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853. DE L'EXERCICE DE SES ATTRIBUTIONS PAR LE SÉNAT. Loin de se servir avec indépendance et fermeté des pouvoirs que la constitution ou le chef de l'Etat lui reconnaissait, le Sénat ne fit que témoigner vis-à-vis de l'Empereur d'un asservissement de plus en plus caractérisé. Il semble d'ailleurs que pour remplir son devoir dans cette assemblée, il ne suffisait pas d'être au-dessus des moyens de séduction si variés dont Napoléon avait eu l'art d'entourer ses membres, il fallait encore être prêt à braver au besoin les menaces et les dangers personnels. Parlant de la commission formée au Sénat pour examiner le projet de sénatus-consulte relatif à l'annexion des Etats romains, le comte de Mérode raconte dans ses Souvenirs : “ Trois sénateurs français, formant une majorité dont l'Empereur était sûr, le prince Corsini et mon père composaient cette commission. Mon père, avant de se rendre à cette assemblée, avait consulté le célèbre abbé Frayssinous, homme sage dont l'avis fut que la conscience ne permettait pas de voter cette spoliation. En conséquence, mon père énonça un vote négatif, et le prince Corsini se joignit à lui (1). Mon père, d'après tant d'autres exemples du règne de Napoléon, convaincu que cette résistance le mènerait au donjon de Vincennes, avait dans sa poche un rouleau de cinquante napoléons, pour pourvoir à ses premiers besoins, (2). Le Sénat ayant adopté le projet, Mérode ne fut pas inquiété." Contre l'attente de mon père, continue le fils, il ne lui arriva rien de fâcheux, l'Empereur ne lui parla jamais de cette affaire, (3).

impériale de Bruxelles (cfr. plus haut, no 623, 4o); le sénatus-consulte du 13 décembre 1810 relatif à l'annexion de la Hollande et créant une Cour impériale à La Haye (cfr. plus haut, ibid.); le sénatusconsulte du 19 avril 1811 relatif à la Corse, à ses collèges électoraux, etc.; le sénatus-consulte du 27 avril 1811 qui créait le département de la Lippe, etc.

(1) D'après MADELIN, La Rome de Napoléon, p. 286, Corsini aurait émis un vote affirmatif.

(2) Souvenirs du comte de Mérode- Westerloo, Bruxelles, 1864, t. I, p. 254.

(3) Ibid., p. 255.

CHAPITRE II

LE GOUVERNEMENT SOUS L'EMPIRE

854. "Le gouvernement de la République, disait l'art. 1er du sénatus-consulte organique du 28 floréal an XII, est confié à un Empereur qui prend le titre d'Empereur des Français. La justice se rend au nom de l'Empereur par les officiers qu'il institue. Napoléon Bonaparte, ajoutait l'art. 2, premier Consul actuel de la République, est Empereur des Français. „

Le sénatus-consulte réglait ensuite tout ce qui concernait l'hérédité de la couronne, la famille impériale, la régence, les grandes dignités et les grands officiers de l'Empire, ainsi que les serments.

§ 1. L'Empereur

I. ORGANISATION DE LA DIGNITÉ IMPÉRIALE

855. L'EMPEREUR. Hérédité de la dignité impériale. En vertu des articles 3, 4, 5 et 6 du sénatus-consulte, l'hérédité de la couronne était établie d'après les principes de la loi salique, c'est-à-dire, de mâle en mâle par ordre de primogéniture. Napoléon n'ayant pas d'enfants et ne paraissant pas destiné à en avoir, le sénatus-consulte lui donna mais à lui seul la faculté d'adoption, et l'organisa avec les formes solennelles et les conditions du droit romain (1).“ La dignité impériale, disait l'art. 3, est héréditaire dans la descendance directe, naturelle et légitime de NAPOLÉON BONAPARTE, de mâle en mâle par ordre de primogéniture, et à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance. NAPOLEON BONAPARTE, ajoutait l'art. 4, peut adopter les

(1) Sur les difficultés que le règlement de la question de l'hérédité engendra au sein de la famille Bonaparte, il faut lire l'ouvrage si documenté de M. MASSON, Napoléon et sa famille, t. II, pp. 319 et

enfants ou petits-enfants de ses frères, pourvu qu'ils aient atteint l'âge de dix-huit ans accomplis, et que lui même n'ait point d'enfants mâles au moment de l'adoption. Ses fils adoptifs entrent dans la ligne de sa descendance directe. Si, postérieurement à l'adoption, il lui survient des enfants mâles, ses fils adoptifs ne peuvent être appelés qu'après les descendants naturels et légitimes. L'adoption est interdite aux successeurs de NAPOLEON BONAPARTE et à leurs descendants.

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Tout acte d'adoption devait être fait en présence des titu. laires des grandes dignités de l'Empire, reçu par le secrétaire d'Etat et transmis aussitôt au Sénat pour être transcrit sur ses registres et déposé dans ses archives. Faute de transcription sur les registres du Sénat avant le décès de l'Empereur, l'acte d'adoption était nul et de nul effet (art. 31, C. XII).

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856. A défaut d'héritier naturel et légitime ou d'héritier adoptif de NAPOLÉON BONAPARTE, disait l'art. 5 du sénatusconsulte du 28 floréal an XII, la dignité impériale est dévolue à Joseph Bonaparte et à ses descendants naturels et légitimes, par ordre de primogéniture, et de mâle en mâle, à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance. „

"A défaut de Joseph Bonaparte et de ses descendants mâles, ajoutait l'art. 6, la dignité impériale est dévolue et déférée à Louis Bonaparte et à ses descendants naturels et légitimes, par ordre de primogéniture, et de mâle en mâle, à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance, (1).

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857. Minorité de l'Empereur. Régence. L'Empereur, disait l'art. 17 du sénatus-consulte organique de l'Empire, est mineur jusqu'à l'âge de dix-huit ans accomplis; pendant sa minorité, il y a un régent de l'Empire. "

Après le mariage de l'Empereur avec l'archiduchesse Marie-Louise et la naissance du roi de Rome, l'organisation

(1) Sur l'exclusion de Jérôme et Lucien, voir THIERS, ouv. cité, t. I, p. 707, et surtout MASSON, Napoléon et sa famille, loc. cit. — Jérôme rentra en grâce en 1806 et devint prince français.

donnée à la régence par le sénatus consulte du 28 floréal an XII fut notablement modifiée par celui du 5 février 1813.

Si l'Empereur n'avait pas disposé de la régence, l'Impératrice-mère réunissait de plein droit à la garde de son fils mineur la régence de l'Empire (1).

A défaut de l'Impératrice, la régence, si l'Empereur n'en avait autrement disposé, appartenait au premier prince du sang, et, à son défaut, à l'un des autres princes français dans l'ordre de l'hérédité de la couronne (2). S'il n'existait aucun prince du sang habile à exercer la régence, elle était déférée de droit au premier des princes grands dignitaires de l'Empire, en fonctions au moment du décès de l'Empereur, dans l'ordre suivant d'abord, l'archichancelier de l'Empire; à son défaut, l'archichancelier d'Etat ; etc. (3).

858. En principe, l'Impératrice-régente ou le prince régent exerçaient, pour l'Empereur mineur, toute la plénitude de l'autorité impériale. Par exception à ce principe, seule l'Impératrice-régente pouvait nommer aux grandes dignités et aux grands offices de l'Empire et de la couronne qui étaient ou qui deviendraient vacants durant sa régence.

D'après l'art. 23 du sénatus-consulte du 28 floréal an XII, aucun sénatus-consulte organique (4) ne pouvait être rendu pendant la régence, ni avant la fin de la troisième année qui suivait la majorité de l'Empereur.

Le sénatus-consulte du 28 floréal an XII créait un Conseil de régence dont la composition fut définitivement fixée par les art. 19 à 23 du sénatus-consulte du 5 février 1813. Ce Conseil était présidé par l'Impératrice-régente ou par le régent et devait comprendre, indépendamment du premier prince du sang, les princes du sang, oncles de l'Empereur (5),

(1) Art. 1er du sénatus-consulte du 5 février 1813. (2) Art. 3 du même sénatus.consulte.

(3) Voir l'art. 4 du même sénatus-consulte.

(4) Voir plus haut, nos 767, 772-774.

(5) S'il n'existait qu'un prince oncle de l'Empereur, ou s'il n'en existait pas du tout, un ou deux princes français, les plus proches parents de l'Empereur, avaient entrée au Conseil de régence. Art. 20 du sénatus-consulte du 5 février 1813.

et les princes grands dignitaires de l'Empire, ainsi que les personnes que l'Empereur aurait jugé bon d'y ajouter soit par des lettres patentes, soit par son testament. Dans certaines matières, comme le mariage de l'Empereur, les déclarations. de guerre et les traités de paix, d'alliance ou de commerce, etc., ce Conseil de régence décidait, à la majorité absolue des voix ; dans d'autres, il n'avait que voix consultative. Le Conseil de régence exerçait les fonctions de Conseil privé pour les recours en grâce et la rédaction des sénatus-consultes (1).

859. Absence de l'Empereur. Régence de l'Impératrice (2). Au moment de partir pour la campagne de 1813, l'Empereur, par lettres patentes du 30 mars 1813 (3), confia à l'Impératrice et reine le titre de régente," pour en exercer les fonctions, disait-il, en conformité de nos intentions et de nos ordres, tels que nous les aurons fait transcrire sur le livre d'Etat, entendant qu'il soit donné connaissance aux princes grands dignitaires et à nos ministres desdits ordres et instructions, et qu'en aucun cas l'Impératrice ne puisse s'écarter de leur teneur dans l'exercice des fonctions de régente

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Les lettres patentes précisaient, en outre, comme suit les attributions déléguées à l'Impératrice pendant l'absence de l'Empereur Voulons que l'Impératrice-régente préside en notre nom, le Sénat, le Conseil d'Etat, le Conseil des ministres et le Conseil privé, notamment pour l'examen des recours en grâce, sur lesquels nous l'autorisons à prononcer, après avoir entendu les membres dudit Conseil privé. Toutefois, notre intention n'est point que, par suite de la présidence conférée à l'Impératrice-régenle, elle puisse autoriser par sa signature, la présentation d'aucun sénatus-consulte, ou proclamer aucune loi de l'Etat, nous référant à cet égard, au contenu des ordres et instructions mentionnés ci-dessus, (4).

(1) Voir plus haut, nos 795-796.

(2) Cfr. Masson, Joséphine impératrice et reine, Paris, 1899; ID., L'Impératrice Marie-Louise, Paris, 1902.

(3) Cfr. aussi les lettres patentes du 2 novembre 1813. (4) Pasinomie, à sa date.

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