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semblée sur la liberté des cultes : ces rapprochemens aideront à établir une doctrine sur les dangers d'un culte dominant, le plus grand malheur des peuples, et le but éternel de l'ambition sacerdotale.

Le 12 avril 1790, l'Assemblée s'occupait donc d'une opération toute financière; mais il s'agissait à la vérité de ces biens dits du clergé, et cet ordre, qui n'était plus, comptait encore un grand nombre de membres qui ne pouvaient délibérer sur une telle question sans s'abandonner à l'amertume des regrets, à l'aigreur des reproches, enfin aux accusations les plus graves contre l'Assemblée nationale - C'est un parti pris, s'écriaient-ils chaque jour, on veut anéantir la religion,.. Un membre du comité ecclésiastique, le respectable dom Gerles, chartreux, crut mettre fin à ces violentes sorties en renouvelant une motion dont il ne prévit pas d'abord toutes les conséquences ; il la retira plus tard, mais le coup était porté; la discussion s'entama sur la motion incidente.

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Dom Gerles. (Séance du 12 avril.)

« On vous a dit qu'il y avait un parti pris dans les comités: j'affirme que dans le comité ecclésiastique on n'en a pris aucun. Pour fermer la bouche à ceux qui calomnient l'Assemblée en disant qu'elle ne veut point de religion, et pour tranquilliser ceux qui craignent qu'elle n'admette toutes les religions en France, il faut décréter que la religion catholique, apostolique et romaine, est et demeurera pour toujours la religion de la nation, et que son culte sera le seul public et le seul autorisé. »

Grands applaudissemens du côté droit; de l'autre on réclame l'ordre du jour.

M. Charles de Lameth.

<< Me réservant d'user de la parole si la majorité de l'Assemblée veut traiter la motion faite par dom Gerles, je supplie, pour mille raisons que je développerais, qu'on se rappelle ce que j'ai dit dans une circonstance pareille; je supplie de ne pas quitter une question de finance pour une ques

tion de théologie. L'Assemblée, qui prend toujours pour règle dans ses décrets la justice, la morale et les préceptes de l'évangile, ne craindra pas d'être accusée de vouloir attaquer la religion.

M. l'évêque de Clermont.

<< N'est-il pas affligeant de voir rejeter par des fins de non recevoir une question de cette importance! Il est de principe que dans l'ordre de la religion on doit la manifester toutes les fois qu'on en est requis. Je m'étonne que dans un royaume catholique on refuse de rendre hommage à la religion catholique, non par une délibération, mais par une acclamation partant des sentimens du cœur. »

Nouveaux applaudissemens du côté droit, dont tous les membres sont debout; de l'autre on continue de demander l'ordre du jour : tumulte. Le président réclame le silence pour annoncer que dans le nombre des propositions qui se croisent et se heurtent la majorité semble se décider pour que la question soit définitivement résolue, et la discussion commence. M. Charles de Lameth, qui le premier avait retenu la parole, monte aussitôt à la tribune, où il improvise le discours suivant avec cette riche facilité qu'il avait déjà déployée deux mois auparavant dans une même cir

constance.

M. Charles de Lameth.

« A Dieu ne plaise que je vienne combattre une opinion et un sentiment qui est dans le cœur de tous les membres de cette Assemblée! Je viens seulement proposer quelques réflexions sur les circonstances et sur les conséquences qu'on pourrait tirer de la motion qui a été proposée. Lorsque l'Assemblée s'occupe d'assurer les dépenses du culte public est-ce le moment de présenter une motion qui peut faire douter de ses sentimens religieux? Ne les a-t-elle pas manifestés quand elle a pris pour base de tous ses décrets la morale de la religion? Qu'a fait l'Assemblée nationale? Elle a fondé la constitution sur cette consolante égalité si recommandée par l'évangile; elle a fondé la constitution sur la fraternité et sur l'amour des hommes; elle a, pour me servir

des termes de l'écriture, humilié les superbes; elle a mis sous sa protection les faibles et le peuple, dont les droits étaient méconnus; elle a enfin réalisé pour le bonheur des hommes ces paroles de Jésus-Christ lui-même, quand il a dit: Les premiers deviendront les derniers, les derniers deviendront les premiers. Elle les a réalisées, car certainement les personnes qui occupaient le premier rang dans la société, qui possédaient les premiers emplois, ne les posséderont plus : vous verrez dans les assemblées populaires si l'opulence obtiendra les suffrages du peuple....

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(M. de Rochebrune demande qu'on fasse revenir l'orateur à l'objet de la discussion. M. Charles de Lameth continue :)

« Je me croyais obligé de développer ces idées pour vous prouver que la motion est inutile par rapport au peuple; mais je voudrais que ceux qui montrent tant de zèle pour la religion en montrassent autant pour arrêter ce débordement de livres impies où l'on attaque tout à la fois la religion sainte et la liberté sacrée : on a publié dans la quinzaine de Pâques un libelle infâme que j'ose à peine nommer; il est intitulé la Passion de Louis XVI.

» La motion proposée serait dangereuse. Dans ce moment on nous instruit de toutes parts des efforts des ennemis publics; on nous apprend qu'à Lille les soldats sont armés contre les citoyens ;' que dans quelques provinces on veut armer les citoyens contre les protestans. Vous savez combien on a abusé de vos décrets en les altérant, et vous ne craindriez pas que dans les provinces, que dans le Languedoc notamment, où l'on a tenté une guerre de religion, on ne renouvelât cet abus funeste! N'est-il donc pas dangereux de décréter quelque chose sur cette motion? Alors on paraîtrait s'autoriser même de l'Assemblée nationale, et au lieu de porter la lumière à nos frères, nous porterions le glaive dans leur sein, au nom et de la part de Dieu! Craignons de voir la religion invoquée par le fanatisme, et trahie par ceux qui la professent! Je vous supplie de ne pas rendre un décret qui peut la compromettre, au lieu de propager

ses succès dans tout l'univers, comme vos décrets propagent ceux de la liberté. En ajournant vous déjouerez les ennemis qui attendent le décret pour s'en servir contre le peuple et contre la religion même. Pour vous convaincre du danger d'adopter cette motion dans les circonstances actuelles, je ne dirai plus qu'un mot; c'est dans un moment pareil qu'elle a déjà été faite; c'est quand l'opinion se formait sur une matière qui intéressait les ecclésiastiques, que le clergé en corps a appelé le fanatisme à la défense des abus. »>

Ce discours avait été accompagné de quelques murmures d'un côté et de beaucoup d'applaudissemens de l'autre. M. Charles de Lameth était à peine descendu de la tribune, que vingt orateurs se pressaient pour l'y remplacer. L'agitation des esprits était extrême; le président, après avoir consulté l'Assemblée, montra autant de force que de sagesse en levant la séance, malgré les vives réclamations des membres du côté droit, habitués à protester contre le président et contre la majorité.

La discussion recommença le lendemain, dès l'ouverture de la séance. Le premier orateur qui parut à la tribune fut M. l'abbé Samarie; il avait à la main un long mémoire imprimé, dont l'objet était de rappeler l'origine de la religion catholique, et de démontrer la préférence qu'elle mérite sur toute autre ce n'était pas là le point de la question; impatiente de délibérer, l'Assemblée pria unanimement le président d'inviter l'orateur à rentrer dans la discussion. M. l'abbé Samarie, piqué de se voir interrompu, cessa la lecture de son mémoire en se livrant à des mouvemens de violence indignes d'un ministre de paix i protesta pour sa paroisse, pour sa province; il menaça l'Assemblée, au nom de tout le clergé de France, de la malédiction divine si la motion de dom Gerles n'était pas décrétée; mais l'Assemblée, convaincue que la malédiction divine n'est pas dans les mains du clergé, témoigna à M. l'abbé Samarie un autre sentiment que celui de la crainte.

MM. Bouchotte et Menou occupèrent successivement

la tribune, où ils traitèrent avec calme le véritable point en délibération.

M. le baron de Menou. (Séance du 13 avril 1790.)

« Messieurs, ce n'est qu'avec un extrême regret que j'ai vu hier s'élever dans l'Assemblée nationale la question qui est aujourd'hui soumise à votre délibération. Je commence par faire hautement ma profession de foi je respecte profondément la religion catholique, apostolique et romaine, que je crois la seule véritable, et lui suis soumis de cœur et d'esprit. Mais ma conviction en faveur de cette religion, et la forme du culte que je rends à l'Etre suprême, sont-elles, peu

vent-elles être l'effet ou le résultat d'un décret ou d'une loi quelconque? Non, sans doute; ma conscience et mon opinion n'appartiennent qu'à moi seul, et je n'ai de compte à en rendre qu'au Dieu que j'adore. Ni les lois, ni les gouvernemens, ni les hommes n'ont sur cet objet aucun empire sur moi; je ne dois troubler les opinions religieuses de personne; personne ne doit troubler les miennes; et ces principes sont solennellement consacrés dans votre déclaration des droits, qui établit entre tous les hommes l'égalité civile, politique et religieuse. Et pourquoi voudrais-je donc faire de cette religion que je respecte la religion dominante de mon pays! Si les opinions et les consciences ne peuvent être soumises à aucune loi; si tous les hommes sont égaux en droits, puis-je m'arroger celui de faire prévaloir ou mes usages, ou mes opinions, ou mes pratiques religieuses? Un autre homme ne pourrait-il pas me dire ce sont les miennes qui doivent avoir la préférence; c'est ma religion qui doit être la dominante, parce que je la crois meilleure...? Et si tous les deux nous mettions la même opiniâtreté à faire prévaloir nos opinions, ne s'ensuivrait-il pas nécessairement une querelle qui ne finirait que par la mort d'un de nous deux, peut-être par celle de tous deux ? Et ce qui n'est qu'une querelle entre deux individus devient une guerre sanglante entre les différentes portions d'un peuple.

» Le mot dominante n'entraîne-t-il pas l'idée d'une supériorité contraire aux principes de l'égalité, qui fait la base

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