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CHAPITRE XVI.

Des villes anséatiques.

Bruges.

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organisation de leurs comptoirs. Importance de l'entrepôt de

Origine du commerce de commission.

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Tandis que les Juifs créaient et répandaient la science commerciale en Europe, malgré l'anarchie féodale et les persécutions sans cesse renaissantes dont ils étaient accablés, une association puissante se formait en Allemagne et complétait l'œuvre des croisades après l'avoir devancée. Le nord et le midi marchent ainsi de concert à la conquête des grands élémens de la richesse publique, et le génie de la production trouve toujours un asile contre les abus de la force et les exactions de la tyrannie. Ce progrès n'est pas facile à suivre au travers des vicissitudes qui ne cessent d'agiter la société européenne depuis le règne de Charlemagne jusqu'à celui de Charles-Quint; mais il est impossible de mécon

naître les efforts qui sont tentés chaque jour, soit dans un pays, soit dans un autre, pour restituer au travailleur son rang et au travail ses prérogatives. Même en le pressurant on lui rend hommage, et l'histoire des Juifs, sans cesse proscrits et rappelés, n'est qu'une suite de tâtonnemens dont les gouvernemens subissent la nécessité avant d'arriver à l'emploi du crédit, c'est-à-dire au respect inviolable de la foi promise et de la propriété. L'établissement de la ligue anséatique est un de ces essais laborieux, et il doit occuper sa place dans l'histoire de l'économie politique.

Il n'existe aucun monument authentique des premiers temps de cette association célèbre, d'après lequel on puisse préciser l'époque exacte de sa fondation. La plupart des actes d'accession à l'union anséatique ont même disparu des archives des principales villes qui en faisaient partie. Aucun registre de délibérations, aucun procès-verbal de conférences ne nous est parvenu du premier âge de ces opulentes cités, plus occupées d'agir que de parler et d'écrire. Ce qui est certain, c'est que dès le treizième siècle on voit déjà plusieurs villes maritimes de la basse Allemagne unies entre elles pour leur défense commune et surtout pour la protection de leur commerce. « Leurs commencemens furent faibles, dit le savant historien de ces villes ('),

(1) Sartorius, Histoire des villes anséatiques, tome 1.

leurs progrès rapides, leurs succès étonnans, et sans doute elles étaient loin de prévoir qu'un jour leur opulence régnerait en souveraine sur les deux mers du Nord et pèserait d'un grand poids dans la balance politique de l'Europe. » Les premiers traités qu'elles firent entre elles eurent pour but la répression de la piraterie et l'abolition de ce brigandage connu sous le nom de droit de naufrage, clors impitoyablement exercé contre tous les navigateurs. A mesure que leurs profits s'étendaient, il fallait les mettre à l'abri des déprédations maritimes qui correspondaient d'une manière si cruelle aux exactions des barons terriens. On achetait les priviléges qu'on ne pouvait obtenir du bon droit ou par la force; en se réunissant, on acquérait plus d'influence et peu à peu on eut assis sur des bases solides une foule de franchises qui devinrent la source de toutes sortes de prospérités.

Les croisades offrirent bientôt un aliment actif à l'esprit d'entreprise des villes anséatiques. Leurs navires prirent part aux expéditions en terre sainte et visitèrent souvent la Méditerranée; ils débarquèrent en plus d'une rencontre de hardis passagers et qui eurent facilement reconnu la supériorité du commerce de long cours sur le cabotage pauvre et restreint de la mer Baltique. A l'occident et dans la mer d'Allemagne, Cologne, Brême, Lubeck, Hambourg se faisaient octroyer des priviléges

importans. On leur avait accordé la faveur de s'organiser en corporation à Londres, d'y avoir une maison et des magasins, et elles en usèrent avec une telle habileté, qu'en moins de quinze années tout le commerce anglais était tombé entre leurs mains. En Suède, en Danemarck, en Norvège, en Livonie, leur prééminence ne connaissait plus de bornes, et jusque dans Novogorod la Grande les magistrats de Lubeck exerçaient sur les comptoirs anséatiques une influence respectée. A la fin du treizième siècle on voit déjà sept villes maritimes de la Baltique s'unir pour défendre des priviléges que le roi de Norvège voulait leur disputer dans ses ports; elles arment une flotte pour se les faire rendre et triomphent de la résistance du prince. Dans le siècle suivant, leur prépondérance est si grande que la plupart des villes de l'intérieur de l'Allemagne décident de s'y rattacher, avec des provinces entières. Tout le monde veut être de cette association où il y a tant de profits à faire et si peu de risques à courir. Les petites villes y sont admises à titre de clientes, à condition de supporter leur part des charges générales, comme rançon de leur indépendance nouvelle. On croit que ce fut à cette occasion qu'on dressa le premier acte de confédération générale dans une assemblée tenue à Cologne en 1364, où la ligue prit le nom d'anséatique ou de hanse qui signifiait, dans le vieux lan

gage du pays, corporation. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'à partir de cette époque, on n'entend plus parler ni des marchands de l'empire, ni des navigateurs de l'Allemagne, mais des comptoirs et des factoreries des villes anséatiques.

Malheureusement, cette ligue portait dans son sein des germes de désorganisation qui devaient tôt ou tard amener sa décadence et sa ruine. Elle manquait d'une puissance exécutive pourvue de moyens suffisans pour forcer tous les associés à se soumettre aux résolutions adoptées par la majorité; elle n'avait pas de chef institué pour diriger toutes les forces vers le bien général.. « C'était un corps à cent bras, sans tête ('). » En vain avait-on stipulé que les villes réfractaires seraient retranchées de la confédération, et que leurs différends seraient jugés par un conseil suprême, ces clauses essentielles ne furent jamais ponctuellement exécutées et nulle idée de persévérance et d'ensemble ne présida jamais aux entreprises de la ligue. L'esprit d'anarchie qui dominait alors en Europe avait aussi soufflé sur elle, et nous ne comprenons pas comment chacune des villes dont elle était composée pouvait avoir conservé le droit de contracter des alliances avec des princes ou des états étrangers à la confédération. Aussi arriva-t-il plus d'une fois que l'intérêt d'un ou de plusieurs membres de la

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(1) Schoell, Cours d'histoire des États européens, tome XV, p. 291.

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