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s'est établie, radieuse, au sortir des catacombes de Rome et des asiles obscurs de la persécution. Peu à peu toutes les hautes intelligences, lasses du polythéisme romain, s'y sont ralliées, et les prêtres ont pris partout la place des curiales qui étaient les municipaux de l'époque. Les lois ont commencé à leur donner des attributions que la confiance des peuples a ratifiées, et que partout ils s'efforçaient de justifier par leur savoir et leur habileté. Rien n'est plus curieux à étudier que la transition au moyen de laquelle cette révolution s'est opérée. Constantin publiait dans la même année deux édits, dont l'un recommandait l'observation du dimanche et l'autre prescrivait de consulter les augures. En même temps s'établissaient les premières distinctions entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. D'un autre côté, les légistes envahissaient l'empire avec des textes, substituant ainsi l'influence des lois à celle de l'épée, et devenant, sans s'en douter peut-être, les plus puissans auxiliaires de la religion. Rome mourante s'éteignait dans un linceul de monumens; Constantinople naissante s'élevait sur des monceaux de livres. Les avocats et les prêtres succédaient aux architectes et aux hommes de guerre. Les Pandectes, les Institutes, l'Évangile se partageaient désormais le respect des peuples et l'influence universelle. Un immense bourdonnement de plaidoiries

succédait aux cris des batailles, et le seul préfet du prétoire employait sept cent cinquante avocats. Le patriciat n'était plus qu'une dignité viagère; on lui avait ôté l'hérédité. L'empire divisé en plusieurs diocèses, grands comme des royaumes et gouvernés par des vicaires, voyait s'achever l'oeuvre de la décentralisation qui devait favoriser tout à la fois les attaques des barbares et les abus de justice et de procédure. Le monde allait être en proie aux gens de loi, qui le menacent bien plus sérieusement au moment où j'écris. Leurs fortunes étaient si rapides et leurs exactions si scandaleuses que le code théodosien dut les menacer de la peine de mort ('). On trouve à ce sujet dans Ammien Marcellin (2) des détails qui pourraient donner lieu à de singuliers rapprochemens avec les abus de nos jours.

La division du siége de l'empire apporta aussi de notables changemens au système des impositions. Constantin et ses successeurs préférèrent une taxe simple et directe au régime plus compliqué des contributions d'origine romaine. Les percepteurs, qui ne recevaient aucune rétribution, étaient choisis parmi les citoyens les plus distingués sous le nom de décurions, comme seraient parmi nous les membres des jurys d'expropriation pour cause d'utilité

(1) Cessent rapaces jùm nunc cfficialium manus; cessent, inquam; si moniti non cesserint, gladiis præcidentur. » Liv. 12 tit. 7, loi 1. (2) Liv. xxx, chap. 4.

publique. A eux seuls étaient dévolues les fonctions pénibles de répartiteurs, qui les exposaient au mécontentement et souvent aux violences des populations. Toutes les terres de l'état, sans excepter le patrimoine de l'empereur, étaient assujéties à la taxe, et chaque nouveau propriétaire devait payer les dettes de l'ancien. Un cadastre exact, révisé tous les quinze ans, permettait de fixer les cotes avec assez d'impartialité, puisque l'on avait soin de désigner sur les registres la nature particulière de chaque propriété, dont la valeur était estimée d'après la moyenne d'un revenu de cinq ans. L'impôt se payait généralement en monnaie d'or; mais il y en avait une forte partie exigée en denrées de toute espèce, blé, vins, huiles, bois et fourrages, qui devaient être transportés aux frais des contribuables dans les magasins de l'empereur, et qui donnaient lieu à d'effroyables concussions. Les plaintes étant devenues générales, les empereurs eurent recours à d'autres expédiens, parmi lesquels on peut ranger l'invention des patentes imposées à tous les genres d'industrie et de commerce. On fut même obligé de payer les fonctionnaires publics en nature, et Lampride () nous apprend qu'indépendamment d'un traitement d'environ 4,000 fr. de notre monnaie en espèces, les gouverneurs de province recevaient six cruches de

(1) Chap. 42.

vin, deux mulets et deux chevaux, deux habits de parade, un habit simple, une baignoire, un cuisinier, un muletier, et enfin, quand ils n'étaient pas mariés, une concubine; quod sine his esse non possent, dit l'auteur. Quand ils sortaient de charge ils étaient toujours obligés de rendre les mulets, les chevaux, le muletier et le cuisinier. Si l'empereur était content de leur administration, ils gardaient le reste; sinon ils étaient obligés de le rendre au quadruple. On voit dans d'autres écrits que les gouverneurs de deux grandes provinces ont reçu de l'huile pour entretenir quatre lampes. Il s'introduisait chaque jour quelque chose des mœurs asiatiques dans le gouvernement financier et dans les habitudes de l'empire. Les eunuques, les espions, les fonctionnaires de la domesticité se multipliaient outre mesure, et avec eux les bassesses, la délation et le favoritisme. Ce fut alors que les barbares répandus sur les bords de la mer Noire, aux bouches du Danube et sur plusieurs autres frontières, commencèrent à reconnaître les parties vulnérables de l'empire et à préparer la grande invasion qui devait changer la face du monde, aprės que le christianisme les aurait changés eux-mêmes. Examinons donc quelle a été l'influence du christianisme sur le développement social européen, et quelles modifications son établissement définitif a fait éprouver à l'économie politique des anciens.

CHAPITRE IX.

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Changemens survenus dans l'économie sociale de l'Europe par l'influence du christianisme. Son organisation vigoureuse et savante.. Les monastères créent la vie de communauté.-—Le principe religieux donne naissance aux hòpitaux, aux asiles. prêtre est aujourd'hui au dessous de sa tâche. Opinion à ce sujet.

Le

La sensation fut grande en Europe quand le christianisme, jusque là proscrit et humilié, s'éleva tout-à-coup au rang de religion dominante et poursuivit à son tour ses persécuteurs. Quelle péripétie! tout change presque à la fois, tout se réorganise comme par enchantement sur des bases nouvelles. Le pouvoir politique, jusque là uniquement appuyé sur la force, cherche des auxiliaires dans la raison, dans les croyances; il s'entoure et se fortifie du prestige de l'autorité religieuse, qui a déjà poussé de profondes racines dans les cœurs. C'est chose merveilleuse à voir que la promptitude avec laquelle le monde, encore païen pour le culte, se hâte de tirer les conséquences de la parole évan

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