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sauroit suppléer la vigueur de l'ame. Il est quelquefois male dans ses dispositions; mais ses actions sont toujours d'un chatré.

Quant à ses principes de législation, ils sont populaires jusqu'à l'excès. Il a des idées exagérées sur la liberté. Je me suis quelquefois permis de iui dire que sa théorie platonique étoit impraticable, et qu'adaptée au gouvernement d'une grande nation; elle ne produiroit que convulsions et anarchie: mais il est livré à une cotterie de philantropes qui ne comprendront jamais que rien n'est plus anti-social que le système d'égalité dont ils font leurs délices.

Vous me demandez ce qu'il veut.... Un jour qu'il m'écoutoit avec bonté, je pris la liberté de lui faire la même question. Il veut une monarchie populaire. Je ne pus m'empêcher de lui répliquer que c'étoit la démocratie royale des actes des apôtres. La répartie eroit caustique il m'écoutoit; mais ce n'est pas à dire qu'il m'ait entendu..

Je me suis bientôt reproché cette petite méchanceté; car dans le cours de la même conversation, je fus convaincu qu'il n'étoit point entiché du républicanisme des factieux, et qu'il étoit même sincérement attaché à la personne du roi ; je serois sa caution sur ce point.

Vous voilà bien embarrassée pour concilier tout cela avec la capture, la geole et tous les accessoires, etc. etc. etc.

Je n'aurai point pitié de votre impatience; je vous ai dit qu'il n'étoit pas encore tems de le définir contentez-vous aujourd'hui de savoir comment il doit finir.

Il finira par être pendu, (j'ai parié qu'il le seroit encore avant moi, et je suis prêt à doubler la gageure ), oui, madame, pendu ; et, ce qui vous paroîtra encore plus paradoxal, c'est qu'il sera pendu par ce bon peuple, dans lequel il semble avoir concentré toutes ses affections. Comme il ne peut goûter le plan des Jacobins, et qu'il fait bande à part, ils ont trop d'intérêt à le perdre, pour qu'il ne soit pas leur victime. Ces scélérats, en caressant adroitement toutes les passions de la multitude, sont en possession d'en diriger tous les mouvemens; et il ne leur sera pas difficile de persuader à cette populace dont ils ont capté la confiance, que M. de la Fayette n'est qu'un aristocrate déguisé qui trahit sourdement leurs intérêts. Ainsi donc que nous soyons réduits aux tracasseries interminables d'une guerre intestine, (ce que le plus impudent de nos tribuns appelle une guerre poste, ou que nous obtenions les honneurs

de

d'une guerre civile, soit que nous ayons la ressource d'une guerre étrangere, je prédis que le premier coup de canon qui se tirera contre les troupes de la ligue, sera le signal de sa mort. Il veut de bonne foi la liberté, et tous les autres ne veulent que la puissance. Aussi les conjurés républicains, dont il n'a pas voulu être le complice, les conspirateurs erléanois, dont il a démasqué les vues, concourreront avec la même ardeur à son exécution; et les royalistes, dont il n'a jamais osé protéger la vie, ni défendre les propriétés, souriront à sa catastrophe:

(Je lui ai présagé son sort et de vive voix et par écrit ; je prends acte de mon pronostic. )

Au fait, M. de la Fayette étoit l'homme le moins propre à diriger la force publique dans un tems de troubles et de discorde. Il faut à un chef de parti un grand caractere, de vastes mesures, une fermeté imposante et quelquefois même de l'audace; et M. de la Fayette, loin d'être un homme fortement trempé, n'est qu'un agnelet, d'un génie très - circonscrit, timide. dans ses résolutions et petit dans ses moyens. Il est incapable de se prêter sciemment à des atrocités; mais comment se justifiera-t-il d'avoir toujours été spectateur indolent des exécutions populaires? Il semble n'y assister que pour les consacrer par sa présence. Il arrive

là très-froidement lorsque tout est fini; alors il engage respectueusement les acteurs et les spectateurs (ses freres) à regagner paisiblement leurs foyers. S'il ne s'étoit créé ce petit bout de rôle, il ne figureroit dans toutes ces tragédies, que comme un valet de théatre qui ne paroît sur la scene que pour emporter les cadavres lorsque la piece est jouée.

On l'a justement comparé à l'arc-en-ciel, qui ne se montre qu'après l'orage.

Mon bon ami Robespierre a dit que la loi martiale étoit de trop dans une révolution, que cela pouvoit dégoûter le peuple. Seroit-ce aussi la doctrine de M de la Fayette? Moi, je ne me lasserai pas de lui dire, que c'est dans un tems d'anarchie, que le peuple veut être morigené, camo et frano. Si à l'attrait naturel qui le porte à l'insul ordination et à la licence, vous ajoutez l'encouragement de l'impunité, il ne connoît plus de trein, et après s'être précipné dans tous les excès, il se rue sur le conduc eur craintif ou inhabile qui n'a pas osé ou n'a pas sçu maîtriser l'irréguliere impé uosité de ses mouvemens. Le peuple est un cheval fougueux et indompté qui a un instinct admirable pour juger son écuyer; il obéit à celui qui s'en fait redouter, mais il a bientôt désarçonné et foulé aux pieds le cavalier incertain et peureux qui

le guide d'une main tremblante et mal assurée. La chûte et la lapidation de M. de la Fayette est donc un événement qu'il rend tous les jours plus inévitable.

Moi personnellement, qui connois la douceur de ses mœurs, l'aménité de son caractere, et l'attrait de ses vertus privées, je donnerai de sinceres regrets à sa mort; mais je ne puis pas dire que sa perte sera un malheur politique parce qu'il faut que le problême de notre situation soit enfin résolu. La machine ébranlée par le tiraillement de tant de partis qui ne s'accordent que pour la désorganiser, ne résister à de nouvelles secousses; et si peut nous ne pouvons écraser nos tyrans, il est à desirer que leur joug s'affermisse.

Il faut changer de pinceau et de couleurs pour peindre M. de Mirabeau.

C'est celui-ci qui est un homme vraiment colossal! Voilà de ces êtres qui semblent n'avoir été jettés sur la terre que pour changer la face des empires! La nature en est avare et ne les produit qu'à de longs intervalles, soit qu'ils épuisent sa force créatrice, soit par pitié pour l'espece humaine qui en général ne gagne rien au bouleversement de ses institutions. Toujours est-il vrai que cette bonne mere semble

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