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CHAPITRE VIII.

Décadence rapide de l'Empire.-Ses principales causes.-Première apparition du christianisme. — Influence des mœurs asiatiques à Modification dans les idées civiles, religieu

Constantinople.

ses, industrielles, commerciales.

Au sein de cette prospérité apparente, le monde romain renfermait des germes actifs de décadence et de dissolution. La grande quantité de peuples étrangers que la conquête avait successivement réunis à l'empire, en modifiant insensiblement ses mœurs, affaiblissait sa puissance. Ces peuples ne s'étaient pas tous fondus sans résistance dans cette grande unité, et plusieurs gardaient fidèlement le souvenir de leur ancienne indépendance. Les nombreux priviléges dont jouissaient les habitans de Rome étaient ambitionnés par tous les hommes importans des provinces conquises, de sorte que personne ne voulait plus être de l'empire, mais seulement de la cité. Une transformation profonde

s'opérait ainsi peu à peu, favorisée par l'avénement au trône de cette longue série de candidats italiens, espagnols, gaulois ou bataves, poussés au pouvoir par le meurtre, l'intrigue ou les séditions militaires. Puis vient le tour des Barbares; depuis les Antonins, on ne voit plus que des Thraces, des Pannoniens, des Dalmates, des Illyriens, se disputer l'empire: il en périt de mort violente soixante en un siècle et demi. Le premier qui ouvre cette série néfaste, Maximin, choisi pour sa taille et sa force colossale, grossier, parlant à peine la langue des peuples qu'il gouverne, excelle à traîner un chariot, à fendre les arbres, à réduire les pierres en poudre, à dompter les chevaux sauvages: il remplit plusieurs coupes de sa sueur. Ainsi le règne de l'intelligence finit pour faire place à la force brutale.

L'économie politique ne se charge pas d'expliquer les longues saturnales de l'empire pendant cette période d'infamie et de décrépitude. Qui pourrait se faire une idée exacte d'un tel mouvement de décomposition, compliqué par l'esclavage, par l'invasion, par le mélange des races, des langues, des coutumes, des vices, sorte de chaos social où la science s'arrête et l'imagination s'égare? Quelle or. ganisation politique aurait pu résister aux extravagances de monstres tels que Commode, Caracalla, Héliogabale? Quand de semblables êtres paraissent

sur la terre, ils n'y peuvent figurer que comme élémens de dissolution, et quelque lumière nouvelle ne saurait tarder à sortir de la nuit qu'ils ont faite. Cette lumière, qui luit aux derniers horizons de l'empire, c'est le christianisme: essayons de l'étudier à sa naissance et d'expliquer sa grande influence, destinée à changer la face du monde. Quand il commença à paraître, on ne prévoyait guère la brillante carrière qu'il devait parcourir, et cependant déjà tout concourait à préparer son triomphe. La philosophie attaquait les dieux païens; le scepticisme grec arrivé du pays de Platon, faisait déjà la guerre aux vieilles croyances romaines, et désormais les augures ne pouvaient plus se regarder sans rire. En vain chaque métier avait pris un dieu pour protecteur : les matelots, Neptune, les forgerons, Vulcain, les laboureurs, Cérès, les vignerons, Bacchus, et les marchands, Mercure; déjà les dieux avaient peine à se protéger eux-mêmes et s'apprêtaient à faire place à d'autres patrons plus puissans.

Les légions campées aux frontières et composées de soldats levés dans les pays conquis, se retournaient vers le centre et d'auxiliaires devenaient ennemies. Pendant ce temps, les rhéteurs déclamaient dans les villes; les esclaves exercés par leurs maîtres aux voluptés et aux subtilités, se fatiguaient du joug; Lucien, le Voltaire du temps, se

moquait des supériorités sociales; les stoïciens, les épicuriens, les académiciens prêchaient des doctrines hardies tout le vieil édifice des Romains s'écroulait. Une réaction violente les avait déjà avertis sous Mithridate de se défier de la fortune, le jour où il en fit égorger soixante mille; et à une autre époque, Spartacus, ce grand chef d'esclaves, avait battu quatre de leurs généraux. Qui donc voudrait désormais verser son sang pour la vieille cause nationale? il n'y avait plus de nation proprement dite, mais un assemblage confus de nations. L'empire se composait de villes séparées par des déserts, des forêts ou des marais impénétrables; les habitans des villages, rustica proles, s'étaient peu à peu infiltrés dans les villes, où les spectacles, les distributions, les jouissances de tout genre les appelaient sans cesse et les énervaient.

C'est au moment de cette décadence universelle que le christianisme commença à se montrer sur quelques points de l'empire. La première information officielle qu'on en reçut se trouve dans une lettre de Pline le jeune, gouverneur de Bythinie ('),

(1) Voici un passage de cette lettre : « La chose m'a paru digne de consultation, principalement à cause du nombre des accusés; car on met en péril plusieurs personnes de tout âge, de tout sexe et de toute condition. Cette superstition a infecté non seulement les villes, mais les bourgades et la campagne.... Ils ont accoutumé de s'assembler un jour avant le lever du soleil et de dire ensemble, à deux chœurs, un cantique en l'honneur du Christ comme d'un Dieu. >>

et tout aussitôt la doctrine nouvelle se répandit comme un éclair, timidement d'abord, mais sans qu'on ait eu le temps de s'en apercevoir. A peine on achevait de lire ce qu'en disaient les gouverneurs de provinces que déjà Tertullien s'écriait hardiment: « Nous ne sommes que d'hier, et nous remplissons vos colonies, l'armée, le palais, le sénat, le forum; nous ne vous laissons que vos temples. » En vain quelques persécutions sanglantes essaient d'étouffer dans sa source la religion nouvelle; Constantin lui donne des temples et ses destinées s'accomplissent. Les historiens de cette grande époque ont suffisamment retracé toutes les circonstances qui l'ont préparée; notre rôle est d'en étudier les résultats humanitaires et de rechercher par quelle heureuse transition l'esclavage grec et romain a dû faire place au respect du travail, au régime de la liberté et de l'égalité.

La division de l'empire en deux vastes lambeaux a singulièrement favorisé cette révolution inouie. Constantinople était plus propre que Rome à recevoir le Dieu des chrétiens; ville toute neuve, elle convenait merveilleusement à un culte nouveau. C'est par ingratitude que ce culte adopta, depuis, Rome pour berceau; le véritable berceau du christianisme est à Constantinople. C'est là que la religion chrétienne, devenue religion de l'état, a commencé à s'organiser sur des bases régulières ; c'est là qu'elle

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