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cevoir; il use, dans des luttes stériles contre le progrès social, des forces affaiblies par l'intolérance et par le choc des révolutions. Il occupe les chaires, mais les chaires sont muettes; leur voix ne vibre plus, comme jadis, au cœur des peuples quand elle les entraînait en masse à la conquête des lieux saints. La religion existe toujours, mais elle n'a plus de ministres à la hauteur de ses besoins et des nôtres. Et cependant, malgré nos essais nombreux de régénération politique, aucune constitution humaine n'est encore pareille à la sienne, aucun pouvoir central n'est en mesure de se faire obéir comme elle; le malheur est qu'on ne sache pas dignement commander en son nom. Il y a des questions d'économie politique qui demeureront insolubles tant qu'elle n'y mettra pas la main. L'instruction populaire, la répartition équitable des profits du travail, la réforme des prisons, les progrès de l'agriculture et bien d'autres problèmes encore ne recevront de solution complète que par son intervention, et c'est justice; elle seule peut, en effet, bien résoudre les questions qu'elle a bien posées.

Nous sera-t-il donné d'assister à ce dénouement si vivement désiré? Nous ne le pensons pas, quoique la réaction religieuse qui se manifeste de toutes parts parût le faire espérer. C'est en effet un bel hommage rendu par l'Europe à la sublime influence

qui nous donna jadis le principe de toutes les libertés; mais cet hommage, les prêtres l'ont pris pour un simple retour aux vieilles idées, pour un désaveu du progrès plutôt que pour le progrès luimême! Fatale erreur qui arrête le monde dans sa course! Étrange aveuglement d'une caste obstinée à vivre en dehors de l'humanité et qui se traîne à sa suiteau licu de marcher à sa tête! Ah! si le prêtre savait aujourd'hui de quelle admirable métamorphose il pourrait être l'instrument et quelle prodigieuse influence il dépendrait de lui d'exercer sur les destinées humaines! Hôpitaux, prisons, écoles, ateliers, relations publiques et privées des peuples et des individus, agriculture, communications, entrepreneurs et ouvriers, tout serait de son ressort, tous prendraient volontiers pour arbitre et pour guide le prêtre civilisateur à la façon du dix-neuvième siècle, le prêtre tolérant, éclairé, parlant un peu moins des terreurs de l'autre monde que des be soins de celui-ci et ne refusant plus à l'insuffisance de la politique le concours de son zèle et de son dévouement. On se souviendrait bientôt que les prétres ont été long-temps les premiers missionnaires de la civilisation et nous entendrions dans les temples autre chose que des déclamations contre la corruption du siècle, le luxe et les richesses. La lutte singulière à laquelle nous assistons, la tendance pacifique du monde sous une attitude guerrière, aurait

déjà fait place à l'harmonie universelle vers laquelle on s'avance, si la belle organisation du christianisme était représentée par des hommes en état de la comprendre et de la conserver. Mais je ne crains pas de dire que la religion chrétienne est aussi éloignée aujourd'hui de cette influence, que le polythéisme romain l'était de son antique pouvoir au moment où elle lui porta le dernier coup. Qu'at-elle fait de l'Espagne, du Portugal et de l'Amérique du Sud, ses plus magnifiques domaines? Qu'est devenue, entre ses mains, la malheureuse Irlande ?

CHAPITRE X.

Des conséquences économiques de l'invasion des Barbares et du démembrement de l'Empire romain. - Nouveaux élémens introduits dans l'organisation sociale.

A mesure que les dernières lueurs de la puissance romaine s'éteignaient dans ce flot de corruptions, de lâchetés et de faiblesses qui finit par engloutir l'empire, les barbares paraissaient à l'horizon pour s'en partager les débris. A vrai dire, ils s'étaient depuis long-temps ménagé des intelligences dans le cœur de cette place immense, dont les gouverneurs avaient fait la folie de leur confier la garde. Il y avait plus de Barbares que de Romains dans les légions qui veillaient aux frontières, et quand ils se mirent en marche pour conquérir l'empire, une étape suffit pour les conduire sur son territoire, ouvert de toutes parts. Toutefois, avant de parvenir au terme de leur conquête, ils

eurent à faire un long voyage: ce voyage a duré plus de cent ans. Les pères étaient partis; les fils seuls arrivèrent. Quels étaient ces hommes ? d'où venaient-ils ? à quelle influence obéissaient-ils, quand ils s'avançaient infatigables sur les ruines du monde romain, en une telle cohue que nous ne pouvons distinguer nettement leurs véritables noms et leur mystérieuse patrie? Ce qui paraît certain, c'est qu'ils venaient d'une région où l'esclavage était inconnu (1) et la liberté indomptable; car ils faisaient passer leurs chefs par de rudes épreuves, et ne ressemblaient pas mal à ces Arabes de l'Atlas avec lesquels nous avons fait récemment connaissance en Afrique.

Quand ils se présentèrent aux frontières, presque tous à cheval, suivis de leurs bestiaux et de leurs tentes, il n'y avait parmi eux qu'une loi, la force; qu'une seule passion, le besoin d'en user. Ils trouvèrent l'empire occupé de discussions philosophiques, théologiques et politiques, et ils n'eu

pas beaucoup de peine à faire fuir devant leurs

(1) L'illustre auteur des Études historiques sur la chute de l'Empire romain, M. de Châteaubriand (tome III, page 146), pense que les Barbares connaissaient l'esclavage. Si c'est en vertu du droit de la guerre qu'ils l'imposaieut momentanément aux vaincus, personne n'en doute; mais ils n'avaient pas, comme les Romains, des marchés d'hommes, sem blables à ceux de nos colonies. Lcur esclavage ne ressemblait en rien à celui-là; disons mieux, ce n'était pas de l'esclavage, dans l'acception véritable du mot, sans quoi la liberté n'aurait pas pu en sortir.

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