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laissé l'administration; le gouvernement François s'engageoit à ne rien changer au régime politique de cette île, sans le consentement de la république; enfin on citoit les traités entre les puissances, pour s'opposer à l'amélioration. de la Corse, comme on a cité le mariage d'Anne de Bretagne, pour empêcher cette province d'être libre et Françoise.

Une des grandes différences qui existe entre ces deux traités que nous comparons ici, c'est qu'heureusement les parties contractantes sont encore pleines de vie. M. de Salicetti,' député de Corse, s'est opposé, au nom de ses commettans, aux prétentions orgeuilleuses de la république Génoise. Jamais elle n'avoit été regardée comme souveraine de cet île. Les Corses usoient de leurs droits pour adopter le gouvernement et la constitution Françoise; il a démontré l'importance de faire parvenir à la Corse le décret de l'Assemblée qui l'affilie à la France; il a fait craindre le parti que pourroient tirer leurs ennemis de l'incertitude inquiète où ce silence de l'Assemblée avoit jeté les habitans de cette île et conclu par la motion, qu'il n'y avoit lieu à délibérer.

M. le comte de Mirabeau a fait sentir le vidicule d'une prétention, qui feroit du Roi de

France un simple administrateur de la souve raineté génoise en Corse. C'étoit, sans doute, une consolante idée pour la vanité républicaine, au moment où elle perdoit un Royaume et titre de Roi, de substituer un Roi de France, un procurateur couronné pour soigner les intérêts de tant de Monarques détrônés.

MM. Garat l'aîné, Barnave ont refuté la demande des Génois, s'appuyant sur les droits des peuples de se livrer à tel pays, de se soumettre à telle constitution qui leur paroît convenable, et sur l'adhésion volontaire de la Corse au gouvernement François,, M. Roberts Pierre a cherché à éveiller des soupçons trop bien fondés, peut-être, d'après la lenteur qu'on a mise à faire parvenir les décrets de l'Assemblée dans cette île; il a fait entendre que Gènes, dans ce moment, étoit mise en jeu par quelqu'autre puissance, et démontré la justice et l'avantage de défendre la liberté des Corses et le ur association.

Sans vouloir donner trop d'extension à ses craintes, quelques faits peuvent au moins servir à les rendre naturelles et plausibles: on sait que les Génois n'ont perdu par la cession forcée de la Corse que le titre de souverains, dont ils étoient, il est vrai, fort jaloux; mais on

sait aussi que la possession de ce petit royaume a été la source de toutes les guerres qu'ils ont eues contre les Pisans, et la seule cause de la dette immense dont ils sont grêvés. C'est pour payer l'intérêt des sommes dépensées pour ces différentes guerres qu'ils ont établi chez eux cette banque de St.-Georges, qui a ses ministres, ses agens; ses magistrats, son régime, et qui forme un état dans un état etc. Ainsi donc on pourroit croire, avec M. Roberts - Pierre, que la république n'a pas fait d'elle-même une pareille réclamation; les Russes désirent depuis long-tems de se procurer un port de mer dans la Méditerranée; c'est pour en solliciter un pour eux auprès des Napolitains, que l'empereur a entrepris, quoique sans succès, son dernier voyage en Italie; on a tenté les Génois avec aussi peu de fruit pour leur faire céder la belle anse DE LA SPEZIA, qui formeroit une rade préférable peutêtre à celle de Toulon enfin on sait que Paoli se dispose à aller en Corse, qu'il est peut-être déjà parti de Londres, qu'il doit passer à Paris sous peu de jours; sans lui prêter des sentimens contraires à la liberté de son pays, sa reconnoissance pour les Anglois ne lui feroit-elle pas tenter de donner à cette nation

Ane propriété, ou du moins des alliés qui pourroient nous inquiéter..... Tous ces faits, qui n'étoient pas sans doute connus de M. Roberts-Pierre, pourroient peut-être aggraver les soupçons vagues par lesquels il a cherché à éveiller la prudence de l'Assemblée.

MM. l'abbé Maury, d'Esprémenil, le vicomte de Mirabeau ont présenté des opinions contraires, il est fàcheux de n'avoir pour moyen et pour guide dans la recherche de la vérité que la triste habitude de suivre toujours la route opposée à celle de nos adversaires, qui la cherchent de bonne foi..... Cette méthode n'est pas toujours heureuse. M. le vicomte de Mirabeau, qui remplace souvent la discussion par de la gaité, et le raisonnement par des traits piquans, a trouvé plaisant de proposer de mander le doge de Gènes à la barre, comme Louis XIV l'avoit fait venir à Versailles. Le despotisme exercé par ce prince, en opposition avec les principes de liberté et de justice, adoptés par l'Assemblée, et conduisant cependant au même résultat, présentoient sans doute au préopinant une marche assez neuve pour la proposer. On a ri comme lui; et c'étoit répondre.

MM. d'Esprémenil et l'abbé Maury ont de

andě l'ajournement de la question. M. le duc du Châtelet, ambassadeur à Londres, lorsqu'on avoit conclu le traité avec la Corse, s'est borné à parler des égards que l'Assemblée nationale devoit avoir pour les traités faits avec les puissances, et il a demandé la suspension de la décision.

M. le comte de Buttafuoco a fait sentir les dangers d'un ajournement indéfini, qui renouvelleroit toutes les inquiétudes des Corses; et quant au projet de reconnoître la république de Gènes pour souveraine, il a ajouté “QUE LES CORSES AIMEROIENT MIEUX SE DONNER AU DIABLE QU'AUX GÉNOIS" (1).

(1) Nous ferons observer à nos lecteurs que M. de Buttofauço s'est servi, en parlant des Corses, des mêmes expressions dont se servit Louis XI, en parlant des Génois eux-mêmes.

Genès, fondée dit-on par Janus, et qui, soit à raison de son fondateur, soit à raison de sa variabilité, est représentée dans son enceinte sous la forme d'une statue à deux tétes, dont l'une de femme, et l'autre de vieillard, Gènes, dis-je, est la ville du monde qui a changé Je plus souvent de gouvernement. Depuis qu'elle se comptoit au nombre des villes Liguriciennes, jusqu'à la révolu tion de 1528, opérée par Dorina, elle a été tour-à-tour sous la domination des Goths jusqu'à Charlemagne, qui la réunit à la France, sous des comtes qu'elle chassa

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