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perception, les confiaient toujours à des fermiers (1). Mais on voit le même tantôt donner à un fermier unique toutes les dîmes qu'il possédait dans une paroisse, tantôt les partager entre plusieurs. En 1789, l'évêque de Rennes affermait en bloc toutes ses dimes de Cesson, qu'il partageait entre 11 fermiers en 1770; en 1789, d'ailleurs, il partageait ses dimes d'Acigné en 8 petits lots, tout comme vingt ans auparavant. On peut remarquer, toutefois, que les décimateurs ne morcelaient beaucoup les fermages que dans les paroisses les plus rapprochées de leur résidence. Dans les localités éloignées, le fermage unique était la règle, et il arrivait souvent qu'un établissement ou un bénéficiaire confiât au même fermier les biens de toute sorte qu'il pouvait posséder en une même paroisse ou en plusieurs paroisses voisines, dîmes, terres, droits seigneuriaux et autres redevances; c'était d'ordinaire le cas pour les biens des prieurés dépendant des grands établissements. Les recteurs, quand il leur arrivait d'affermer leurs dimes, préféraient les petits fermages aux gros. Il en était, cependant, qui affermaient toutes les leurs en bloc.

Les petites fermes étaient naturellement prises par des habitants de la localité, généralement par des paysans; elles étaient souvent de très minime importance, le plus petit hameau ayant parfois un fermier particulier, choisi parmi ses habitants, qui levait les dimes des trois ou quatre métairies environnantes. Les grosses allaient à des fermiers plus largement solvables, à des gens d'affaires ou à des hommes de loi, qui parfois habitaient fort loin des lieux de perception et devaient choisir des intermédiaires sur place. C'est ainsi que Lebouc de la Bouteillère, avocat à Fougères, fermier de l'évêque de Rennes pour les dîmes de Saint-Georges-deReintembault, avait pris des arrangements particuliers avec 106 habitants de la paroisse, dont le recteur; dans la plupart des 127 villages, il avait un sous-fermier. Ces arrangements. lui assuraient une recette de 9.796 1., soit un bénéfice de 596 1. sur le fermage qu'il payait lui-même à l'évêque. C'est, il est vrai, le seul exemple que nous puissions donner des procédés de perception des gros fermiers. Lorsqu'ils habitaient sur place, ils trouvaient, sans doute, plus profitable d'en user

(1) L'abbaye de Saint-Sulpice, seule, faisait exception, pour les dimes de sa propre paroisse.

IV

comme les recteurs dont nous avons les comptes pour 1790, et de faire eux-mêmes ramasser, charroyer, engranger, battre et vendre le produit de leurs dîmes. Ces gros fermiers, d'ailleurs, étaient souvent des négociants de campagne, des marchands de grains surtout, qui trouvaient, dans l'affermage des dîmes, un aliment pour leur commerce et l'occasion de spéculer.

Les baux de dîmes étaient, comme les baux de terres, généralement conclus pour 9 ans, parfois pour 6, beaucoup plus rarement pour 12 ou 18; ils comprenaient toujours la récolte de la dernière année. Le paiement intégral en argent était la règle ordinaire; nous n'avons relevé qu'un petit nombre de fermages payables en grains, paille et argent, et il se peut que la proportion en ait diminué, comme pour les fermages de terres, dans le courant du XVIII° siècle; il était même très rare que le fermier fût tenu à aucune prestation ou redevance accessoire en nature..

Nous ne pouvons savoir à quelle époque remontait l'usage des pots de vin ou deniers d'entrée qui, souvent, augmentaient clandestinement, dans des proportions considérables, le prix des baux. Un état des revenus du chapitre de Rennes, en 1772, nous apprend que pour les baux, tant de dîmes que de terres, courant à cette date, les pots de vin avaient produit 11.000 1. Mais, dans leur déclaration de 1790, les religieuses de SaintSulpice, en avouant les deniers d'entrée reçus de leurs fermiers, ont expliqué qu'elles les avaient réclamés, au dernier renouvellement des baux seulement, afin de libérer l'abbaye de ses vieilles dettes. On sait au reste que nous ne les connaissons ordinairement que par les déclarations des fermiers eux-mêmes, en 1790. Il en a pu échapper à nos recherches, et l'intérêt que le clergé pouvait avoir à dissimuler le produit réel de ses biens, ne fût-ce que pour frauder sur les droits de contrôle, existait depuis longtemps. Nos documents ne nous en ont révélé aucun pour les fermes de dîmes de l'évêché, du chapitre de Rennes et de l'abbaye de Saint-Georges. Mais le produit des dimes de l'abbaye de Saint-Sulpice s'en trouvait accru dans la proportion de 7 %, et celui de ses prieurés, dont les dimes formaient le principal revenu, dans la proportion de 12 %.

Nous n'avons découvert que trois exemples d'une augmentation du prix des baux de dîmes par contre-lettre, ou engagement clandestin du fermier; il s'agissait de dîmes de l'abbaye de Rillé, dont le prix de fermage se trouvait ainsi accru de 30 %.

Partout où les dîmes étaient affermées séparément et où nous connaissons le produit des pots de vin, nous savons avec certitude ce qu'elles rapportaient à leurs possesseurs. Il est plus difficile de savoir ce qu'elles coûtaient aux décimables. Il faudrait tenir compte, en effet, des frais de récolte et du bénéfice des fermiers. Il est bien difficile d'apprécier le second. Lebouc de la Bouteillère gardait 6,08 % du produit de ses sous-fermages de Saint-Georges-de-Reintembault; ce n'est pas là un taux exagéré, et il est probable qu'en présence des risques que leur faisaient courir l'incertitude des récoltes et les variations du prix des grains, les fermiers s'assuraient toujours au moins pareil bénéfice.

Sur les frais de récolte, les comptes de gestion fournis par les recteurs, pour l'année 1790, nous apportent des données précises; mais nous nous sommes étonnés du taux considérable auquel ces frais sont évalués le plus souvent. En voici le montant et le taux moyen dans tous les cas où nous les connaissons, c'est-à-dire pour 33 de de nos 103 recteurs décimateurs :

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Beaucoup de recteurs se sont contentés de donner, sans plus de détail, le produit de leurs grosses dîmes, en ajoutant que celui des menues dîmes a couvert leurs frais.

Le taux des frais était, d'ailleurs, suivant les paroisses, fort inégal. Dans certains comptes, il approche, ou même dépasse, 25 % (à Broons, 23,5 %, à Saint-Gondran, 26,7 %).

A Montreuil-sous-Pérouse, à Aubigné, à Liffré, à Poilley, il descend, au contraire, aux environs de 10%. Certains recteurs n'auraient-ils pas exagéré leurs dépenses? Nos documents témoignent plutôt en faveur de leur sincérité; les administrations de district et certaines municipalités paraissent, en effet, avoir examiné de très près le détail des frais, et elles étaient capables d'en apprécier au moins la vraisemblance. Or, elles n'ont contesté, nous l'avons vu, que trois comptes; encore le recteur de Chauméré, seul, fut-il nettement accusé de fraude; sa municipalité lui reprocha d'avoir dissimulé 407 1. de recettes et « enflé » la note de ses frais de 120 1.

En réduisant à 15 % du produit net le taux moyen des frais de récolte et à 5 % le bénéfice ordinaire des fermiers, c'est de 20 % au moins qu'il faudrait augmenter le prix des fermages pour évaluer la charge réelle des contribuables. Cette majoration, s'appliquant à 250.000 1. au moins, donnerait une charge totale de 300.000 1. Les 200.000 1. de dîmes récoltées directement par les recteurs ayant, d'autre part, coûté 230.000 1. aux contribuables, l'imposition totale aurait atteint 530.000 1. C'est là, certainement, une évaluation trop modérée.

Le produit des dîmes devait naturellement refléter les fluctuations du prix des denrées, et, comme celui des terres, il s'accrut, depuis 1760, dans de notables proportions. Nous ne pouvons malheureusement suivre les variations des dîmes directement exploitées, les grands établissements et les gros bénéficiaires nous ayant seuls laissé quelques données sur leurs revenus antérieurs. Les exemples suivants prouvent un accroissement de 100 % environ depuis 1770; mais le prix de certains baux tripla (1).

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(1) Voir, en particulier, les notes jointes aux états des revenus des abbayes de Saint-Georges et de Saint-Sulpice.

Il n'est nullement besoin d'invoquer les progrès de l'agriculture, ni les défrichements, pour expliquer pareille augmentation; l'accroissement du prix des denrées y suffit. Les terres nouvellement défrichées n'étaient pas alors décimables et il est à remarquer que les apprécis portés dans les baux qui stipulent des paiements en grains et en argent ont subi une progression plus rapide et plus considérable encore que les fermages exclusivement payables en argent.

Tout progrès dans la production agricole devait, néanmoins, profiter aux décimateurs. Priver le clergé de la dîme, c'était non seulement lui enlever le plus considérable de ses revenus, mais encore le plus précieux, grâce à l'équilibre qu'il établissait tout naturellement entre ses ressources et le prixdes denrées agricoles.

II. La propriété foncière (1).

Tous les auteurs qui ont cherché à évaluer, avec quelque précision, l'étendue ou la valeur de la propriété ecclésiastique sous l'ancien régime, ont été unanimes pour en reconnaître la médiocre importance. Ils en ont signalé, d'autre part, le morcellement extrême et l'inégale répartition, suivant les différentes régions du royaume et suivant les paroisses, à l'intérieur d'une même région (2).

Nulle part ailleurs, sans doute, elle n'a été moins importante, plus morcelée et plus inégalement répartie qu'en Brelagne. M. L. Dubreuil avait déjà reconnu, pour une partie de la province, ces caractères de la propriété ecclésiastique (3). Nous arrivons, pour nos trois districts, aux mêmes conclusions, et l'étude des autres districts de l'Ille-et-Vilaine,

(1) Il s'agit évidemment de toutes les propriétés ecclésiastiques situées dans les limites de nos trois districts, y compris celles des établissements étrangers à la région; mais nous ne tenons aucun compte des possessions des établissements de la région, situées au dehors.

(2) Voir en particulier, Ch. PORÉE, La Vente des biens nationaux dans le district de Sens (Collection des documents inédits sur l'Histoire économique de la Révolution), et J. LOUTCHISKY, Quelques remarques sur la Vente des biens nationaux, pp. 129 et sq., La propriété paysanne en France, à la veille de la Révolution, chap. III, et L'Etat des classes agricoles en France, à la veille de la Révolution, pp. 42 et 43.

(3) Léon DUBREUIL, La Vente des biens nationaux dans le département des Côtesdu-Nord, chap. III.

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