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lainages, des soieries, des gants, des casques et des objets de luxe dont l'aristocratie était avide. « Les seigneurs étaient prodigues, les bourgeois, au con. traire, passaient pour très avares ('), » et il n'est pas surprenant qu'ils aient ainsi créé par l'épargne une masse considérable de capitaux, qui acquirent une grande valeur, grace à la sécurité consolidée l'affranchissement des communes. On en trouve

par

la preuve dans Joinville : «< Il y avait tant de malfaiteurs et larrons autour de Paris, que tout le pays en était plein. Le roi qui mettait grande diligence comment le menu peuple fût gardé, sut toute la vérité; il ordonna enquête par tout le royaume, afin que l'on fit bonne justice et raide, et qui n'épargnât pas plus le riche homme que le pauvre. terre alors commença à s'amender, et le peuple y vint pour le bon droit qu'on y faisait, et tant se multiplia et amenda, que les ventes, les saisines, les achats et les autres choses valaient à double que quand le roi y prenait devant. »

La

Ainsi, nous voyons s'établir presque simultanément les communes dans toute l'Europe, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en France, en Angle terre. Il y en a partout, parce que partout l'indus trie et le commerce reprennent leur essor. Gênes, Florence, Venise, Barcelone, Brême, Lubeck, Hambourg, Bruges, Paris, Lyon, Marseille, Lon

(1) Capefigne, Histoire de Philippe-Auguste, tome IV, page 243.

dres, Bristol, semblent un moment régies par les mêmes lois. La richesse mobilière s'y établit fièrement à côté de la propriété foncière et revendique ses droits. La terre, incapable désormais de suffire seule aux besoins de la société nouvelle, commence à perdre de son prestige, et voit passer aux mains des artisans une part du pouvoir des propriétaires. La démocratie apparaît, forte de l'esprit d'association et de toutes les ressources du travail organisé et discipliné. Le tiers-état se constitue; la classe moyenne, rêvée jadis par Platon et par Aristote, devient un corps délibérant, accorde ou refuse des subsides, se juge, se garde, se régit elle-même. La population s'accroît avec les moyens de subsis tance. Les industries se perfectionnent, le commerce donne le signal du rapprochement général des nations, et les châteaux forts deviennent tributaires des manufactures. Il y en a un témoignage bien remarquable dans la législation royale contemporaine. Le premier volume du recueil de ces ordonnances, pour la troisième race, en comprend plus de cent, toutes consacrées à des questions de travail et d'industrie, de monumens, de commerce et d'échanges. Sans doute ces ordonnances laissent beaucoup à désirer, car elles sont généralement rédigées dans des vues fiscales et oppressives; mais leur nombre et leur variété même démontrent l'importance qui s'attachait déjà aux matières qu'elles

ont voulu définir. Nous allons en exposer l'esprit et les faits principaux avec quelques détails, parce que leur ensemble forme le premier point de dé part officiel de la science économique en Europe.

CHAPITRE XVIII.

De la législation économique des premiers rois de France de là troisième race. - Ordonnances sur les Juifs. Sur les monnaies. - Contre l'exportation du numéraire. - Sur le commerce des grains. Réglemens somptuaires. — Origine officielle de nos préjugés commerciaux.

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Il existe, avons-nous dit, une preuve authentique du mouvement prodigieux imprimé à la production des richesses, soit par l'influence des croisades, soit par le commerce des villes anséatiques, du douzième au quatorzième siècle : c'est la collection des ordonnances des premiers rois de France de la troisième race. On trouve parmi ces ordonnances plus de cent dispositions, toutes relatives à des matières industrielles et commerciales, principalement sur l'usure et sur les Juifs, sur les monnaies, sur les ouvriers, sur les poids et mesures, et même quelques essais de maximum et de réglemens somptuaires. L'économie politique du temps se révèle tout entière dans ces documens

remarquables, dont l'étude nous a paru mériter une attention particulière, parce qu'elle résume parfaitement les idées de nos ancêtres sur plusieurs questions qui nous divisent encore aujourd'hui. Assurément, si le commerce et l'industrie n'avaient pas acquis, dès-lors, une extension considérable, nous ne verrions pas l'administration contemporaine aussi sérieusement occupée de leurs affaires, à ce point que sous le seul règne de Philippe-le-Bel cinquante-six ordonnances ont été rendues seulement sur les monnaies royales et seigneuriales, et plus de dix sur les Juifs et les marchands italiens.

L'examen attentif de ces monumens de la légis lation économique du moyen âge nous permet d'apprécier, avec quelque exactitude, la nature de l'influence exercée par le gouvernement sur les questions de finances et d'industrie à cette intéressante époque. Une telle étude est d'autant plus curieuse, que la plupart de nos préjugés commerciaux actuels n'ont pas d'autre origine que la législation exclusive et intolérante du treizième siècle. Ainsi nos lois sur l'usure, si profondément en désaccord avec l'expérience, avec le bon sens, avec l'intérêt général des prêteurs et des emprunteurs, ne sont qu'une réminiscence des ordonnances ren dues contre le prêt à intérêt et surtout contre les Juifs sous Louis IX et sous ses successeurs. Nos

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