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COURIER DE PROVENCE.

Pour servir de suite aux Lettres du Comte de Mirabeau à ses Commettans.

No. C

Du 29 au 30 janvier 1790.

ON se rappelle les bruyans efforts tentés vaine

Ν

cr

ment dans la dernière séance, pour écarter le décret en faveur des Juifs Espagnols, Portugais & Avignonois. On trouvoit dans les mœurs, les loix et la croyance propres à leur secte, des raisons suffisantes pour se refuser à leur demande. Maintenant, c'est un vif intérêt pour les Juifs d'Alsace qu'on fait valoir contre la rédaction du décret. L'addition d'une courte phrase est néceffaire, dit-on, à leur sûreté. Ils sont perdus, si l'on n'ajoute pas qu'on ne préjuge rien à l'égard des Juifs d'Alsace,, ; car il est à craindre que les chrétiens de cette province, ne les distinguent point des Juifs de Bordeaux; qu'ils n'imaginent que les droits dont ceux-ci jouissent sont accordés de même à leurs confrères. Il n'est rien, dès-lors, à quoi la jalousie l'indignation & le fanatisme ne puissent se porter contr'eux. Voilà une guerre livrée par quelques centaines de mille Alsaciens contre vingt-fix

L

mille Juifs. La sagesse, la prévoyance, l'humanité, exigent qu'on prévienne une équivoque aussi meurtrière. Il faut déclarer, par pitié pour ces Juifs d'Alsace, qu'ils ne sont point compris dans les droits des Juifs de Bordeaux; qu'ils sont séquestrés soigneusement encore de la société politique; que nés François, il leur suffit d'être disciples de Moïse pour être étrangers à leur patrie, qu'on se garde bien de rien présumer en leur faveur; le tout pour leur plus grand avantage, & pour les soustraire aux fu reurs dont ils deviendroient l'objet comme citoyens.

C'est ainsi que la violence & la finesse ont souvent été mises en œuvre dans le même but. Hier l'on éclatoit ; aujourd'hui l'on use d'adresse. Mais ces différentes marches ont été suivies du même succès. L'ascendant de la raison emporta hier le décret en faveur des Juifs Bordelois; le même esprit a rejeté aujourd'hui la modification sur les Juifs d'Alsace. Dire qu'on ne préjugeoit rien à leur égard, ç'eût été vraiment préjuger contre eux. Que les Juifs d'Alsace, de Lorraine, imitent les Juifs de Bordeaux et de Bayonne; qu'ils fassent la même profession de foi politique, & se montrent soumis en tout point, à nos loix civiles, on ne parlera plus des

Juifs Portuguais ou Espagnols, de Juifs Alsaciens ou Allemands, il n'y aura que des Juifs François; ou plutôt, on ne verra plus que des citoyens, sans s'embarrasser de la croyance et des pratiques qui ne sont que religieuses.

Après ce léger débat, la lecture d'une lettre de M. de Volney au Président a appris à l'Assemblée que ce Député venoit de renoncer à la double commission qu'il avoit reçue pour File de Corse. Il s'est placé par-là sur la même. ligne que messieurs le duc de Biron, de Canteleu et Nourissart. Ceux qui connoissent son caractère étoient surs de cette démarche. Il a suivi un noble exemple, et il étoit digne de le donner.

La division des Départemens a été continuée dans cette séance; ceux du Velay, du Quercy, de Carcassonne, de Troyes & de l'est de la Provence ont reçu chacun leur chef-lieu. L'on a réglé, de même, le nombre de districts compris dans tous ces Départemens, en assignant à chacun d'eux leur chef-lieu particulier. Les divers débats excités par les prétentions des villes à la primauté ont été terminés, comme à l'ordinaire, par des décisions seulement provisoires, tant sur les alternats des villes rivales, que sur le partage fait entr'elles des assemblées adminis

tratives et des tribunaux de jurisdiction. Nous craindrions, en nous traînant avec nos lecteurs dans tous ces détails, de leur faire payer pár trop d'ennui une connoissance fugitive, & peu nécessaire au plus grand nombre.

Ce rapport du comité de constitution a été suivi de plusieurs autres rapports du comité des finances. D'abord M. Nourissart a rendu compte d'un travail important de ce comité, sur la fabrication d'une nouvelle monnoie de billon, dont il avoit déjà entretenu l'Assemblée il y a quinze jours.

La défaveur générale du change, qui fait cou ler l'argent hors du royaume ; la crainte, presque universelle qui arrête la ciculation de l'argent, & résiste aux spéculations de l'intérêt; l'incertitude des fortunes, qui ne permet que peu de confiance dans les gens d'affaires; des fonds immenses retirés par les étrangers; peutétre l'exportation de sommes considérables par les capitalistes fugitifs, & le resserrement d'espèces par les capitalistes mécontens voilà ce qui nous a conduits insensiblement de la rareté du numéraire à sa disette; et de sa disette, je dirai presque à la famine que nous éprouvons. Voilà comment il arrive que des billets, où l'on lit: JE PAIERAI A VUE AU PORTEUR, avec

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