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guerre

d'insurrection, et assurément dans les circonstances présentes nous avons tout lieu de craindre une insurrection. M. le duc d'Aiguillon a exprimé des sentimens dignes de tous les éloges: ce qui constitue la véritable générosité, c'est d'être peu affecté des pertes personnelles; mais la liberté, qui donne cette vertu, ne permet pas de croire que tous les citoyens pourront faire des sacrifices aussi généreux. Les principes des préopinans sont les miens; les conséquences que j'en tire different essentiellement de celles qu'ils vous ont présentées. Le comité vous a offert des moyens qui pourraient être utiles si le mal n'était pas à son comble. Je ne puis me dissimuler que les excès ne sont point partiels, et qu'il est évident que s'ils n'étaient point réprimés ils se changeraient en une funeste de ceux qui n'ont rien contre ceux qui ont quelque chose. L'expérience nous a déjà prouvé combien la loi martiale est insuffisante. Il faut donc, si nous voulons arrêter les malheurs qui affligent le royaume, recourir au pouvoir exécutif, et l'armer de toute la force nécessaire pour qu'il agisse avec succès. Je n'ai cependant pas pensé qu'il fallût investir le souverain d'un pouvoir trop durable. La dictature que j'ai demandée n'est pas celle qui s'entoure de ruines et de victimes; c'est celle qui fait taire un instant les lois pour mieux conserver la liberté ; c'est cette dictature dont les peuples les plus libres de la terre ont fait usage. Eh! qu'on me dise quel danger il y aurait à confier au monarque une autorité momertanée, que l'Assemblée nationale, toujours existante, pourrait suspendre ou retirer à son gré! Qu'on me dise ce qu'elle peut avoir de dangereux dans les mains d'un roi dont les vertus sont connues! Qu'ils me disent, ces prétendus apôtres de la liberté, ce qu'ils craignent de ce prince entouré de son peuple, de ce prince qui est venu se confier aux habitans de la capitale, et dont les intentions sont intimement liées avec celles des représentans de la nation! Mais, diront-ils, ministres abuseront de ceite autorité d'un moment.... Que pourraient des ministres contre l'opinion publique, contre un peuple qui, d'une voix unanime, a juré qu'il voulait être libre? Non, je ne crois pas qu'il y ait un seul citoyen qui ne soit partisan de la liberté. Ce n'est qu'au milieu des désor

les

dres de l'anarchie que le despotisme peut relever sa tête hideuse; et je ne connais qu'une seule chose qui puisse faire regretter à quelqu'un l'ancien despotisme; ce sont les ravages de l'anarchie actuelle; le désordre est à son comble.... (Violens murmures.) Jamais je n'interromps personne; comment le suis-je à chaque instant, comment ai-je pu mériter une défaveur si insigne?...

» La loi martiale est insuffisante; nul autre moyen ne se présente, si ce n'est celui d'autoriser la force armée à obéir au pouvoir exécutif. Il faut donc adopter ce moyen. »

La discussion fut fermée le 22. Alors on fit lecture des différens projets présentés; celui de M. Boussion obtint la priorité, quoique son auteur l'eût offert sans l'appui d'aucun discours. La délibération commença article par article, et dans cette seconde discussion chacun chercha à reproduire son opinion; celle de M. de Cazalès, combattue et rejetée, retrouva cependant un ardent défenseur dans M. le comte de Montlausier, dont voici le discours :

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M. le comte de Montlausier.

Messieurs, je ne me chargerai pas de faire à la loi qui vous est proposée tous les amendemens dont je la crois susceptible; cette tâche me paraît au-dessus de mes forces; mais j'entreprendrai du moins de vous faire voir que c'est en vain que vous avez créé des lois, tant que la puissance commise à leur exécution demeurera entièrement sans force et sans vigueur. Quel est donc l'égarement d'opinion qui règne dans cette Assemblée? De toutes parts on nous présente des projets de loi, et partout on a soin d'écarter l'influence royale, comme si cette influence était constitutionnellement vicieuse ou malfaisante! A-t-on oublié que le peuple n'a des officiers publics que pour qu'ils lui soient utiles; que le roi est le chef de ces officiers, et que par conséquent c'est lui qu'on doit toujours voir à la tête de l'œuvre publique? Peut-on se dissimuler que nos plus grands publicistes, et Jean-Jacques Rousseau lui-même, n'ont cessé de publier cette vérité? Peut-on se dissimuler que la fin de chacune de nos dynasties a toujours été marquée par les

règnes de princes qui n'en eurent que le nom, parce que les chefs militaires, ou des maires qui les tenaient enfermés dans leur palais, avaient intérêt de régner à leur place? Mais la nation française, qui honore son roi, la nation française, qui le paierait de tout son or comme elle le paie de tout son respect et de tout son amour, a peut-être le droit de vouloir que ce roi fasse quelque chose pour elle, et que ses soins et ses sollicitudes paternelles ne soient pas toutà fait inutiles à sa félicité.

» Or, dans le projet de loi qu'on vous propose, ce sont les municipalités qui sont tout et qui font tout; le roi semble effacé de la constitution: tout son royaume serait en combustion, des hordes licenciées le rempliraient de confusion et de désordre; il ne faut plus aux auteurs des projets qu'on vous présente que des municipalités et des troupes, des troupes et des municipalités.

» Du moins, messieurs, dans le projet du comité de constitution il y avait un article où le roi était supplié de faire passer des troupes quand les municipalités le jugeraient nécessaire : je ne doute pas que cet article, oublié par l'auteur du projet auquel vous avez accordé la priorité, ne se reproduise tout à l'heure par amendement. Mais, messieurs, cet article même, évidemment nul et insignifiant, ce rôle de remplissage qu'on a l'air de vouloir faire jouer au chef de la monarchie, est un scandale de plus pour les amis de la constitution, parce qu'il offre dans la puissance royale tous les caractères d'une puissance qu'on veut réellement tenir oisive, et qu'on voudrait pourtant avoir l'air d'occuper, parce que la puissance du monarque ne présenterait bientôt qu'un membre parasite placé en dehors de la coustitution, une véritable superfétation politique.

» Et cependant, messieurs, dans un grand empire il est constant que le roi, qu'on a très-bien appelé la loi agissante, doit être le centre de toutes les forces, et comme le pivot sur lequel doivent tourner tous les mouvemens. Nulle puissance sans lui n'a le droit de disposer de la force publique; et les individus, quels qu'ils soient, et les municipalités et les départemens, toutes les corporations en un mot, sous quelque déno

mination qu'elles puissent être, ne peuvent être regardées que comme ses mandataires dans l'emploi qu'elles en font. Le prince seul a donc le droit de dispenser la protection publique, parce qu'au prince seul, et à nul autre, a été donnée la puissance pour l'exécution de la loi, faite elle-même pour la protection de tous. La loi, voilà sa règle; la loi, voilà son maître. Mais s'il ne respectait pas la loi.... S'il ne respectait pas la loi, ah! sans doute, la loi le respecterait encore; mais elle irait redemander jusque sous les marches du trône le ministre prévaricateur qui n'aurait pas su désobéir lorsque l'honneur et le devoir lui commandaient la désobéissance. Et où en serions-nous si des municipalités, si des corporations particulières prétendaient au droit de disposer de la puissance publique sans la participation de son chef? Employées d'abord pour une légitime défense, bientôt tournées contre elles-mêmes par leurs querelles extérieures ou intestines, quel désordre, quelle confusion extrême n'offriraient pas de toutes parts les lambeaux du plus beau royaume de l'Europe! Nous avons éprouvé de grands malheurs; hélas! peut-être de plus grands nous attendent! Craignons de tomber de chute en chute dans la plus ténébreuse anarchie; elle ne nous laisserait bientôt plus que l'espoir d'une fédération plus ou moins vicieuse.

» Mais j'entends dire assez souvent que ce n'est pas encore le moment de s'occuper de la régénération du pouvoir exécutif; que cet article viendra tout naturellement à la suite du complément de la constitution. Je ne sais, messieurs, mais peut-être à cet égard doit-on me pardonner une grande inquiétude; c'est que de cette manière on n'accoutume le peuple, et nous ne nous accoutumions nous-mêmes à nous passer de roi. Soyons francs; si, dans un moment de convulsion et de crise, l'action royale ne nous est pas nécessaire, elle nous le sera encore moins dans des temps de calme et de paix. Ah! si la démocratie à laquelle nous tendons était le seul asile de la liberté, et que nous pussions y arriver sans un crime, je serais le premier à vous le conseiller; et j'ai cette opinion du prince qui est encore à notre tête, que s'il ne fallait que ce nouveau sacrifice au bonheur de son peuple il le ferait; oui, il le

ferait... Mais quand je considère votre luxe, votre corruption, vos arts, vos grandes villes, votre éloignement des mœurs antiques et patriarchales, et, plus que tout, vos vingt-quatre millions d'hommes; quand je considère que la liberté peut avoir autant d'énergie dans une monarchie que dans une république, lorsqu'elle est ménagée par une sage constitution; quand je considère enfin que ni vous, ni moi, ne sommes plus les maîtres du parti que nous avons à prendre, puisque nous avons fait un serment, puisque nous avons fait le serment solennel de maintenir de tout notre pouvoir une constitution dont un des articles porte expressément que le pouvoir exécutif supréme réside exclusivement dans les mains du monarque; dès lors il n'est plus possible de délibérer; il faut absolument que nous ayons une monarchie, ou que tout ce qui existe encore de bons Français aille mourir avec moi sous ses ruines (1).

»

M. Desmeuniers réfute M. le comte de Montlausier : ce dernier s'échauffe, et veut que l'orateur soit rappelé à l'ordre, surtout au moment où M. Desmeuniers propose de substituer au mot sanctionnés, dans un article de la lei, ceux-ci : acceptés ou approuvés par le roi; mais les cris à l'ordre de M. de Montlausier sont étouffés sous les applaudissemens donnés à M. Desmeuniers. La délibération continue, et les amendemens se succèdent. M. de Mirabeau paraît à la tribune.

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M. le comte de Mirabeau. (Séance du 23.)

<< Messieurs, tous les amendemens proposés me paraissent tenir à une confusion d'idées que j'ai combattue hier. Et

(1) M. de Montlausier fit imprimer, puis réimprimer son discours en l'augmentant des deux tiers au moins. Voici le début de cette seconde partie :

a De toute part on me demande si c'est moi qui ai fait imprimer, » telle qu'elle est, mon opinion sur la régénération du pouvoir exé» cutif : oui, c'est moi. Vous avez trouvé ces vérités dures; il faudra > bien que vous en entendiez encore : oui, je veux la dire la vérité, je veux la dire tout entière, je veux la dire tout mon saqul!.... »

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