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Les peres de la démagogie ne se lassent pas de nous prêcher qu'on peut conquérir la liberté, mais que quand on n'a pas sçu la conserver, on ne la recouvre point; eh! bien, j'ai cela de com

mun avec leur liberté : mettez toutefois cette différence, que les expédiens dont ces mèssieurs se sont avisés pour cette fameuse conquête, ne réussiroient pas pour faire la mienne. Il ne peut donc plus exister entre nous que des rapports paisibles d'une innocente amitié et d'une confiance mutuelle. J'avoue que ce me seroit un sacrifice pénible de renoncer à cette fraternelle intelligence. L'intérêt affectueux que je vous conserve ne me permettra jamais de m'isoler de votre bonheur. Vous serez toujours présent à mon esprit, et jamais étranger à mon cœur. Ces sentimens, (dont la nonréciprocité me seroit une privation infiniment douloureuse), me donnent le droit de vous interroger sur vos projets d'établissement.

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Quelque carriere que vous embrassiez, vos talens et votre activité vous offrent la perspective d'une considération distinguée et d'une grande fortune: mais encore faut-il que vos travaux qui, jusqu'à présent, n'ont eu qu'un objet d'agrément, soient enfin dirigés vers un but moins désintéressé.

Dernierement on me faisoit craindre que

votre antipathie pour les usurpateurs de l'autorité, et votre répugnance invincible à devenir leur complice, ne vous déterminent à retourner en Amérique. Je ne vous dirai pas à quel point cette menace m'a contristée : mais je puis vous assurer que je verrois dans cette résolution plus de foiblesse et d'égoïsme que de véritable caractere. Et nous autres victimes désignées, qui sommes clouées dans ce malheureux pays par nos propriétés, que deviendrons-nous si tous les gens bien pensans, emportent en fuyant, la seule consolation qui nous reste contre les horreurs de l'anarchie, qui après avoir dévoré nos biens, finit par nous juguler pour étouffer nos plaintes?

Tenez, mon brave, je ne saurois me familiariser avec l'idée de votre départ ; et si je ne me suis pas fait illusion dans le choix de mon ami, il se fera l'effort de me pardonner les torts de distraction dont il s'est rendu coupable envers moi, et reviendra bien vite jurer à mes pieds de partager mes périls et mes peines; Nous souffrirons ensemble, et nous souffrirons moins....

Voilà le serment civique que la générosité et la reconnoissance vous imposent; celui-là vaut bien le leur recevez en échange celui que je fais de vivre pour vous aimer :( j'aurois dit autre fois, de vous aimer pour vivre ).

courage

P. S. Je n'ai pas le de relire mon bavardage. Je ne voulois que vous donner un petit avis amical, mais très-succinct : et voilà que la curiosité, qui est toujours prolixe, et le plaisir de causer avec vous, dont je me suis fait une douce habitude, tout cela m'a entraînée. Je me flatte que vous ne me forcerez pas de me souvenir de vos incivilités, en me faisant une petite réponse bien circonspecte, bien ministérielle.

Vous me disiez un jour que vous vous asserviriez avec moins de répugnance au métier de forçat, qu'à une profession qui vous condamneroit à avoir de l'esprit tous les jours; eh! bien, je vous en dispense très-volontiers dans notre correspondance: voilà un grand soulagement pour votre paresse.

L'oisiveté de la campagne, et la facilité de votre style, jointe à l'habitude d'écrire, ne vous laissent d'ailleurs aucun prétexte d'être laconique; écrivez-moi donc d'abondance de cœur toutes les réflexions que le sujet de ma lettre est susceptible de faire éclore. Je n'exige pas que vous contentiez, servilement ma curiosité sur certains points où votre complaisance auroit l'inconvénient de faire murmurer votre

vous me désignez, et pour l'intérêt bien entendu de votre curiosité, je vous invite à vous contenter aujourd'hui de ce profil; car

il

y de ces figures mobiles dont le peintre n'attrape la ressemblance qu'après les avoir étudiées dans toutes leurs attitudes, et leur avoir fait parcourir le cercle de toutes les affections. Il seroit donc prématuré de juger certains acteurs avant que leur rôle soit fini. Au reste, je vous préviens que la malignité ne trouvera pas toujours son compte à les dépecer; car tel d'entr'eux que j'ai disséqué s'est trouvé sous le scalpel, moins hideux que son effigie.

Avant que d'entrer dans mon sujet, je me dois à moi-même quelques mots apologétiques sur la déloyauté dont vous m'accusez, et sur laquelle je n'aurai pas. la condescendance de passer condamnation. condamnation; parce qu'en dépit des exemples, tout ce qui avoisine l'ingratitude me fait horreur, et que dans le vrai, ces vilains procédés dont vous me faites la faveur de vous plaindre avec une espèce d'aigreur sentimentale, j'en ai fait très-conscientieusement la recherche, et cela se réduit, en derniere analyse, à quelques torts de circonstances, quelques misérables peccadilles que mille considérations tendent en

core

core à atténuer. Au demeurant, ces petites étourderies, qui n'acquierent quelque gravité que par la générosité avec laquelle vous les pardonnez, sont suffisamment 'expiées par l'amertume de ma contrition; au surplus, pour ne pas être en reste de générosité avec vous, je vous promets de les réparer de maniere à m'en faire un mérite.

Passons à l'examen de mes crimes de lèzearistocratie. Il me seroit affreux de devoir aussi des réparations à ces Messieurs ; car vous avez trouvé le mot, en devinant que je pestois contre tout ce monde-là.

N'est-il pas extrêmement bizarre que moi, qu'aucune considération d'intérêt, ni prochain ni indirect, n'associoit à la cause des opprimés; moi, qui, bien gratuitement, et sans autre impulsion que la générosité de mon caractere, leur ai sacrifié mon repos, ma santé, ma fortune ... tandis que, pour jouir de leur humiliation, et partager leurs dépouilles, je n'avois besoin que de me laisser enrôler parmi les chefs du parti qui les écrâse; moi, qui ai éventé tous les complots, et déjoué toutes les manoeuvres qui auroient déjà consommé leur ruine moi, qui n'ai pas hésité d'attirer sur ma tête des périls sans cesse renaissans, pour y soustraire des

B

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