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ce village constituait une étape entre Saint-Fargeau et Châtillonsur-Loing, étant placé à mi-chemin entre ces deux petites villes. Néanmoins, cet établissement semble n'avoir eu lieu qu'à une date assez tardive. Les hommes de la préhistoire n'ont guère fait qu'y passer, sans laisser trace d'un séjour véritable. On n'a en effet trouvé, aux Bruneaux et dans les champs des environs, que quelques haches en silex taillé ou poli, vestiges de chasseurs plutôt que d'habitants (1).

Les Gaulois furent les premiers qui s'établirent à Bléneau, dont le nom doit remonter jusqu'à eux. On a beaucoup épilogué sur ce nom et son étymologie qui n'a pu encore être élucidée. Il est facile de dire qu'elle vient du celtique, ce qui n'avance guère la solution; toujours est-il que la forme la plus ancienne paraît être Blanogilum, et par contraction Blanoilum devenu plus tard Blanolium, par suite, probablement, d'une mauvaise prononciation.

Nous trouvons, en effet, Blanoilus, aux vie et viie siècles (2), Blanolium en 1210 (3), Blanellum en 1147 (4), et Blenellum vers 1220 (5), d'où est venue la forme française Blenel en 1317, et par suite Bléneau.

Aucun vestige n'a été conservé de cette période, mais l'occupation de la Gaule par les Romains devait donner plus d'importance à Bléneau, en améliorant les voies de communication. Il y a quelques années, M. Beaujard a reconnu l'existence d'une voie romaine qui traversait cette localité en reliant Auxerre à Orléans (6). Se détachant de la voie d'Auxerre à Bourges, elle gagnait la vallée du Loing et la suivait par Saint-Sauveur, SaintFargeau, Saint-Privé, Bléneau et Rogny. Elle n'est plus visible aujourd'hui, qu'auprès de Saint-Privé et surtout de la ferme de la Mothe où elle est remplacée par un chemin abandonné qui longe la rivière. Le seul reste de l'époque gallo-romaine est un cimetière découvert par M. Déy, en 1832, sur le chemin des ChaumesBlanches, à 400 mètres environ de la ville. Il renfermait de nombreuses tombes en pierre calcaire, orientées au levant, sans inscription ni presque aucun mobilier funéraire. Il y avait donc

(1) Bulletin de la Société des Sciences de l'Yonne, 1877, p. 209.

(2) Statuts de saint Aunaire et de saint Tétrice.

(3) QUANTIN. Recueil de pièces du XIIIe siècle, p. 42.

(4) QUANTIN. Cartulaire de l'Yonne, I, p. 420.

(5) Recueil des Historiens de la France, XXIII, p. 661, 663, 664.
(6) Bulletin de la Société des Sciences de l'Yonne, 1904, p. LVIII.

déjà, à Bléneau, une nombreuse population. La nature de ces tombes, provenant de Thury ou de Courson, prouve que les communications étaient encore assurées par la voie romaine.

Il nous faut franchir plusieurs siècles, troublés par les invasions des Barbares, ponr trouver mention de Bléneau, devenu paroisse du diocèse d'Auxerre. En effet, un des plus anciens et des plus précieux documents de l'histoire de ce diocèse, les statuts donnés à son Eglise par saint Aunaire, évêque d'Auxerre de 572 à 603, mentionnent Blanoilus, entre Gien et d'autres paroisses de Puisaye de situation assez incertaine, mais qui peuvent se rapporter aux environs de Saint-Fargeau et de Saint-Sauveur. Dès cette époque, Bléneau était donc un centre assez important, car il est ainsi désigné « Blanoilus cum appendiciis suis », c'est-à-dire avec ses dépendances, ce qui n'est pas dit pour toutes les paroisses. Un siècle plus tard, il paraît de même dans les statuts de saint Tétrice, évêque d'Auxerre de 691 à 706.

II

ÉPOQUE FÉODALE

Bléneau, qui avait fait partie du Pagus d'Auxerre, fut naturellement compris dans le diocèse, qui avait les mêmes limites. Bien que sur la frontière du comté du Gâtinais, il devait dépendre du comté d'Auxerre sous les Carolingiens et jusque vers l'an mil. A cette époque éclata la guerre dite de la succession de Bourgogne qui devait amener un remaniement complet de tout le pays, et dont la conclusion marque dans nos contrées l'organisation définitive de la Féodalité, en 1015. L'ancien comté d'Auxerre fut très réduit. surtout sur la rive gauche de l'Yonne, et la Puisaye partagée en grands fiefs. Bléneau, qui devint une châtellenie, fut rattaché au comté du Gâtinais ou de Montargis, dont SaintFargeau fut un des principaux fiefs. Désormais, toutes les relations de la vallée du Loing seront de ce côté. C'est probablement de cette époque que date l'enceinte fortifiée qui entourait Bléneau, enceinte polygonale flanquée de huit ou dix tours, englobant le château et l'église, et percée de trois portes dont M. Déy a donné le plan dans son Histoire de Saint-Fargeau.

Quels furent les premiers seigneurs de Bléneau? Aucun document ne nous l'apprend. Selon la coutume du temps, ils devaient porter le nom de leur seigneurie. Nous en trouverons bien, au XIIe siècle, qui s'appelaient de Blenello », mais ils semblent

n'avoir été que de petits seigneurs ne possédant que des fiefs secondaires et non la châtellenie. Peut-être étaient-ils des cadets de famille, la branche aînée étant dès lors éteinte.

Nous devons, en effet, nous résigner à n'avoir aucun renseignement sur ce sujet pendant les xr et xII° siècles. Il est même probable qu'à la fin de ce dernier siècle, et pour une raison quelconque, la châtellenie de Bléneau n'avait plus de titulaire spécial, car en 1210, c'était le seigneur de Saint-Fargeau qui la possédait. Celui-ci, qui était alors Itier, baron de Toucy, l'avait donnée en fief à Robert de Courtenay, seigneur de Champignelles, qui l'avait luimême inféodé au comte de Sancerre. Il en résultait une superposition de vassalités qui nous étonne, mais paraissait naturelle aux hommes des temps féodaux, et d'ailleurs est formellement constatée par une charte du roi Philippe-Auguste de mai 1210 (1).

Maison de Sancerre

Le comte de Sancerre était Guillaume Ier qui avait épousé en secondes noces Eustachie de Courtenay, sœur de Pierre, comte d'Auxerre, et de Robert de Courtenay. Il était donc attiré vers la Puisaye par cette alliance et surtout par sa parenté avec le comte de Champagne. De son grand-père Thibaut-le-Grand, il avait hérité des seigneuries de Saint-Brisson, en Berry, et de la FertéLoupière, près de Joigny. Selon une habitude dont nous avons trouvé des exemples chez d'autres grands seigneurs du moyen âge, il avait dû chercher à acquérir des domaines pouvant lui servir d'étapes entre ses diverses possessions. C'est ainsi qu'il s'était fait inféoder par son beau-père Robert de Courtenay la seigneurie de Bléneau et celle de Malicorne, près de Charny.

Guillaume de Sancerre, qui avait accompagné en Orient son beau-frère Pierre de Courtenay, nommé empereur de Constantinople, mourut en 1219 dans la prison où tous deux avaient été traitreusement jetés par Théodore Commène, empereur de Thessalonique.

Dans un compte rendu au roi par le bailli de Sens, Etienne d'Auvilliers, probablement vers 1217 (2), on trouve une liste des vassaux du comté de Montargis ou du Gâtinais qui appartenait au roi. Robert de Courtenay y figure parmi les vassaux relevant

1) QUANTIN. Recueil de pièces de XIIIe siècle, p. 42.

(2) Recueil des Historiens de France, XXIII, p. 661, 663, 663.

de Saint-Fargeau pour Bléneau et Malicorne. Il n'y est pas question du comte de Sancerre, qui n'était pas un vassal direct. On y mentionne aussi un chevalier nommé Guillaume de Bléneau, « Willelmus de Blenello », comme possédant un fief appelé Mici, et situé entre Bléneau et Villeneuve-les-Genêts. C'était peutêtre un de ces cadets de famille dont nous avons parlé plus haut. Le comte Guillaume de Sancerre n'avait eu d'enfants que de son premier mariage avec Marie de Charenton Louis, qui lui succéda comme comte de Sancerre, et Etienne, sire de SaintBrisson.

Louis, qui mourut en 1268, avait épousé Jeanne ou Mahaut de Courtenay (1), fille de Robert de Courtenay, premier seigneur de Champignelles, que nous avons déjà vu comme seigneur de Bléneau. Ils eurent deux fils et une fille, disent les généalogistes. Nous pensons qu'ils durent avoir une autre fille qui aurait épousé un baron de Saint-Verain et lui aurait apporté la seigneurie de Bléneau. Ce qui rend probable pour nous cette hypothèse c'est que Philippe de Saint-Verain, le premier seigneur de Bléneau connu, était aussi seigneur de Malicorne, qui avait appartenu à Robert de Courtenay. Il serait donc naturel que la fille de celui-ci l'ait transmis à son fils. On a si peu de renseignements sur les comtes de Sancerre que nous sommes obligés de nous en tenir à cette hypothèse, rendue d'ailleurs vraisemblable par les nombreuses alliances qu'eurent ces deux maisons.

III

COUTUME DE LORRIS

Avant de continuer la suite des seigneurs de Bléneau, nous devons nous arrêter sur un sujet très important : la condition des habitants aux x11° et xme siècles, d'autant plus que leur condition était partagée par les populations de presque toute la Puisaye à la même époque.

La Puisaye, qu'on a souvent considérée comme un type de pays arriéré, perdu dans ses bois et les boues de ses mauvais chemins, était au contraire, au moyen âge, une contrée favorisée par rapport à plusieurs de celles qui l'entouraient, bien qu'elles fussent plus riches et mieux cultivées. Le servage et la mainmorte en

(1) DE MAS-LATRIE. Trésor de chronologie, p. 1649.

avaient en effet disparu dès la seconde moitié du xir siècle, tandis que non seulement en Nivernais, mais dans l'Auxerrois et la vallée d'Aillant, ils ont persisté, en bien des endroits, jusqu'au XIVe et même au xve siècles. On a recueilli depuis longtemps les actes d'affranchissement et ceux qui se rapportent à la mainmorte; malgré nos recherches et les nombreux documents originaux que nous avons compulsés, nous n'en connaissons pas sur ce sujet qui concernent toute la partie nord-ouest de la Puisaye, celle qui fut régie plus tard par la coutume de Lorris-Montargis.

C'est en effet à la première coutume, ou plutôt à la charte de franchise de Lorris, comme l'a définie M. Prou (1), et à sa rapide extension, qu'il faut attribuer cette amélioration précoce dans la condition de nos ancêtres. On sait que cette charte, accordée en 1155 par le roi Louis VI le Gros aux habitants de Lorris en Gâtinais, consacrait leurs droits à la liberté personnelle, à la faculté de posséder sûrement et de transmettre leurs héritages, et enfin à une bonne administration de la justice. Bien qu'elle ne leur conférât pas de droits politiques, qu'elle ne fût pas une charte de commune, elle leur apportait ainsi un ensemble de privilèges qui étaient encore fort rares au milieu du xne siècle. Aussi se répanditelle rapidement dans le domaine royal et particulièrement dans le Gâtinais, les rois, et par suite les seigneurs leurs voisins, y ayant trouvé un puissant moyen d'accroître la population et par conséquent la valeur de leurs domaines.

Comme le dit M. Prou (2), « les deux grandes maisons de Courtenay et de Sancerre, si étroitement unies par des liens nombreux de parenté et par le voisinage de leurs domaines, employèrent leurs efforts communs à répandre sur leurs terres les franchises de Lorris. Sancerre en obtint l'octroi, probablement en 1199, du comte Etienne Ier, qui l'avait déjà accordée à Saint-Brisson et à la Ferté-Loupière.

«La maison de Courtenay ne contribua pas moins à la diffusion de cette coutume. D'ailleurs, les terres que Pierre de France, fils de Louis le Gros, tenait de sa femme Elisabeth de Courtenay, comprises pour la plus grande partie dans le Gâtinais, confinaient au domaine royal. Il devait donc user des mêmes procédés de gouvernement que son frère Louis VII. La royauté avait amélioré da situation des classes agricoles dans la région centrale. Les villes

(1) PROU. Les coutumes de Lorris, p. 68.
(2) PROU. Les coutumes de Lorris, p. 88, 96.

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