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CHAPITRE Xvil.

De l'affranchissement des communes et de son influence sur la marche du progrès économique et social.

Tandis que les villes anséatiques s'organisaient en confédération dans le nord, le grand œuvre de l'affranchissement des communes s'accomplissait dans le midi. Les traditions romaines s'y étaient conservées plus vivaces que dans le reste de l'Europe, et sous la domination même des barbares, les grandes cités de la Provence et du Languedoc n'avaient jamais cessé de jouir des bienfaits du régime municipal. Insensiblement, à mesure que les villes du nord acquéraient de l'importance par leurs richesses, elles firent des tentatives pour conquérir leur indépendance; elles voulaient disposer librement de leur fortune et y rattacher quelques priviléges, à une époque où c'était une preuve de servi

tude que de ne pas en avoir. Les bourgeois parvinrent à se faire juger par leurs pairs et à se soustraire à la justice des seigneurs, oppressive, partiale et vénale. Ils réclamèrent le droit d'être imposés d'une manière fixe et limitée, de régler eux-mêmes leurs intérêts et de maintenir l'ordre dans les villes et bourgs. « Voici, disait l'abbé Guibert, chroniqueur du douzième siècle, voici ce qu'on entend aujourd'hui par ce mot nouveau et détestable de commune: les gens taillables ne paient plus qu'une fois l'au la rente à leurs seigneurs; s'ils commettent quelque délit, ils en sont quittes pour une amende légalement fixée, et quant aux levées d'argent qu'on a coutume d'infliger aux serfs, ils en sont exempts (').

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C'est bien sous un semblable aspect, en effet, que la liberté naissante devait apparaître à un homme d'église. L'église avait raison de s'alarmer de la conspiration universelle qui éclatait contré tous les priviléges, et qui allait bientôt attaquer les siens. Car, peu à peu, elle s'était substituée aux seigneurs, en obterant des exemptions de taxes et des prérogatives fiscales de la plus haute importance. Chaque jour voyait augmenter ses biens par des donations, et ses prétentions s'élevaient avec sa fortune jusqu'au point d'inquiéter les rois sur leurs trônes. Louis IX lui-même, qui était un saint, fut obligé

(1) Mémoires de Guibert, liv. III, chap. 7.

d'y mettre ordre, et ses successeurs, souvent excommuniés, ont eu à soutenir de longues luttes avec la papauté, protectrice naturelle des exigences ecclésiastiques de tous les temps. Ainsi se continuait cette protestation permanente, immortelle, de l'espèce humaine en faveur d'une répartition plus équitable des profits du travail. L'église s'y était associée aux jours de ses malheurs, et elle avait fourni de puissantes armes aux défenseurs de l'égalité civile, à l'époque où tout le monde pliait sous le joug féodal. Mais à mesure que la féodalité s'affaiblit, l'église voulut devenir son héritière, et reprendre sa vicille domination sur les rois, qui se jetèrent dans les bras des peuples et créèrent le tiers-état au sein des communes affranchies.

Cette grande révolution n'a pas été l'oeuvre d'un jour; nous en voyons les résultats, mais nous n'en savons pas la date certaine. Ce qui est probable, c'est que le mouvement a commencé par quelques villes opulentes, et s'est propagé insensiblement, selon les circonstances, à toutes les villes, dont les unes ont demandé la confirmation des priviléges qu'elles possédaient depuis long-temps et les autres ont argué de services rendus et d'actes accomplis, pour faire légitimer par l'octroi ce qu'elles avaient gagné par la conquête. Cependant, on attribue communément à Louis-le-Gros les premières chartes d'émancipation, parce qu'il est le premier roi qui

ait recouru à l'appui des bourgeois pour résister aux usurpations de la noblesse. Mais ce serait une erreur de croire qu'à l'époque où les diverses cités se constituèrent en communes, elles ne possédaient aucune institution populaire et locale, chargée de surveiller les intérêts des habitans. Elles avaient des maires, des échevins, des pairs, des jurés, des consuls. On sait la lutte énergique et célèbre que les habitans de Vézelai soutinrent contre leur abbé et ses. moines, qui prétendaient les maintenir irrévocablement sous le joug féodal. Rien n'est plus curieux que de voir dans l'histoire cette longue querelle élevée entre des moines qui parlaient au nom des libertés de leur église et quelques bourgeois qui réclamaient les priviléges de leur commune; dispute sérieuse qui dura plusieurs années et dans laquelle intervinrent des évêques, des seigneurs, la cour de Rome, le roi de France, pour la ruine et l'asservissement d'une chétive bourgade. Les villes de Tournay, de Noyon, de Meaux, de Dijou jouissaient de priviléges fort étendus, au premier rang desquels figurent toujours quelques libertés commerciales, quelques prérogatives particulières en matière de routes, de monnaies, de corvées et d'impôts. L'abbé Suger, qui était ministre et qui a été biographe de Louis-leGros, dit expressément (') que les hommes des pa

(1) Suger, de Vitá Ludovici Grossi ; dans Duchesne, Hist. franc. script., tome IV, page 301.

roisses du pays assistèrent ce prince au siége de Thoury. Plus tard la reine Blanche, pendant l'absence de St-Louis, confia la garde des villes à des milices bourgeoises. Plus on étudie ce sujet, plus on est convaincu que c'est la richesse accumulée dans les villes qui a fait naître les idées de liberté et préparé l'affranchissement des communes.

Si ces communes ne formèrent point, comme en Allemagne, une confédération générale, c'est qu'elles trouvèrent un appui dans les souverains aussi intéressés qu'elles-mêmes à l'abaissement du pouvoir des barons. La royauté ne pouvait rien toute scule contre cette nuée de seigneurs retranchés dans leurs donjons et qui exploitaient pour leur compte personnel les ressources de la France. Les communes ne pouvaient pas davantage sans l'appui des rois; il y eut entre elles et eux une véritable alliance offensive et défensive qui n'a pas peu contribué à fonder l'indépendance et l'unité nationales. Les chroniques de St-Denis ont célébré le dévouement des villes de Corbie, d'Amiens, d'Arras, de Beauvais et de Compiègne qui envoyèrent leurs contingens à la bataille de Bovines. La royauté eut le bon esprit de déclarer libres les cités qui ne relevaient que de son autorité, et cette résolution intelligente lui assura une foule de dévouemens qui ne furent pas toujours payés d'ingratitude. Je n'oserais affirmer que les rois et les villes aient cru, en agissant ainsi,

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