Page images
PDF
EPUB

ne les produire, comme les morstres, qu'à regret.

M. de Mirabeau occupe toutes les trompettes de la renommée; peut-être doit-il une partie de sa célébrité au scandale prodigieux de ses vices; mais, à coup sûr, il ne doit qu'à son génie et à ses talens l'empire irrésistible qu'il exerce sur les esprits; car on ne supposera point que ce soit par l'ascendant de sa vertu qu'il les subjugue.

en

M. Suleau; la Fayette a une armée, mais croyez-moi, ma tête est aussi une puissance, etc. Oui, M. de Mirabeau, yotre tête est une puissance, et une terrible puissance; hélas ! fourquoi faut-il que cette puissance, qui a une influence si désastreuse sur les destinées de la France, ne se scit pas développée sens inverse? Au reste, il est, à mon sens, moins coupable de ses crimes, que certaines gens qui ont eu la fatale obstination de ne pas lui donner intérêt de faire le bien. Quelle inepte et funeste imprévoyance! Qu'on ne me dise pas qu'il y avoit alors assez d'hommes capables à la tête du conseil. On sait maintenant à quoi s'en tenir sur cette jactance qui a fait une fatale illusion. D'ailleurs, si la France prend à sa solde quelques régimens suisses, ce n'est pas qu'elle ait besoin d'étrangers pour

completter son armée; mais c'est qu'il est nécessaire à un suisse de se vendre, parce qu'il ne vit que de ce trafic; or, si vous ne l'achetez pas, il fera avec vos ennemis le marché dont il vous avoit offert la préférence; s'il n'est pas pour vous, il est contre vous : tout n'indiquoit-il pas que par le même calcul politique, il falloit stipendier le suisse de Provence? Étoit-il per

mis de lésiner sur les conditions de son-trai

tement, quand il étoit évident que vos ennemis

enchériroient sur le traité dont il vous faisoit Thommage de très-bonne-foi.

i

Mirabeau joue un jeu forcé, car il est mo narchiste par goût et par principes : qu'attendez vous donc pour le mettre en mesure de réparer le mal que vous l'avez condamné à vous faire ? Ce n'est pas le moment d'écouter certaines répugnances, il faut aux grands maux des remedes violens. La langue de ce serpent a la même propriété que la lance d'Achille, qui guérissoit les blessures qu'elle avoit faites. Il y a aussi un animal dont on ne guérit les morsures qu'en l'écrasant sur la plaie. Le corps politique est agonisant; que celui-là qui connoît le secret de sa maladie, en soit le médecin; la cure est infaillible; mais retenez bien que lui seul peut l'opérer.

Au fait, ce Mirabeau n'est pas aussi mons

trueux qu'on le suppose; à part son esprit, ses connoissances et ses talens, il a encore des qualités attrayantes. C'est, sans contredit, un homme profondément immoral; mais il met dans toutes ses turpitudes une franchise si originale, que sa scélératesse même a quelque chose de séduisant. Il y a dans sa laideur morale je ne sais quel profil qui n'est pas tout-à-fait aussi hideux que celui de sa figure. Il faut croire que sa dépravation est contagieuse, car j'ai peine à me défendre d'un certain intérêt de bienveillance à son sort. Je me surprends même par fois m'oubliant jusqu'au point de lui accorder un sentiment d'attachement. Au demeuil y a des méchans plus méchans que lui; il en est qui font le mal gratuitement et pour le plaisir de le faire; quant à lui, il n'y trouve de plaisir qu'autant qu'il y a quelqu'intérêt. Il a d'ailleurs des choses fort saillantes; et je vous assure qu'il est susceptible de complaisance et de générosité. Je n'ai aucun tort de procédés à me reprocher envers lui, mais bien quelques manieres malhonnêtes que je ne me pardonne point. Je me rappelle avec amertume certaines franchises qui, au fond, étoient de véritables grossieretés. Je souhaite impatiemment de trouver l'occasion de le convaincre qu'il n'y avoit dans mon fait que de l'étour

rant,

derie, et que je suis incapable d'une brutalité réfléchie. Ma contrition est sincere, car ce ne peut être que pour le soulagement de ma consience, que je me laisse entraîner à vous faire ma confession de peccadilles qui sont tout-à-fait étrangeres à l'objet de votre curiosité.

J'ai peu de loisir en ce moment, permettezmoi de ne vous envoyer aujourd'hui que cette légere ébauche du fameux, Mirabeau ; et soyez indulgente, si elle se repent de la précipitation avec laquelle elle a été crayonnée. Il entre dans le plan de mon grand travail de faire son portrait en pied: peut-être aurai-je plus d'aptitude à peindre à grands traits, qu'à compasser des miniatures. Je vous jure, foi d'aristocrate, que vous le recevrez incessamment. L'engagement que je prends ici avec vous, je le prends aussi avec moi-même; car indépendamment du plaisir de vous obéir et de contenter une de vos fantaisies, cette occupation aura encore pour moi l'attrait naturel qui invite à peindre une belle horreur.

Que me parlez-vous du talent de votre monsieur Barnave? Ah! sous ce rapport, il est bien petit ce grand homme Il débite avec une certaine facilité, mais le malheureux n'a pas une idée; en revanche, il a un art admi

rable pour compiler les idées des autres; etl'on ne peut lui refuser quelque aptitude à s'approprier son plagiat. Aussi n'ayez pas peur qu'il s'expose à ouvrir uné délibération. C'est une chose remarquable, que jamais il ne s'est placé à Pavant-garde dans aucune escarmouche. Il ne se compromet pas à figurer dans les menus décrets; il dédaigne cette broutille qu'il abandonne aux aboyeurs subalternes.

Sa marche est bien plus adroite. Il se traîne prudemment à la queue de toutes les grandes motions; résume avec assez de clarté et de méthode toutes les opinions divergentes, puis récapitule soigneusement et avec une lenteur imposante tout ce qu'il y a de plus spécieux dans les sophismes de son parti; et de tout cela il vous compose sa petite motion, qui ne manque gueres de faire fortune, parce que préalablement il a eu la précaution de tàter les esprits et de scruter le vœu de la majorité. On se doute bien qu'il abonde toujours dans le sens de ses chers Jacobins ; mais si par hasard il s'apperçoit que les raisons solides et la nerveuse éloquence des Mauri et des Cazalès à fait une impression irrésistible sur les hermaphrodites de 89, et que la majorité sera litigieuse, vite il vous amende à propos son opinion, et au moyen de quelques légeres modifications,

[ocr errors]
« PreviousContinue »