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excellent ouvrage sur l'Économie politique des Athéniens (1). En même temps l'esprit d'association les aidait à lutter contre la détresse du trésor. Plusieurs particuliers se réunirent en une société appelée Éranos, à la condition de verser une cotisation qui était répartie selon les besoins de chacun. Cette société portait le nom de communauté des Éranistes, et le chef était appelé Éca

narque.

C'est à ces habitudes anti-économiques de vivre presque toujours aux frais du trésor public que les Grecs ont dû la perte de leur liberté et le peu de développement de leur puissance industrielle. Les distributions publiques ayant pris un caractère périodique, tous les ambitieux jaloux de popularité achetèrent la bienveillance de la multitude par des largesses qui épuisaient l'état sans enrichir les donataires. Platon remarque avec justesse que ce fatal système avait rendu les Athéniens paresseux, avides, intrigans et mobiles. Périclès, qui en fut l'auteur, ne se faisait point illusion sur ses inconvéniens, mais il en avait besoin pour maintenir sa puissance, et il y persista. De là naquirent les menées perpétuelles des orateurs qui avaient intérêt à flatter ce souverain aux vingt mille têtes qu'on appelait le peuple, et dont l'avidité ne pouvait être assouvie que par des impôts énormes sur les riches.

(1) Tome I, chap. xvi.

ou par des confiscations. Les démagogues en étaient venus au point de déclarer publiquement dans leurs harangues que si l'on ne condamnait pas tel ou tel citoyen, il serait impossible de suffire au salaire du peuple. Les riches menacés s'exécutaient quelquefois pour conjurer l'orage; il se faisait alors une distribution extraordinaire où tous les mécontens étaient appelés à la curée. Ainsi naquit le théorique, et Démade osa dire tout haut que les distributions d'argent étaient le ciment de la démocratie. Ne trouve-t-on pas, à plus de deux mille ans de distance, le même système renouvelé des Grecs dans le salaire de 40 sous par jour accordé, en 1793, aux sectionnaires de Paris?

Tout était calculé chez les Grecs pour assurer des salaires à chaque classe de citoyens. Les orateurs se faisaient payer pour parler, et le peuple pour entendre; les juges, véritables jurés, ne s'étaient pas non plus oubliés. Soit par politique, soit plutôt pour assurer des positions aux notabilités populaires, on accréditait auprès de chaque puissance deux, trois et jusqu'à dix ambassadeurs à la fois. Certains crieurs publics, certains copistes des décrets du peuple se faisaient nourrir au Prytanée, dans lequel sans doute aussi l'état leur fournissait des logemens. Il y avait des musiciens et des poètes entretenus; enfin la foule des salariés était si grande qu'il fallut établir des règles

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sévères contre le cumul, cette lèpre de nos finances modernes. Il est facile de se faire une idée de l'énormité des impôts qu'exigeait le paiement de tous ces salaires, quand on sait que la plus pauvre famille de quatre personnes ne pouvait pas vivre à moins d'un revenu équivalant à 400 fr. de notre monnaie, si elle ne se contentait pas uniquement de pain et d'eau. Il fallait donc des ressources beaucoup plus considérables pour vivre décemment; en outre, la piété des Grecs envers les morts leur faisait souvent faire de grands frais pour les funérailles et pour les tombeaux; ils employaient une quantité notable de richesse en meubles, vêtemens et bijoux. La plupart des bonnes maisons ne renfermaient pas seulement les objets nécessaires pour les usages ordinaires de la vie, mais généralement les instrumens indispensables à l'exercice de plusieurs métiers tels que le tissage, la boulangerie, pratiqués à domicile par les esclaves. La vanité avait conduit au luxe des vases précieux d'or et d'argent, et ils se multiplièrent tellement, que pour en fournir à ceux qui ne pouvaient y mettre le prix, on fut obligé d'en fabriquer dont l'épaisseur ne dépassait pas celle de l'épiderme. Maintenant si l'on considère qu'il y avait environ dix mille maisons à Athènes, indépendamment des constructions des ports, des petites villes et des villages, et environ 360,000 esclaves, on pourra se faire une

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idée de la richesse accumulée dans cette république, et, par analogie, de la puissance relative des autres républiques grecques.

On se demande toutefois avec surprise comment les Athéniens étaient parvenus à payer ces émolumens universels distribués aux différentes classes de citoyens. Dans le principe, les temples et les prêtres étaient entretenus au moyen des terrains sacrés, des dîmes foncières et des sacrifices ('). Les magistrats de l'ordre judiciaire recevaient des épices. Plus tard, lorsque Solon eut partagé le peuple en quatre classes selon leur degré de fortune, chaque classe fut taxée d'après le capital imposable dont elle était censée jouir, de manière pourtant que la plus riche payait dans une proportion de son revenu plus considérable que la plus pauvre ce mode de taxation paraissait avoir tous les caractères de l'impôt de quotité. Pour l'établir sur une base équitable, il existait un cadastre des propriétés qui était revisé tous les quatre ans. Ce cadastre ne remplissait pas toutefois l'objet de nos registres d'hypothèques; le prêteur qui voulait prendre des sûretés se contentait de poser une borne, sur laquelle il inscrivait son nom, devant le champ de son débiteur. Outre l'impôt de

(1) On appelait sacrifices à Athènes des fêtes religieuses à propos d'esquelles on immolait quelquefois jusqu'à trois cents bœufs, dont on distribuait au peuple la chair et les peaux,

quotité qui produisait seul des sommes considérables, et les tributs des alliés, espèce de contribution de guerre rigoureusement payée en temps de paix, les Athéniens avaient les revenus des mines, les amendes et les produits des confiscations dont nous avons déjà parlé, et les droits de douanes. L'état et les communes possédaient des propriétés dont le fermage produisait des sommes importantes. Ces propriétés consistaient ordinairement en pâtnrages, forêts, maisons et salines. On les donnait à bail à perpétuité ou à temps à un fermier général qui s'engageait à verser les revenus d'une manière régulière dans les caisses du trésor.

Les Grecs, et principalement les Athéniens manifestèrent de bonne heure leur aversion pour tout ce qui ressemblait à un impôt personnel et surtout à l'impôt foncier. Il n'y avait pas chez eux de contribution des portes et fenêtres. Leurs revenus habituels provenaient des domaines publics et des biens des communes. Ils aimaient surtout à frapper des taxes sur les étrangers, et ils recouraient volontiers, même dans les circonstances ordinaires, à la ressource des impôts indirects, établis d'ailleurs avec une grande modération. Mais c'est surtout aux produits de leurs mines qu'ils attachèrent de tout temps une importance particulière. Celles de l'Attique et du Laurium paraissent avoir fourni dès l'origine des trésors considérables, puisque c'est

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