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gélique, et l'admirable instinct avec lequel chaque opprimé devine que l'heure de la liberté va sonner pour lui. Quoique l'église chrétienne apparût tout organisée avec sa hiérarchie noble et sévère, tout le monde eut bientôt compris le principe de l'égalité qu'elle portait dans son sein. Elle plaisait aux grands par ses dogmes de subordination et d'obéissance, et aux petits par ses doctrines d'indépendance et de nivellement devant Dieu. Elle élevait l'esclave sans rabaisser le maître et présentait à l'espèce humaine courbée sous le joug un refuge contre la tyrannie de ce monde dans les espérances de l'autre. Le paganisme s'était rarement mêlé à la politique; mais les premiers prêtres chrétiens prirent part aux affaires et ils gouvernaient déjà, que personne ne se doutait de leur puissance. Les hérésies même qui désolent le christianisme à sa naissance ne furent pas inutiles à la cause du progrès social: elles ont ouvert en Europe le droit de discussion.

On a beau n'être pas un chrétien bien austère, la majesté de ce bel édifice étonne et commande le respect. On ne peut voir sans une vive admiration cette organisation vigoureuse et luxuriante se former tout d'une pièce, avec ses magnifiques dépendances, et se répandre sur le monde, partout semblable à elle-même, comme le flot paisible sur la surface de la grève. Les premiers évêques, si

impérieux à la fois et si doux, si intolérans pour le doute et si indulgens pour les faiblesses, si fiers avec les grands et si humbles avec les pauvres, semblent des tribuns populaires qui viennent protester au nom des droits imprescriptibles de l'humanité. Tout en eux rappelle les vieilles maximes de la république romaine, l'élection publique, la prédication renouvelée du forum, les assemblées générales, l'admission aux plus hautes dignités sans distinction de fortune ou de naissance. Rien ne restait de ces antiques prérogatives du citoyen qu'un souvenir stérile et confus; la religion chrétienne a tout régénéré, tout remis en honneur. Peu d'années s'écoulent après le règne de Constantin, et déjà l'affranchissement des esclaves est permis sur la simple attestation d'un évêque; le concubinage est proscrit; les biens des mineurs et des femmes sont exempts de la confiscation, les prisons sont visitées, les pauvres secourus, la bienfaisance est découverte. Nous la raisonnerons plus tard; en attendant, on l'exerce.

L'économie politique a bien d'autres obligations encore à l'influence du christianisme qui a fait disparaître ce sentiment étroit et égoïste de nationalité, source des longues querelles d'Athènes et de Sparte, de Carthage et de Rome, déplorables arènes où s'épuisèrent tant de ressources sociales qu'un autre principe eût fécondées! La seule création des

conciles est une des plus heureuses conceptions du génie civilisateur chrétien, à ne les considérer que comme des congrès où toutes les lumières étaient convoquées à la discussion d'une idée. Que de temps n'a-t-il pas fallu pour que ces nobles inspirations triomphassent du préjugé guerrier et barbare! Il y a à peine quelques années que J.-B. Say achevait de démontrer dans sa belle théorie des débouchés la doctrine de la solidarité commerciale des nations, et ce n'est pas sans peine que de nos jours la solution des différends entre peuples a été remise à la diplomatie plutôt qu'à l'épée. Qui a préparé ces résultats, si ce n'est le christianisme? Et qu'est-ce donc aujourd'hui que la liberté civile, religieuse et commerciale, si ce n'est le développement de la pensée fondamentale chrétienne? Sans le principe nouveau de l'égalité devant Dieu, l'esclavage grec et romain infesterait encore le monde, la faiblesse serait toujours à la merci de la force et la richesse serait encore produite par les uns pour être consommée par les autres, sans dédommage

ment.

Sous le point de vue de la distribution du pouvoir, il n'y a aucune institution humaine qui puisse être comparée à la manière vraiment admirable dont l'église est organisée depuis l'apparition officielle du christianisme. Un pape siége à Rome et tient sous sa puissance les hauts dignitaires du

de

clergé, qui nomment eux-mêmes aux emplois les membres de la milice inférieure. Toute cette milice est soumise aux mêmes règles et au même costume, de Paris au Japon et de la Chine à Rome. Le même office se célèbre dans la même langue aux deux extrémités du monde; les noms des saints du christianisme figurent en tête de tous nos actes de naissance, et nous ne distinguons les jours de l'année que par la nomenclature de ses apôtres et de ses martyrs. Le dimanche des chrétiens est devenu le jour du repos universel; partout, quand l'église ouvre ses temples, le travail ferme ses ateliers. Il n'y a pas une seule circonstance importante de la vie qui échappe à l'influence religieuse ou qui se passe son intervention. Le prêtre chrétien attend aux fonts baptismaux l'enfant qui vient de naître et lui impose un nom; plus tard il le précède à l'autel pour bénir son mariage; enfin quand le terme de sa vie est arrivé, il l'accompagne, en priant, au tombeau. Que de puissans moyens d'action le christianisme a inventés, depuis, pour s'emparer de l'existence toute entière de l'homme! Partout on voit le prêtre se faire instituteur et diriger l'enfance par ses conseils. Le catéchisme lui assure cette conquête sans effort; un premier sacrement, la communion, crée un lien de plus, resserré par les communications mystérieuses et redoutables du confessionnal. Puis, comme si ce n'était assez de ces premiers succès,

l'évêque paraît dans toute la majesté de la puissance ecclésiastique et administre la confirmation, accorde des dispenses, prononce des censures, lie et délie comme arbitre suprême et vicaire de Dieu. Ainsi, ni l'enfance, ni l'âge mûr, ni la vieillesse, ni la mort ne peuvent soustraire à l'influence du prêtre, la plus complète et la plus inévitable qui ait jamais existé dans le monde.

Ce n'est pas tout, et nous ne faisons à peine qu'indiquer les attributions illimitées du pouvoir religieux. Quel est aujourd'hui le magistrat qui dispose dans le moindre village d'un vaste local pour réunir la population, d'un moyen prompt et sur de la convoquer, d'une tribune aux harangues pour l'émouvoir ou la convaincre? C'est le prêtre. Lui seul est le maître du temple, de la chaire et des cloches; il réunit ses ouailles quand bon lui semble et sans la permission de l'autorité civile; il ordonne et on obéit. Aux yeux même des plus incrédules, Pâques, Noël, la Pentecôte, la Toussaint, toutes les fêtes chrétiennes sont encore des fêtes ; les jours de jeûne sont des jours de privation. Nos rues et nos cités portent des noms de saints; les arts et les métiers prennent des saints pour patrons. Les marins éperdus votent des oraisons à NotreDame-de-la-Garde. On fauche à la Saint-Jean; on vendange à la Saint-Michel. De temps à autre, le prêtre irrité donne des avertissemens sévères; tan

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