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L'ÉCONOMIE POLITIQUE.

CHAPITRE PREMIER.

L'économie politique est plus ancienne qu'on ne pense. - Les Grecs et les Romains ont eu la leur.-Ressemblance qu'elle présente avec celle de notre temps.-Différences qui les séparent.-Modifications successives que cette science a éprouvées dans sa marche.-Vue générale du sujet.

C'est un beau spectacle et bien digne de méditation, que celui des efforts tentés, aux différens âges du monde, pour améliorer la condition physique et morale de l'homme. Chaque siècle apporte son tribut de fanatisme à cette grande croyance, qui compte parmi ses martyrs des nations et des

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rois. Jamais l'humanité ne se repose; une expérience succède incessamment à une autre, et nous marchons au travers des révolutions, vers des destinées inconnues. Quand on étudie avec soin l'histoire du passé, on s'aperçoit que ce mouvement vient de loin, qu'il a poussé nos pères et qu'il nous entraîne avec nos enfans. Quelquefois les peuples paraissent y obéir en aveugles, comme quand l'Europe est envahie par les barbares; plus souvent ils Ꭹ cèdent avec un sentiment confus des lois éternelles qui le régissent. Ainsi s'expliquent les innombrables essais de gouvernement, qu'on voit néanmoins graviter sans cesse autour d'un petit nombre de principes immuables, tels que la sûreté des personnes et le respect de la propriété..

L'histoire de l'économie politique ne pouvait donc être que le résumé des expériences qui ont été faites chez les peuples civilisés pour améliorer le sort de l'espèce humaine. Les anciens ne sont pas dans cette carrière autant inférieurs aux modernes que beaucoup d'auteurs le supposent, et c'est bien à tort qu'on assigne communément à la science économique une origine aussi récente que la seconde moitié du dix-huitième siècle. Qui ne connaît les institutions de Sparte et d'Athènes, et les magnifiques travaux de l'administration romaine? Il nous semble difficile de passer sous silence l'économie politique de ces temps-là, surtout quand on y trouve

l'origine de presque toutes les institutions qui nous gouvernent et des systèmes qui nous divisent. Certes, il y avait dans les lois de Lycurgue plus de Saintsimonisme qu'on ne pense, et les querelles de patriciens et de plébéiens n'ont pas été plus vives à Paris à l'époque de la terreur, qu'elles ne le furent à Rome pendant les proscriptions de Sylla. Il y a des ressemblances bien plus frappantes encore entre l'insurrection des ouvriers de Lyon et la retraite du peuple Romain au Mont-Sacré. Combien de fois, depuis Ménénius Agrippa, n'a-t-on pas eu occasion de débiter à des populations mutinées l'apologue fameux des membres et de l'estomac ?

En écartant de l'histoire de l'économie politique tout ce qui avait rapport aux anciens, les économistes modernes se sont donc volontairement privés d'une source féconde d'observations et de rapprochemens. Ils ont dédaigné deux mille ans d'expériences exécutées avec la plus grande hardiesse sur une vaste échelle par les peuples les plus ingénieux et les plus civilisés de l'antiquité; ils ont méconnu l'histoire qui a recueilli soigneusement les moindres traces de ces expériences que nous refaisons aujourd'hui, trop souvent avec moins d'habileté et de nécessité que les Grecs et les Romains. Ce préjugé des économistes est dû à ce que les anciens n'ont laissé aucun ouvrage spécial qui résumât leurs vues sur la science économique; mais si ces vues n'ont

pas été exposées dans un livre, elles se retrouvent dans leurs institutions, dans leurs monumens, dans leur jurisprudence. Les relais de chevaux établis depuis Rome jusqu'à York, les soins particuliers donnés par les Romains à l'entretien des routes et des aquéducs, attestent à un très haut degré leur intelligence des principales nécessités de la civilisation. La législation des colonies grecques valait mieux que celle des colonies espagnoles dans l'Amérique du Sud.

Sparte, Athènes, Rome, ont eu leur économie politique comme la France et l'Angleterre ont la leur. L'usure, les impôts exagérés, les tarifs, les fermages exorbitans, l'insuffisance des salaires, le paupérisme ont affligé les vieilles sociétés comme les nouvelles, et nos ancêtres n'ont pas fait moins d'efforts que nous pour se débarrasser de ces fléaux. On se tromperait étrangement si l'on croyait qu'ils n'ont jamais réfléchi aux difficultés des réformes dont ils sentaient le besoin; chaque page de leur histoire nous en offre la preuve, et nous ne doutons pas que la grande insurrection des esclaves sous Spartacus n'ait fait passer de bien mauvaises nuits aux économistes du temps. Que si les historiens ne nous ont pas fait part de leurs angoisses, c'est qu'à Rome on n'osait pas parler de cette plaie secrète qui minait la république et qui faisait monter la rougeur au visage de ses plus grands citoyens.

Quand plus tard les empereurs s'avisèrent de distribuer des vivres aux habitans de la ville Éternelle, ne faisaient-ils pas de l'économie politique comme les moines en font en Espagne à la porte de leurs couvens! Y a-t-il beaucoup de différence entre les maximes des Athéniens qui prohibaient les figues à la sortie, et celles des Français qui prohibaient naguère la soie et les chiffons? Tout ce qu'on peut dire, c'est que les Grecs n'ont pas trouvé, comme nous, des auteurs pour appuyer ces absurdités par des sophismes; mais cela ne nous donne pas le droit de les mépriser.

Quand on étudie avec attention la législation financière des Grecs et des Romains, on ne peut s'empêcher de reconnaître que les plus graves questions d'économie politique ont de tout temps attiré l'attention de ces peuples.. Il suffit de voir avec quelle sollicitude ils veillaient sur leurs relations internationales, sur l'état civil des étrangers, sur la nature et les effets des impôts, sur les encouragemens à donner à l'agriculture, et sur le régime de la navigation. J'aurai occasion de citer dans le cours de cet ouvrage des preuves irrécusables de leur parfaite intelligence de ces matières. Il n'est pas jusqu'aux phénomènes les plus compliqués de la division du travail qui aient pu échapper à leurs recherches, et l'on en trouve dans le second livre de la République de Platon une analyse qui ferait honneur au plus

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