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monnaie, et défendit les accaparemens (). Ses édits ne furent pas moins opposés à l'achat des récoltes sur pied, comme à un système de spéculation honteuse qui avait pour but d'exploiter la misère des cultivateurs et de faire renchérir les denrées ('). En même temps, il frappait d'immobilité perpétuelle les biens des églises, en s'opposant à ce qu'ils reçussent jamais une autre destination (3), et il prenait soin de les augmenter en prescrivant des donations en terres et des dîmes qui étaient payées par ses propres domaines (*). Nous sommes forcés de convenir que les esclaves de son temps étaient traités avec plus de philanthropie et de pudeur que les malheureux nègres de nos colonies. On ne pouvait séparer le mari de la femme, et l'article du capitulaire qui contenait

(1) Turpe lucrum exercent qui per varias circumventiones lucrandi causá inhonestè res quaslibet congregare decertant.

(2) Quicumque enim tempore messis vel vindemiæ, non necessitate sed propter cupiditatem, comparat annonam aut vinum, verbi gratiá de duobus denariis comparat modium unum et servat usque dum iterùm venundari possit contra denarios quatuor aut sex, hoc turpe lucrum dicimus.

13) Ut loca quæ semel Deo dedicata sunt ut monasteria sint, maneant perpetuò monasteria, nec possint ultrà fieri secularia habitanda.

(4) De minoribus capitulis consenserunt omnes, ad unamquamque ecclesiam curtem et duos mansos terræ pagensis ad ecclesiam recurrentes condonent, et hoc Christo propitio placuit ut undique census aliquid ad fiscum pervenerit, sive in frido, sive in qualicumque banno, et in omni redibutione ad regem pertinens, decima pars ecclesiis et sacerdotibus red

datur.

cette disposition, s'appuie des paroles de l'Évangile: Quos Deus conjunxit, homo non separet. Il était défendu d'acheter ou de vendre un esclave autrement qu'en présence des délégués de l'empereur. Toute vente secrète était annulée et punie.

On s'explique aisément cette sollicitude pour les esclaves dans un temps et sous un règne où l'esclavage prenait chaque jour une extension nouvelle. Les donations de terres que l'empereur faisait sans cesse aux grands et aux églises diminuaient chaque jour le nombre des cultivateurs en état de vivre du produit de leurs revenus, et leur condition devenait si malheureuse qu'ils lui préféraient l'esclavage, ou plutôt le servage. Peu à peu on vit disparaître presque tous les hommes libres et leurs petits héritages s'ajouter à ces immenses domaines concédés par la munificence impériale à l'aristocratie de guerre et d'église. Ainsi se confondaient les idées de souveraineté politique et de propriété foncière qui deviendront la base de l'anarchie féodale, aussitôt que la main d'un chef suprême aura cessé de tenir en respect des vassaux ambitieux et puissans. Lui-même préparera ce grand événement en divisant l'empire entre ses enfans, et en affaiblissant son propre ouvrage; car c'est par là surtout que sa réputation est vulnérable, et c'est d'après le caractère éphémère de ses œuvres que beaucoup d'historiens se sont crus autorisés à le juger sévère

ment. Il est pourtant juste de reconnaître que Charlemagne n'a rien de commun avec la plupart de ses prédécesseurs ni de ses successeurs. Tout ce que nous savons de son amour éclairé pour les sciences et des efforts généreux qu'il fit pour les répandre, ces tentatives hardies de centralisation à une époque de démembrement universel, cette création merveilleuse d'un grand empire en moins de quarante ans, ne peuvent être l'œuvre que d'un génie supérieur, et nous font très bien comprendre comment Charlemagne fut honoré du nom de Grand pendant sa vie et canonisé après sa mort. Il avait sans doute plusieurs des vices de son temps, et ses mœurs personnelles semblent trop souvent en contradiction avec la rigidité de ses capitulaires; mais sa pensée ne sera point stérile, et c'est un grand spectacle que celui de ses travaux, surtout quand on les compare aux lamentables gestes des rois fainéans. Ce prince rêvait le rétablissement de la grandeur romaine avec des élémens germains; barbare, et descendant de barbare, il parvint à dompter le flot qui l'apportait, et il aurait réussi complétement, s'il n'avait voulu réunir des élémens trop dissemblables, c'est-à-dire, des peuples déjà classés par la variété de leur langage, par l'opposition de leurs intérêts et par leur situation géographique. « Charlemagne, dit M. Raynouard ('), crut n'avoir pour

(1) Histoire du droit municipal en France, tome II, page 385,

sujets que des guerriers et des ecclésiastiques. Il fut grand, mais par lui seul et pour lui seul. Aucune renommée illustre ne s'élève ni à côté ni même au dessous de la sienne; il absorba toute la gloire de son règne. Dominé par les exigences du moment, par des nécessités accidentelles, il publia souvent des lois pour favoriser l'action de son gouvernement, en réprimant des abus naissans; mais sa législation n'eut point d'ensemble et marqua rarement quelque sollicitude pour l'avenir. » Il n'est resté de lui que l'hérédité des bénéfices, d'où la féodalité devait sortir avec ses misères et ses germes de rénovation. C'était un principe affreux; mais à défaut de l'unité monarchique, ce principe valait mieux que l'anarchie; nous allons en étudier les conséquences.

CHAPITRE XIII.

De l'établissement du régime féodal et de ses conséquences économiques. La monarchie de Charlemagne est démembrée par l'influence de l'hérédité des fiefs.- Invasion générale du servage.

Les capitulaires de Charlemagne consacrent principalement le pouvoir de l'église. Elle seulé interviendra désormais en qualité de médiateur entre l'humanité et ses oppresseurs, et son intervention vaut la peine d'être remarquée, puisque les capitulaires ont fait loi en France, jusqu'au règne de Philippe-le-Bel. Elle seule balancera la puissance des barons, et lui portera le coup fatal en se rangeant du côté du peuple, comme elle acheva l'empire romain en s'alliant au parti des barbares. En effet, moins d'un demi-siècle après la mort de Charlemagne, son empire était déjà partagé en sept royaumes, et les comtes, les ducs, les bénéficiers de la façon de ce grand homme, mettant le temps à profit,

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