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ressource, le pauvre, après avoir subi un jugement injuste, restera opprimé, & à la merci d'un riche insolent. Cette considération seule suffiroit pour faire adopter le plan de M. Chabroud; mais il y en a une foule d'autres aussi essentielles. A en juger par le passé, on peut & on doit craindre la coalition de ces cours supérieures : ce sont des parlemens débaptisés que l'on vous propose d'ériger; le nom seul est changé, mais la chose reste. Ces cours commenceroient par de très-humbles pétitions, de-là elles passeroient aux représentations, & vous les verriez bientôt lutter contre le corps législatif, & celui-ci être obligé peut-être de leur donner l'initiative & la sition. Le tribunal d'appel circulaire de district à district sans réciprocité, ne présente rien d'alarmant pour la constitution; il est d'ailleurs posé sur les bases de l'égalité que la constitution veut établir parmi les juges & qui ne seroit qu'un mot vide de sens si vous donniez à vos juges d'appel un grand territoire & si vous les établissiez dans une ville du premier ou du second ordre. L'égalité ne peut subsister qu'autant que les tribunaux d'appel n'auront aucun territoire, en tant que juges d'appel. Je conclus à adopter le projet de M. Chabroud.

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M. Brillat a été du même avis; il a employé à-peuprès les mêmes moyens, seulement il a ajouté quelques vérités assez frappantes. On ne peut se dissimuler a-t-il dit, que nos parlemens s'étoient attiré l'ani madversion , pour ne pas dire la haîne universelle. On peut en juger par le décret rendu à l'assemblée pour proroger les chambres des vacations décret avantcoureur de la destruction de ces cours souveraines : pas une voix ne réclama en leur faveur , pas une main ne s'avança pour soutenir l'idole que la crainte avoit fait encenser jusqu'à ce moment. Par quel esprit de vertige pourroit-il arriver aujourd'hui que des établissemens proscrits par l'opinion publique, fussent recréés sous une autre forme par le corps législatif, fléau de tous les abus,? Si ce malheur arrivoit, ce seroit laisser fondre sur la France un torrent qui la ravageroit comme par le passé, & ne connoîtroit d'autre lit que l'ambition si l'ambition peut en connoître.

En adoptant au contraire les juges de district comme juges d'appel, le pouvoir judiciaire est un fleuve majestueux semblable au Nil qui, déposant son limon nouricier sur la surface de l'empire, le fécondera dans toutes ses parties. Les juges d'appel que l'on vous propose auront d'ailleurs la même utilité, le même avantage pour les plaideurs, puisqu'ils seront jugés, d'après le systême de M. Chabroud, par quatre juges, comme ils le seroient dans les tribunaux particuliers d'appel. On dit autour de moi que l'on surcharge les juges de district; je réponds qu'il y aura beaucoup moins de procès, beaucoup moins d'affaires que par le passé. Il n'y en aura plus pour les matières bénéficiales puisque vous avez réduit le clergé à une simplicité apostolique les droits féodaux, les retraits lignagers que vous avez abolis; les substitutions, qui, à coup sur n'échapperont point à votre sollicitude; voilà bien des alimens de moins pour la chicane.

M. Prugnaud a attaqué le plan de M. de Chabroud. C'est à des juges absolument semblables a-t-il dit, que vous portez à infirmer un jugement. Il y aura réciprocité par le fait. Les tribunaux de district s'entendront & s'accorderont pour confirmer toutes leurs sentences. Le mot n'existera pas, mais la réciprocité sera réelle. Les juges de district seront des hommes & non pas des anges; ils feront ce que nous avons vu faire jusqu'aujourd'hui.

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y a des distrists dans les villages: il s'ensuivra, d'après ce nouveau systême, que le justiciable dans une grande ville sera obligé d'aller plaider devant deux juges de village. Assurément ce n'est pas là où se trouve ordinairement la lumière. Il s'ensuivra que l'on abandonnera l'honneur & la fortune des citoyens aux mains de l'inexpérience. On craint, en suivant le plan du comité que l'appel ne soit que pour les riches. On en donne pour raison les frais & les déplacemens que le pauvre ne pourra pas supporter. D'abord si c'est un bien de donner au plaideur la faculté de recourir à l'appel, il est utile d'embarrasser tant soit peu cette faculté, puisqu'il est certain que souvent l'on se ruine même en gagnant son procès.

M. de Chabroud attribue aux juges de district, tou

le despotisme judiciaire. Ces tribunaux, d'après lui, font en même tems les fonctions de bailliage, de présidial & de souverain. Pourquoi craindre dans les tribunaux particuliers d'appel cette dernière attribution. que l'on donne aux juges de district. Ces cours sapéricures sont dispersées dans votre constitution, 'elles n'existent que par elle, & sans elle, elles ne sont rien.

Dans une suite de tems, quand la saine morale sera mieux établie, quand les préjugés seront moins en vigueur, on pourra faire ce que demande M. Chabroud; mais au moment actuel, cela n'est pas praticable; cet établisssment n'est pas mûr; il faut suivre ici la marche de la nature, qui demande beaucoup de temps à ses plus belles productions.

M. Mougins est venu grossir le nombre des partisans de M. de Chabroud.

M. Lanjuinais a dit en substance: le nouvel ordre d'appel qu'on vous propose, aura en mal ou en bien des conséquences infinies; il ne peut donc être adopté que par des motifs évidens de nécessité ou d'utilité publique. Or, ceux qu'on allègue, ne prouvent rien à force de trop prouver.

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C'est d'une part, que des tribunaux inférieurs & supérieurs rappellent l'ancien régime, & que les supérieurs deviendroient redoutables à la liberté. Tout sans exception, n'étoit pas mauvais dans l'ancien régime.... Mais quels changemens n'avez-vous pas fait dans les tribunaux? Plus de juges législateurs ni administrateurs; plus de caste exclusive dans les tribunaux d'appel; plus de juges qu'ils ne soient choisis par les justiciables; plus de juges perpétuels; enfin la préséance est donnée sur tous les siéges à tous les corps administratifs, qui sont autour d'eux comme des surveillans. Les efforts de nos tribunaux, contre la révolution, ne seroient que des efforts de pigmées....

Ne redoutez pas une jurisprudence contraire aux loix. La liberté de la presse, l'élection des juges, le tribunal de cassation, la permanence du corps législatif, tout concourt à éloigner cet abus. Mais les cas nombreux à l'infini , qui ne sont point déterminés par la loi, c'est un grand bien qu'ils soient jugés aujourd'hui comme ils le furent hier; c'est ce

que vous n'aurez que dans de grands tribunaux. On veut, dit-on que tous les juges soient égaux en pouvoir mais déjà vous : avez décrété des juges de paix, dont la jurisdiction est très-étendue, & qui seront inférieurs aux juges de district; vous lez établir un tribunal de cassation qui sera supérieur à tous ceux-ci; cette égalité n'existera donc jamais de fait le public n'y croira point, & cassera par le fait vos décrets.

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On veut, dit-on, exciter l'émulation entre eux; mais le plus sur moyen de l'éteindre est de vouloir égaler des juges de village, comme seront ceux de tant & de tant de district, à ceux des plus grandes villes du royaume.

Si l'on rassemble plusieurs départemens sous un seul tribunal, vous craignez, dites-vous, la jalousie. Mais les départemens sauront reconnoître une supériorité de ressort qui leur est avantageuse. Déjà la plupart des députés de l'ancienne Bretagne ont consenti par écrit qu'il n'y eût qu'un seul tribunal d'appel pour les cinq départemens formés dans cette province.

L'immorale industrie des procès seroit-elle plus morale, cachée dans des villages, qu'exposée au grand jour dans les grandes cités? Peut-on sérieusement traiter d'immorale une industrie honnête en elle-même & nécessaire. Les grandes villes, a-t-on objecté, vivront aux dépens des petites, & aux dépens des campagnes... Je réponds qu'à leur tour les campagnes vivent aux dépends des villes; nous vivons tous aux dépens les uns des autres; cela s'applique même aux membres de l'auguste assemblée nationale; tous préteurs, tous detteurs, comme dit Rabelais, cette utilité réciproque est le principal ressort de la société.

Toutes ces objections vagues & insignifiantes découvrent la foiblesse du systême que je combats; mais les inconvéniens qu'il entraine sont des plus graves.

Ruine absolue & nullement nécessaire de villes qui ont fait tant de sacrifices pour la liberté.... Abolition des appels s'ils sont portés devant des juges qui n'anront pas la confiance publique... Ignorance, incapacité générale des juges & de tous les officiers des tribunaux, &c., &c,

Après un assez long intermède pour savoir si l'on discuteroit encore si l'on entendroit ou non " ou M. Huot ou M. Chapelier, celui-ci a été entendu, parce que M. Garat, l'aîné, lui a cédé son rang de liste.

M. le Chapelier a insisté particulièrement sur l'essence de l'appel. En quoi consiste-t-il ? à procurer à la partie qui se croit lésée un recours à un autre tribunal présumé plus éclairé. L'appel est un bien en lui-même, mais en ce sens, qu'il sera ce qu'il doit être, & qu'il sera réellement un recours d'un tribunal inférieur du côté des lumières, des talens, des vertus & du nombre des membres, à un tribunal supérieur sous tous ces mêmes rapports. Or, l'appel circulaire d'un district à un autre ne présente aucune de ces vues ; ce sont les mêmes tribunaux sous tous les rapports qui connoissent de l'appel... Qu'on remonte à l'origine des premiers jugemens, on verra dans l'enfance des sociétés les individus en litige s'en rapporter d'abord à un homme de leur canton; & si l'un d'eux étoit mécontent, aller devant un homme qui passoit pour avoir plus de lumières & sagesse. M. le Chapelier a conclu comme le comité. M. de Chabroud est venu défendre son plan. Je vais donner le décret qui a été le résultat de toutes les dis

de

cussions.

Décret relatif aux juges d'appel

Les juges de distrist seront juges d'appel les uns à l'égard des autres, selon les rapports qui seront déterminés par les articles suivans. » La séance s'est levée. Ce soir un supplément.

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Rennes, chez R. VATAR, fils, Imprimeur, 1790.

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