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Tels sont les faits les plus constans, circonstances les plus avérées de cet étrange événement; au milieu de l'effervescence générale, le faux a pu souvent se mêler au vraj; et de, la même manière que le peuple de Toulon a pu voir chez M. d'Albert un dessein formé de l'opprimer, celui-ci a pu se persuader aussi qu'une sédition fomentée par des ennemis secrets n'alloit pas à moins qu'à compromettre son honneur et la sûreté du précieux dépot dont la garde lui étoit confiée.

Au tribunal de la raison, toutes les mesures de M. d'Albert ne sont pas également justi fiables. L'association proposée aux bas-officiers de la marine pour soutenir les officiers de l'armée, les moyens employés pour la faire signer, sont du nombre de ces expédiens dangereux, qui tournent presque toujours contre ceux qui y ont recours. En général, il est difficile de défendre ce général du reproche d'inconsidération, d'emportement, et de cette hauteur déplacée, qui, faute de savoir se plier aux circonstances, amène presque toujours l'humiliation. Mais l'on ne doit pas oublier que ces défauts tiennent à une éducation que l'esprit de liberté n'a pas eu le tems de modifier, à des habitudes contractées sous un régime différent de celui où nous sommes, et à la nature même des services que le comte d'Albert a rendus à sa patrie. Il n'est pas aisé

à un militaire, accoutumé à la stricte disci pline des camps et des flottes, de se faire toutà-coup à ces égards que les droits de l'homme reclament dans les états libres, et qui sont si différens de ces vaines formes de politesse qui s'appliquent seulement à ce que nous appelons si sottement les honnêtes gens.

Si l'inflexibilité du comte d'Albert n'a pas été marquée au coin de la prudence, ses précautions peuvent avoir été sages, nécessaires même, en les rapportant à la crainte d'une insurrection; mais si, comme il est évident, cette crainte étoit chimérique, s'il n'y avoit chez le peuple ni intention, ni intérêt, ni but assi gnable au soulèvement, s'étonnera-t-on que ces précautions aient elles-mêmes femé l'épouvante et accéléré l'état de trouble que M. d'Albert prétend avoir voulu prévenir?

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Quant aux vues sinistres qu'on prête à M. d'Albert pour le premier décembre, elles ont bien peu de vraisemblance; il seroit étrange qu'ayant dix-sept cens hommes à ses ordres, il n'eût employé que deux piquets de cinquante hommes pour sa défense. Si son projet étoit d'opprimer, auroit-il employé d'aussi foibles moyens pour réussir ?

La conduite des officiers municipaux et de la garde nationale de Toulon a été sage, modérée et patriotique. Celle des premiers, surtout, a été constamment prudente, également

éloignée

éloignée d'une basse complaisance pour les caprices de la multitude, et de ces emporte mens gigantesques si communs aux gens en pouvoir. Nous joignons nos regrets à ceux de la ville de Toulon et de toute la Provence, pour la perte qu'elle a faite en la personne de M. Roubaut, l'un des Consuls, dont ce mal. heureux événement a précipité la carriere, et qui eût été digne de jouir long-tems dans sa patrie de la reconnoissance et de l'estime que lui méritèrent ses services et ses vertus.

Il seroit inutile de donner ici un compte dé taillé des diverses opinions qui se sont élevées dans l'assemblée, sur la manière de terminer cette désagréable affaire. Nous l'avons déjà observé; à mesure qu'on s'est éloigné de l'événement, les esprits sont devenus plus calmes, on a senti la nécessité d'un décret de paternité plutôt que d'une décision de justice. La modération de M. de Champagny, en servant la cause de M. d'Albert, à déterminé l'Assemblée. Il a prononcé un discours très intéressant, dont sa modestie lui a fait refuser l'impression. Nous trouvons dans celui du duc de Liancourt une réflexion remarquable: "Dans les circonstances actuelles on ne sauroit trop répéter, qu'une aussi grande révolution que celle qui change les loix, les usages, les habitudes de tant de siècles ne peut s'opérer sans de grandes secousses; que les malheurs passa

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gers qu'entraînent ces grandes commotions, effet d'actions souvent répréhensibles en les 'considérant séparément, sont aussi l'effet d'intentions pures qu'une politique saine et éclairée ne doit pas condamner, sans les examiner dans le rapport des circonstances qui les ont fait naître,..

M. Ricard, M. de Robespierre et M. de Clermont Tonnerre ont parlé, les deux premiers, pour les officiers municipaux et la garde nationale, et le troisieme pour M. d'Albert et les officiers. L'Assemblée a pris en considé ration divers projets de décision, et a enfin rendu le décret ci-après :

"L'assemblée nationale présumant favorablement des motifs qui ont animé (1) M. d'Albert de Rioms, et les autres officiers de marine, impliqués dans l'affaire, les officiers municipaux et la garde nationale de Toulon, déclarent qu'il n'y a lieu à aucune inculpation..

Dans la séance du lundi 18, l'Assemblée a fait à ce décret sur la motion de M. Goupille de Préfeln une addition qui mérite d'étre rapportée. M. de la Fayette étant venu prendre sa place dans l'assemblée, M. Goupille a

(1) On ne dit pas des motifs qui animent, mais des motifs qui déterminent. Il seroit à souhaiter qu'il y eút dans l'Assemblée un comité, chargé de recevoir tous les décrets, avant qu'ils fussent imprimés, dans le but de redresser les incorrections du style qui échappent si souvent à l'Assemblée dans ses rédactions.

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et

dit" Messieurs: le décret que vous avez porté dans l'affaire de Toulon est digne sans doute, de votre profonde sagesse ; je ne puis cependant vous dissimuler que l'envie, toujours occupée, à déprimer le mérite, et sur-tout le plus transcendant, peut abuser de ce décret pour répandre quelques nuages sur la gloire que le comte d'Albert s'est acquise. Le monde entier sait avec quelle supériorité, quelle intelligence quelle valeur sagement intrépide, ce guerrier a soutenu l'honneur du pavillon françois ; l'histoire parlera de ses exploits; ne permettez pas qu'elle ait à dire à nos neveux que l'Assemblée auguste qui relevoit si glorieusement l'antique et majestueux édifice de la liberté françoise, contrista sans le vouloir l'ame d'un. des plus illustres défenseurs de l'empire; rien. ne peut flétrir les lauriers du comte d'Albert; cependant, quel sentiment peut produire, dans une ame aussi énergique que la sienne le plus léger soupçon, l'ombre seule d'une humiliation? Nous sommes françois; la gloire. fut toujours l'idole de nos ayeux; elle ne cessera pas d'être la nôtre. Nous transmettrons son noble enthousiasme à nos enfans, ainsi que le devoir patriotique d'honorer la valeur qui s'est rendue redoutable à nos ennemis et respectable à l'univers

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Après ce discours, M. de Préfeln a conclu à ce que M. le Président, en faisant connoître.

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