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sortie de l'or. La France avait, à cette époque, peu de chose à offrir en échange des produits dont elle avait besoin; et c'est en vain que d'anciennes ordonnances défendaient de trafiquer autrement que par des échanges de marchandises, puisque d'un côté il n'y avait que des écus et de l'autre des produits. Il fallait absolument que le numéraire sortit, et il allait s'engouffrer dans les coffres des gouvernemens italiens, que nous verrons bientôt entretenir des armées de mercenaires avec l'or des nations tributaires de leur commerce et de leur industrie. En vain, de temps en temps, la colère royale atteindra, sous le nom de Lombards, d'usuriers et de Caorsins, ces marchands intrépides: l'intérêt général les a rendus nécessaires, et ils reparaissent toujours, âpres à la curée, semant au cœur des peuples les premières défiances, encore ineffaçables, contre l'exportation de l'or (1). Tel est le véritable point de départ de nos préjugés en économie politique, œuvre du ressentiment politique, quand on interdit tout commerce avec les Flamands (2), ou du fanatisme religieux lorsqu'on

(1) « Et comme nous avons appris que plusieurs Italiens étaient dans notre royaume, lesquels exercitent (exercent) marchandises et contrats qui ne sont pas honnêtes, notre intention n'est pas de donner à tels Italiens lesdites franchises et libertés.

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Ordonnance de Louis-le-Hutin, du 9 juillet 1315.

(2) Voir une autre ordonnance de Louis-le-Hutin, du 28 février 1315, et les soixante ou quatre-vingts ordonnances rendues contre les Juifs en moins de quatre règnes.

persécute les Juifs. Ces préjugés se sont perpétués d'âge en âge dans les administrations et dans l'esprit des peuples, et ils y règnent encore, investis de la sanction suprême des gouvernemens. C'est ce qui explique pourquoi l'on éprouve aujourd'hui tant de peine à les détruire, malgré les réfutations et les démentis solennels de l'expérience et de l'histoire. Telle est la force de tout ce qui a été vigoureusement organisé, et rien ne l'a été avec plus de talent et d'habileté que les industries naissantes, dont nous allons étudier les commencemens sous saint Louis.

CHAPITRE XIX.

Organisation des corporations sous le règne de saint Louis. - Du Livre des Métiers, par Étienne Boyleau. Vue générale du sySes avantages anciens et ses inconvé

stème des corporations.

niens modernes.

On a pu juger par les ordonnances que nous avons citées, de l'état d'anarchie où se trouvait la société européenne à la fin du douzième et au treizième siècles. Il n'y a de repos et de stabilité que pour la propriété foncière; elle seule résume toutes les jouissances, tous les priviléges, toutes les libertés. Mais déjà s'élève à côté d'elle la richesse mobilière créée par le travail de la démocratie, et c'est en vain qu'on lui refuse dans l'état le rang qu'elle ambitionne et qu'elle va bientôt occuper. Peu à peu elle s'émancipe dans les villes, soit qu'elle achète, soit qu'elle s'adjuge la bourgeoisie; chaque jour voit éclore un nouvel édit en sa faveur et sa puissance se consolide par les efforts même

qu'on fait pour la ruiner. Les communes étaient déjà émancipées quand elles obtinrent la concession de leurs franchises, et les persécutions contre les Juifs, sans cesse proscrits et toujours rappelés, prouvaient déjà l'importance des possesseurs de capitaux. La législation s'humanise à mesure que les vilains acquièrent des richesses. On les protége dans les foires, sur les marchés; on leur accorde des tribunaux composés de leurs pairs, et ils sont exemptés d'une foule d'avanies dont on les accablait auparavant. Mais il se passe au moment de leur émancipation un fait très remarquable, qui caractérise d'une manière frappante l'esprit féodal de l'époque c'est l'organisation hiérarchique des travailleurs sous le régime des corporations. Il ne vient à l'esprit de personne d'affranchir l'homme comme homme; le principe de l'égalité n'existe pas encore. Il y aura des maîtres et des apprentis comme il y avait des seigneurs et des vassaux, et une glèbe pour l'atelier comme il existe une glėbe pour l'agriculture. Nul ne conçoit le travail libre; il faut absolument que l'ouvrier travaille pour un maître, comme le paysan pour un seigneur. La liberté est à ce prix; le roi la vend comme une denrée, mais elle ne manque pas d'acheteurs. Et comment en cût-elle manqué au sein de cette armée industrielle que nous voyons surgir tout-à-coup des ténèbres de la féodalité!

Ce sera toujours un grand honneur pour Louis IX d'avoir eu le premier la pensée de soumettre une telle armée au joug de la discipline. Elle y a gagné en puissance et en vitalité ce qu'elle paraissait perdre en indépendance, et c'est depuis cette époque que l'industrie a pris un essor qui ne s'arrêtera plus. Il est impossible de n'être pas frappé d'admiration en voyant avec quelle ingénieuse sagacité tout a été classé dans ce monument de législation si curieux qu'on appelle Établissement des métiers de Paris, et qui nous est parvenu tout entier (') du règne de saint Louis. Ce fut à Étienne Boyleau que Louis IX confia le soin de mettre à exécution la grande pensée qu'il avait conçue de donner à l'industrie et au commerce des réglemens protecteurs et une discipline capable d'en assurer la prospérité. Les Établissemens ont exercé une trop grande influence sur le développement de la richesse publique et sur les destinées de l'industrie pour ne pas occuper une place dans l'histoire de l'économie politique, et nous allons leur consacrer un examen particulier. La simple citation du préambule en donnera un première idée.

« Etienne Boyleau, garde de la prévôté de Paris,

(1) Il en existe trois ou quatre manuscrits. Le plus ancien appartient à la Bibliothèque Royale. Les archives de la préfecture de police en possèdent une boune copic, dont je dois la communication à l'obligeance de M. Labat, conservateur de ces archives.

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