvernemens de marchands fussent exclusivement occupés du commerce ('); leur politique se montra souvent plus libérale que celle des seigneurs dont ils avaient pris la place. Ils accordèrent aux beauxarts des encouragemens de toute espèce et multiplièrent, avec la plus louable sollicitude, les établissemens de bienfaisance, d'instruction, d'utilité publique. Trente hôpitaux avec mille lits pour les malades et pour les pauvres; plus de deux cents écoles où dix mille enfans apprenaient à lire; des récompenses splendides prodiguées au génie des peintres, des architectes et des sculpteurs témoignent du zèle éclairé des administrateurs de Florence au quatorzième siècle.

La prospérité du commerce n'était pas moins digne de remarque. On comptait deux cents fabriques de laine, produisant chaque année environ quatre-vingt mille pièces de drap, dont la vente assurait des salaires à plus de trente mille ouvriers. Quatre-vingts comptoirs étaient destinés au commerce de banque, et leurs nombreuses succursales

(1) Sismondi, Hist. des Républ. italiennes du moyen åge, tome IV, page 166,

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