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savant disciple d'Adam Smith, Les Économiques de Xénophon, jusqu'à ce jour mal étudiées, renferment des aperçus d'une grande netteté, et nous ne connaissons pas de meilleure définition de la monnaie, que celle que nous en a donnée Aristote dans le premier livre de sa Politique (1).

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par

On se tromperait néanmoins si l'on considérait les essais tentés par les gouvernemens, ou préconiles écrivains de la Grèce et de Rome, comme le résultat d'un système économique conçu d'après des données vraiment scientifiques, ou inspiré par une haute philosophie. Les Grecs et les Romains méprisaient le travail et flétrissaient l'industrie comme une occupation indigne de l'homme libre. L'esclavage apparait à chaque page de leur histoire pour donner un démenti aux écrits de leurs philosophes et aux théories de leurs économistes. Mais ne rencontre-t-on pas dans notre histoire des contradictions aussi choquantes? C'est en les étu diant chez les anciens où nous pouvons les juger avec plus d'impartialité, qu'il est facile de reconnaître parmi nous le danger ou l'inutilité d'une foule de tentatives qui, pour paraître nouvelles, n'en sont pas moins renouvelées des Grecs et des Romains.

Les anciens ont essayé de tout, et nous leur ressemblons sous trop de rapports pour négliger leur

(1) Politique d'Aristote, liv. 1, chap. 6 et 7.

économie politique. Athènes avait ses ilotes, comme

le moyen âge a eu ses serfs, et nos colonies leurs esclaves. Quelques états modernes ont même encore leurs castes disgraciées, telles que celle des Juifs en Suisse, en Prusse et en Pologne: mais ce qui distingue principalement l'économie politique des anciens de celle des modernes, c'est la liberté du travail et l'emploi du crédit. Tout a changé autour de nous depuis l'invention de l'imprimerie, de la boussole et de la poudre. Nous connaissons et nous exploitons, dans des proportions colossales, des matières premières qui étaient inconnues à nos aïeux. Le coton, le fer, les vins, la houille, la yapeur sont devenus pour nous des ressources inépuisables. Trois où quatre plantes, la pomme de terre, la betterave, la canne à sucre, le thé fournissent des alimens à des millions d'hommes, et des cargaisons à des milliers de vaisseaux. Les anciens vivaient de la conquête, c'est-à-dire du travail d'autrui ; nous vivons, nous, de l'industrie et du commerce, c'est-à-dire de notre propre travail.

Le caractère distinctif de l'économie politique grecque et romaine, c'est l'esclavage; la tendance irrésistible de la nôtre, c'est la liberté. Nous verrons comment l'influence du christianisme a contribué à lui donner cette direction, interrompue tantôt par l'invasion barbare, tantôt par le fanatisme religieux; mais aucun obstacle sérieux n'a pu l'ar

rêter dans sa marche. La Glèbe féodale a eu pour contrepoids les corporations qui étaient déjà un progrès, puisqu'elles développèrent l'esprit d'association; les corporations à leur tour ont disparu devant l'émancipation de l'industrie. Chaque pas a affranchi l'homme d'une servitude, et l'a gratifié d'un produit utile, de sorte qu'on peut dire que la liberté n'est jamais venue sans apporter avec elle quelque bienfait. Les Grecs et les Romains, qui opprimèrent l'humanité sous des apparences trompeuses, manquaient de linge et n'avaient pas de vitres à leurs maisons; nous-mêmes, nous n'avons commencé à jouir de quelque aisance dans la vie matérielle que depuis la conquête de la liberté.

Pour apprécier à leur juste valeur ces différences radicales et aussi les ressemblances de l'économie politique des anciens avec la nôtre, il faut étudier à la fois leurs institutions et leurs écrits, c'est-à-dire les faits et les doctrines de leur époque. J'ai choisi de préférence pour cette étude, en Grèce, le moment de la plus haute prospérité d'Athènes, et à Rome les premiers siècles de l'empire. C'est en effet Athènes qui représente le mieux la civilisation grecque et Rome impériale, la civilisation romaine. Les institutions et les écrits de ces époques mémorables ont exercé sur le monde contemporain une influence immense qui s'est étendue jusqu'à la postérité dont nous sommes les représentans. Les lois

romaines décident encore à beaucoup d'égards les plus graves questions de notre état civil, président à nos mariages, réglent nos successions et gouvernent nos propriétés. Les douanes existaient à Rome avant le règne de Néron, et les Athéniens ont connu les emprunts publics. Ils savaient très bien les richesses qu'on peut tirer du commerce; ils prêtaient à la grosse aventure, et de tout temps ils donnèrent beaucoup d'attention à l'exploitation de leurs mines. Souvent en lisant leur histoire on croit lire la nôtre, tant les faits se ressemblent, et tant il est vrai que l'humanité s'agite dans une sphère de passions et de besoins semblables!

A la chute du monde romain, il s'opère une révolution profonde dans la marche de l'économie politique. L'esclavage prend une forme nouvelle, incessamment modifiée par l'influence du christianisme; les idées d'égalité commencent à se répandre. Au mépris affecté des richesses succèdent les premiers élémens de l'art d'en acquérir. Quelques grands souverains donnent l'exemple de l'ordre et de l'économie : Charlemagne fait vendre au marché les œufs de ses poules et les légumes de ses jardins ('). Les conquérans deviennent conservateurs et il est facile de trouver dans les Capitulaires le germe des idées nouvelles qui vont remplacer la vieille politique romaine. Les croisades ont exercé (1) Voyez le Capitulaire de Villis, art. 39, édit. de Baluze.

plus tard leur part d'influence, en faisant la fortune des villes maritimes de l'Italie, qui devinrent le refuge de la civilisation contre la barbarie du moyen âge. La propriété des terres, jusque là concentrée dans les mains des seigneurs, se divise aux mains des bourgeois qui les achètent aux guerroyeurs en Terre-Sainte. Le contact de l'Orient inspire des goûts nouveaux, fait naître des besoins de luxe que l'industrie des républiques italiennes s'empresse de satisfaire. Il n'est pas jusqu'aux erreurs du temps qui ne concourent à l'œuvre continuelle du progrès, et les Juifs persécutés créent la science du crédit et du change. St-Louis paraît et organise l'industrie. Les métiers se divisent en confréries et se mettent sous la protection des saints, contre la tyrannie des barons. La commune se forme et la bourgeoisie, où se recrute le clergé, commence contre l'aristocratie cette longue lutte qui finit à peine aux grands jours de 1789.

Trois grands événemens, presque contemporains, la découverte de la poudre, celle de l'imprimerie et du nouveau monde changeront à leur tour la face de l'Europe et les conditions de la richesse publique. Les métaux précieux, jusque-là si rares, vont devenir abondans; des produits inconnus circulent plus rapides avec les idées; la force physique brutale est détrônée par la poudre. Je ne saurais comprendre comment en présence de ces merveilleux

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