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auparavant, le peuple en retira beaucoup moins d'avantages qu'on ne pourrait le penser. Quoiqu'on les eût réduites à des formes plus simples et à des termes plus précis, il y restait encore assez de vague et de contradictions pour alimenter des nuées d'avocats et de légistes. La résidence des plaideurs dans des provinces éloignées entraînait des longueurs, des incertitudes, des dépenses considérables, toutes les fois qu'il y avait appel à la juridiction suprême. Le droit romain redevint encore une fois une science mystérieuse que l'industrie des praticiens, dignes maîtres de ceux de nos jours, exploitait avec une audace inouie. Le riche écrasait impitoyablement le pauvre, et les frais des procès en absorbaient habituellement la valeur. Néanmoins, ces formes et ces délais, quoique très coûteux, protégeaient la personne et la propriété contre les caprices de la tyrannie et l'arbitraire du juge, et c'était encore un progrès. Que de réformes contenait cette seule revue des lois romaines, accommodées au temps présent et qui en portaient si profondément l'empreinte! Qui eût dit qu'après plus de douze cents ans elles présideraient encore, dans le plus grand nombre de leurs dispositions, au gouvernement d'une société si différente? Mais dans ce long trajet au travers des siècles, elles devaient se pénétrer de l'esprit de beaucoup d'institutions nou

velles et fournir à un grand homme les élémens d'une législation qui eut aussi sa gloire, si elle n'eut pas son originalité.

CHAPITRE XII.

Économie politique de Charlemagne. — Analyse de la partie économique de ses Capitulaires. — Détails singuliers contenus dans le Capitulaire de Villis. — Conséquences sociales du règne de ce grand homme.

Le règne de Charlemagne forme la transition entre la barbarie et la féodalité. Il rétablit l'unité du pouvoir et celle du territoire également rompues par cette foule de petits souverains et de petits états qui remplissent toute la période écoulée depuis la première invasion. Les royaumes de Metz, d'Orléans, de Soissons, de Paris, d'Aquitaine, de Bourgogne viennent se confondre dans la grande monarchie impériale, et tous ces misérables despotismes, inhabiles à concevoir quelques grandes idées, s'abîment en un seul capable de les exécuter. Pour la première fois depuis César, vainqueur et organisateur, un homme apparaît digne de laisser son nom à son siècle. Ce qui caractérise surtout cet

homme remarquable, c'est qu'il était un véritable Franc de France, le moins mêlé de sang romain qui fût encore monté sur le trône. Presque tous ses prédécesseurs, barbares ou non, avaient reçu l'impulsion romaine et chrétienne; lui, se sentit assez fort pour la donner. Les autres avaient régné; Charlemagne voulut gouverner. Il eût peutêtre empêché l'avénement du régime féodal, en comprimant fortement la tendance aristocratique de son temps, si ses débiles successeurs n'avaient laissé périr son œuvre et remis au hasard les destinées de l'humanité.

L

Ses cinquante-trois expéditions ont été dirigées par une pensée politique qui semblait perdue depuis les Romains. Ce qu'il voulut d'abord et avant toute chose, ce fut de reconstituer en Europe un grand pouvoir, assez fort pour contenir toutes les ambitions et pour les soumettre à une domination commune. Il fit la guerre aux indépendances menaçantes et aux croyances hostiles, et ne s'arrêta que lorsqu'il eut atteint son but principal qui était de refaire un empire. Au nord et au midi il rencontra deux grandes résistances, les Saxons et les Arabes i les vainquit toutes deux. Malheureusement ses victoires lui laissèrent à peine assez de loisir pour organiser, et il rencontra moins de difficultés dans la guerre que dans la paix; mais quoique ses grands travaux ne lui aient pas survécu,

l'impulsion qu'il avait donnée à l'Europe avait été trop vive pour que le mouvement pût s'arrêter. Elle ne redevint point après sa mort telle qu'elle était avant son règne; il lui avait donné une pensée qui se révélera dans les actes de ses successeurs, dans la politique des états formés du démembrement de sa monarchie, dans les guerres même qu'ils se feront entre eux ou qu'ils soutiendront contre leurs ennemis.

Il suffit de rappeler le soin avec lequel il essaya de rétablir une hiérarchie administrative sévère, surveillée par des inspecteurs ambulans, missi dominici, envoyés du maître, chargés de lui rendre compte de l'état des provinces, de la réforme des abus et de l'exécution de ses ordres. Il était ainsi présent partout, et il pouvait étendre la main jusqu'aux extrémités de son empire avec une rapidité décisive dans ces temps de lenteur et sur cette surface immense presque entièrement dépourvue de routes. Les trente-cinq assemblées générales tenues sous son règne, quoiqu'elles ne ressemblent guère à nos sessions parlementaires modernes, n'ont pas moins contribué d'une manière efficace aux améliorations qu'il fit exécuter. Il paraît que les députés y avaient seulement voix consultative; l'empereur prenait ses résolutions en dépit de leur contrôle : mais il y recevait de précieuses communications sur l'état du pays, sur ses besoins, sur ses souffrances.

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