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sur les toits, que vous avez vendu à ce due d'Orléans le mépris que vous faites succéder à votre acharnement. Moi, qui connois l'inflexibilité de vos principes; moi, qui vous ai tant de fois, et toujours infructueusement reproché votre excessif dégagement en matiere d'intérêts; moi, qui n'ai jamais pu obtenir de vous, qu'il vous plût de songer à votre fortune en mettant à profit certaines occasions qui ne blessoient point la délicatesse; moi, qu'on a rendue plus d'une fois dépositaire.

Je ne puis qu'être indignée de l'injustice, et rire de l'absurdité de leurs suppositions.

Mais enfin ce n'est pas moi que vous avez à persuader la conviction de votre incorruptibilité me rend inaccessible à toutes les insinuations de la malveillance; mais il est tant de gens pour qui c'est un besoin de recevoir avidement toutes les impressions de la malignité! Et vous-même, ne semblez-vous pas vous complaire à donner de la consistance aux soupçons? Prenez-y garde, la prévention qui vous accuse s'alimente de votre dédain, et je tremble que vous ne deveniez la victime dụ sentiment d'orgueil et de fierté qui ne vous permet pas de descendre à des éclaircissemens qui

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auroient une physionomie d'apologie.Peut-être votre justification est-elle enchaînée par des considérations plus respectables, auxquelles Vous avez la générosité de faire le sacrifice momentané de votre honneur: c'est alors qu'il seroit vraiment sublime de braver jusqu'à l'infamie, plutôt que de mettre indiscretement le public dans la confidence de vos motifs. Mais moi, qui ai quelques droits à votre confiance, je ne me paie pas d'une excuse qui seroit injurieuse à ma discrétion ou à mon discernement.

Je suis femme, et par conséquent trèsimpatiente d'être initiée dans tous les mysteres ́: si vous avez des secrets qui ne soient pas les vôtres, je respecte à cet égard votre scrupuleuse taciturnité; mais il mais il y a nécessairement beaucoup de choses sur lesquelles vous pouvez très-innocemment satisfaire ma curiosité.

Je me doute bien qu'en général vous boudez l'aristocratie; mais cette idée ne me donne pas encore la clef de votre conduite, et ne m'explique pas nettement la monstruosité de certaines relations. Dans mes conjectures particulieres, votre désertion ne ressemble pas mal à la colere d'Achille : mais quel insigne outrage avez-vous donc reçu de ces malheureux aristocrates, dont les infortunes ne sauroient

plus vous émouvoir? Agamemnon Mauri vous auroit-il ravi quelque Briséis?

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Persifflez-moi, si cela vous amuse; riez tant qu'il vous plaira de mes folles imaginations; mais je vous somme de me répondre gravement sur quelques questions qui mettent jour et nuit ma pauvre tête à la torture, et qui n'ont jamais été si problématiques que depuis que tout le monde se mêle de les résoudre. Qu'est-ce que M. de la Fayette ? que veut-il? comment finira-t-il?...

Et ce Mirabeau, qui est le plastron de toutes les invectives, comment se fait-il qu'il soit encore redoutable? quelle est sa politique ? et que pensez-vous de ses moyens?....

Et ce monsieur Barnave, dont la caricature divertit toutes les tavernes de Londres ; quelle, est, au vrai, la mesure de ses talens?....

Et ce Duport du Tertre, qui fait si bien mouvoir, VOTRE GRAND SANCTIONATEUR, comment est-il arrivé là, lui à qui on n'accorde ni esprit, ni connoissances, ni même le talent de l'intrigue ?....

Et votre duc d'Orléans, qu'en faites-vous ? au fond, que vouloit-il? et quelle prétention peut-il lui rester? ..

Enfin, donnez-moi une idée juste des grands. hommes de la révolution personne n'a été

plus à portée que vous d'apprécier tous ces gens-là. Sans doute ils n'ont pas tous le même plan mais en combien de factions divisezvous tous les potentats qui nous gouvernent? quels sont ceux qui iront à leurs fins ? Dans cette bagarre, que deviendront les castes proscrites? sont-elles destinées à être la proie des brigands et des assassins? ou les puissances" voisines se ligueront-elles pour arrêter le cours de toutes ces attrocités? Croyez-vous à la contre-révolution? Le remede ne seroit-il pas pire que le mal? Quand et comment finira la captiviré du roi ? le terme n'en sera-t-il pas quelque exécrable catastrophe ? Faut-il fuir cette terre de désolation, et chercher un asyle dans une contrée moins barbare?

J'ai besoin d'avoir votre avis sur tout cela; c'est-à-dire, qu'après m'avoir toisé tous nos grands faiseurs et tiré leur horoscope, il me faut encore votre pronostic sur le sort qui nous attend; mais songez que lorsque vous m'aurez une fois rassurée, je vous rends responsable des événemens.

Vous reverra-t-on bientôt ? Que signifie donc votre soudaine prédilection pour la campagne? Ce goût de solitude contraste avec la manie de célébrité dont autrefois vous paroissiez dévoré fantaisie, au reste, qu'il seroit

brutal de censurer, puisqu'on lui doit de très

aimables crâneries.

J'apprends par voie indirecte (car vous vous dispensez envers moi, même des égards de la simple politesse) j'apprends donc fortuitement que vous êtes dans un état de convalescence. Savez-vous bien que si je vous aimois encore, et qu'on m'annonçât que vous avez perdu votre grosse santé, cette idée me feroit frissonner? La mort subite de M. de Rulhieres ne paroît pas bien naturelle, et je redouterois pour vous le même sort, que dans leurs principes vous n'avez que trop mérité. Au fait, croyez-vous qu'ils l'ayent empoisonné? Dans un certain monde, cette conjecture ne trouve plus d'incrédule: quant à moi qui ai sondé la profonde perversité de leur systême depuis qu'ils dédaignent de masquer la scélératesse de leurs moyens, l'atrocité des crimes qu'on leur impute est toujours à mes yeux la mesure de la vraisemblance.

que

Voilà une bien longue épître, mon cher Suleau, et cependant je ne la finis de lassitude, car il me semble que j'aurois encore beaucoup de questions à vous faire. N'allez pas vous imaginer que ce soit une maniere adroite de renouer avec vous un commerce d'intimité dont votre froideur a détruit tout le prestige.

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