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hors d'état d'être livrés à eux-mêmes, nous avons cru nécessaire de fixer un espace de temps assez considérable pour donner les moyens de constater, par des visites multipliées, la véritable situation des personnes soumises à cet examen.

» Vous aurez encore, messieurs, à vous occuper d'améliorer le sort des malheureux qui, ayant besoin d'une surveillance journalière, ne sauraient jouir de la liberté. Ils ont presque toujours, jusqu'à présent, été traités, dans les différentes maisons de force du royaume, avec une inhumanité qui, loin de guérir leur mal, n'était propre qu'à l'agraver. Persuadés que c'est par la douceur, et non par la férocité d'un régime barbare qu'il est possible de guérir ces infortunés, vous vous déterminerez probablement à assigner, soit sur les fonds des maisons de force déjà subsistantes, soit sur les biens ecclésiastiques, une portion de revenus suffisante pour assurer aux insensés les secours que leur état exige de la bienfaisance publique. Eh! combien cette disposition, si nécessaire dans tous les temps, n'est-elle pas encore une obligation plus sacrée pour nous, au moment où nous savons qu'une partie des fous actuellement existant dans les maisons de force ne le sont devenus que par la longue captivité et par les tourmens qu'ils ont soufferts, lorsque les lois étaient muettes et les ministres tout puissans!

» Nous croyons donc, messieurs, que les mesures à prendre pour la garde et le soulagement des fous doivent être l'objet d'un rapport particulier. Nous soumettrons aussi à votre discussion l'exposé d'un régime pour les maisons de correction, qui, nécessaires même chez un peuple libre, ne peuvent cependant ressembler à celles qui ont été établies sous un système d'oppression.

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Jusqu'à présent, messieurs, ce que nous avons eu l'honneur de vous proposer nous a paru d'accord avec les principes et les décrets de l'Assemblée nationale; mais en ce moment les difficultés augmentent; ce n'est plus l'innocence qu'il faut délivrer, ce ne sont plus des malades qu'il s'agit de faire examiner pour déterminer s'ils sont en état de recevoir de vous le bienfait de la liberté, ou si votre humanité doit se contenter de leur procurer des secours qui puissent

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ou les guérir ou du moins rendre leur position supportable. Nous avons à remplir une tâche plus difficile: il s'agit de porter vos regards sur la troisième et la quatrième classe des prisonniers d'état ; il s'agit de vous intéresser pour ceux-mêmes qu'une accusation ou une condamnation légale ont déjà placés sous la main de la loi. L'Assemblée voudra sans doute tenir compte aux uns et aux autres de la punition irrégulière à laquelle ils ont été soumis; cependant nous n'avons pas cru qu'elle pût interdire aux premiers le recours à leurs juges naturels s'ils sont innocens ils ont droit à être publiquement déclarés tels; mais, s'ils étaient coupables, aurions-nous celui de les exempter de la réparation qu'ils pourraient devoir encore à la société? Quel parti l'Assemblée prendra-t-elle à l'égard de ceux qui sont déjà ou qui seront par la suite juridiquement convaincus de crimes? Quel guide la conduira entre une indulgence injuste et une sévérité déplacée? C'est ici que le désordre du gouvernement ancien pèse sur nous, et semble ne nous présenter que des écueils. Quelque parti que nous prenions, nous nous écarterons plus ou moins de la sévérité des principes; aussi n'est-ce qu'avec une extrême défiance de nous-mêmes que nous nous sommes déterminés à vous soumettre l'opinion à laquelle le comité s'est arrêté. Sûrs que vous n'aviez à prononcer que sur un fait particulier; sûrs qu'une pareille circonstance, dont les inconvéniens ne sauraient assurément vous être reprochés, ne pourra se reproduire dans la suite, nous avons raisonné ainsi :

» L'intention de l'Assemblée nationale n'est pas de priver la société de la réparation qui lui est due; cependant voudrait-elle envoyer à l'échafaud des misérables qui regrettent depuis vingt ans dans des cachots le supplice qu'ils avaient mérité peut-être, mais qui leur aurait été moins cruel? Elle ne dira pas à ces malheureux qu'un ministre avait sauvés par égard pour leurs familles : Après les tourmens que le despotisme vous a fait souffrir, la nation va replacer votre téte sous le glaive des lois, la liberté vous restitue à la mort. Cette idée révolterait l'humanité; vous vous contenterez donc de légitimer la commutation de peine de ceux qui étaient légalement condamnés à une peine afflictive et jugés en der

nier ressort, en leur laissant cependant la faculté qui leur appartient de préférer la soumission au jugement qui avait été porté contre eux à la prison qui leur a été accordée comme un adoucissement, et qu'ils pourraient considérer sous un aspect différent.

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Quant à ceux qui sont simplement décrétés, nous avons pensé que vous ne pourriez leur refuser les moyens de constater leur innocence; mais les forcerez-vous à s'exposer au danger d'un jugement dont ils craindraient le résultat?

» Nous aurions bien voulu pouvoir les en dispenser; nous aurions désiré les soustraire entièrement aux atteintes des lois qui ont été insuffisantes pour les protéger; mais nous avons pensé qu'il était important à l'ordre public de faire prononcer sur l'innocence ou le crime de tous les décrétés, en même temps qu'il était juste d'user d'indulgence envers ceux qui seraient jugés coupables.

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D'après cela, nous nous sommes déterminés à vous proposer de statuer que les juges devant lesquels s'instruiront les causes des prisonniers d'état préalablement décrétés, se borneront à déclarer ou leur innocence ou le crime dont ils sont coupables; afin que, sur le compte qui lui en sera rendu, l'Assemblée nationale, de concert avec Sa Majesté, porte une loi qui réglera la peine à laquelle ils pourront être condamnés, ayant égard à la nature du délit, sans que cette peine puisse jamais excéder celle d'une détention de douze ans, en y comprenant le temps qu'ils ont déjà passé dans les prisons illégales.

» En adoptant les dispositions que nous allons lui proposer, l'Assemblée va faire disparaître les restes odieux de la tyrannie ministérielle; elle va réparer, autant qu'il est en elle, les malheurs qui en ont été la suite; encore quelques semaines, et aucun Français ne se plaindra plus qu'il existe des contradictions entre notre déclaration des droits, entre les principes de notre constitution et sa position personnelle. Nul ne pourra plus dire : je suis libre de droit, et je languis dans les fers, et l'Assemblée nationale oublie de prononcer ma délivrance!

» Votre comité a l'honneur de vous proposer.... (Suivait le projet de décret.)

Après la lecture de ce projet on en remit la discussion à un autre jour. Elle s'ouvrit le 27 février, mais se borna à une seconde lecture du projet. Reprise et suspendue le 13 mars, elle se termina enfin le 16, par un décret définitif qu'attendaient depuis longtemps de nombreuses victimes du despotisme et des vengeances ministérielles (1).

Les seuls mots lettres de cachet attristent l'âme et réveillent dans les esprits une juste indignation: les crimes du pouvoir arbitraire ne pouvaient trouver, parmi les partisans mêmes de l'ancien ordre de choses, des orateurs qui cherchassent à les justifier; abolir les lettres de cachet, et rendre à leurs victimes une justice aussi prompte qu'éclàtante, tel était le vœu général : cet objet ne put donc offrir de discussion quant au fond... Qui aurait eu le honteux courage de s'opposer ouvertement à ce qu'on brisât les fers que portaient tant d'innocens! Il n'y eut en effet d'autre discussion que celle du décret article par article; mais on vit avec douleur que quelques membres du côté droit, en sollicitant des délais, des exceptions, saisirent encore l'occasion de donner à l'ancien régime quelques excuses, quelques regrets; et pour nous, qui voyons les choses et jamais les hommes, nous devons à la vérité de dire que ce fut

(1) Dans l'ancien régime on comptait à Paris trente-cinq Bastilles, ou prisons d'état, ignorées des magistrats et du monde entier ; elles contenaient plus de prisonniers (non jugés) que n'en renfermaient alors les prisons du Châtelet et de la Conciergerie ensemble. Un honorable membre de l'Assemblée nationale, M. Fréteau, cita un fait, appuyé de preuves authentiques, qui déposera éternellement contre ces temps de despotisme qu'on ne peut regretter sans folie ou sans cruauté. Un homme avait été renfermé tout nu dans un donjon, près de la barrière du Trône ; il y gémissait depuis trois ans ; on n'apprit sa détention que par une lettre qu'il jeta avec une pierre dans un jardin du voisinage. Le parlement s'intéressa à son sort; le ministère refusa justice; on eut recours au roi, qui ignorait ces criminelles détentions, et, en 1783, Louis XVI fit rendre à la liberté cet infortuné prisonnier, à qui il accorda en outre une pension de 400 livres.

Robespierre qui, dans fort peu de mots prononcés avec chaleur, rendit le plus bel hommage à cette maxime éternelle, qu'il vaut mieux faire grâce à cent coupables que de punir un seul innocent. Du reste il ne fut prononcé dans cette circonstance aucun discours remarquable; la pièce la plus intéressante, la plus digne d'être conservée, est sans contredit le décret (1).

MOTION TENDANTE A FAIRE DÉCLARER NATIONALE LA RELIGION CATHOLIQUE.

DISCUSSION.

Orateurs Dom Gerles, MM. l'évêque de Clermont, Charles de Lameth, de Menou, de Mirabeau, etc.

Déjà nous avons vu, page 46 de ce volume, qu'à propos de la suppression des ordres monastiques plusieurs membres du côté droit crièrent au blasphême, et que M. l'évêque de Nancy, croyant par cette mesure la religion attaquée jusque dans ses fondemens, proposa à l'Assemblée de déclarer religion nationale la religion catholique, apostolique et romaine; nous avons vu comment cette motion incidente, que d'aucuns orateurs ont qualifiée de motion insidieuse, fut combattue et rejetée comme un doute injurieux à la Divinité : après deux mois nous allons la voir reproduite dans une discussion non moins étrangère à toute croyance religieuse, puisqu'elle avait pour objet l'emploi et l'administration des biens dont la jouissance, trop longtemps laissée au clergé, avait été remise au véritable propriétaire, à la nation, par le décret du 2 novembre 1789. Nous invitons les lecteurs à rapprocher la première circonstance de celle que nous allons faire connaître, ainsi qu'à relire, pages 236 et suivantes du premier volume de cet ouvrage, la première discussion qui eut lieu dans l'As

(1) Le décret du 16 mars 1790 proclame, entr'autres dispositions : Art. 10. Les ordres arbitraires emportant exil, et tous autres de la même nature, ainsi que toutes lettres de cachet, sont abolis, et il n'en sera plus donné à l'avenir. Ceux qui en ont été frappés sont libres de se transporter partout où ils le jugeront à propos, »

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