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» Il viendra sans doute un jour où tout le peuple saura, professera et suivra ces maximes; mais ce moment ne peut être préparé que par l'éducation nationale; mais avant que le règne des mœurs et de la raison soit arrivé, il faut apporter un remède aux maux présens; il faut que l'emploi légal, mais efficace, de la force publique assure notre tranquillité; il faut que le pouvoir exécutif, surveillé désormais par le pouvoir législatif, reçoive enfin une véritable organisation. A cette proposition si simple on répond par une question qui paraît embarrassante; on me dit: Sur quelles bases voulezvous organiser ce pouvoir? Si c'est sur les bases anciennes, vous consacrez le despotisme; si c'est sur les bases nouvelles, convenez avec nous qu'elles n'existent pas encore; les munipalités sont à peine organisées, les districts et les départemens ne le sont pas, l'ordre judiciaire n'est point réglé, l'armée n'a pas encore de lois constitutionnelles, et cependant ce n'est que dans ses rapports avec ces diverses branches que peut s'organiser le pouvoir exécutif.

» Je n'hésite pas, quant à moi, de répondre à cette question, et ma réponse sera celle que vous avez faite vousmêmes. Les impôts anciens étaient injustes, mal répartis, et assis sur des bases fausses : vous en avez modifié quelquesuns; mais jusqu'au moment où vous pourrez les changer tous, vous les avez tous consacrés, parce qu'un empire ne peut exister sans impôts.

» Les lois criminelles étaient atroces: vous en avez modifié quelques-unes; mais jusqu'au moment où vous pourrez les changer toutes, vous les avez toutes consacrées, parcc qu'un empire ne peut exister sans lois criminelles.

» Les lois civiles sont obscures; quelques-unes mèmes sont iniques vous n'avez pas encore pu les changer, et jusqu'au moment où vous pourrez les changer toutes, vous les avez toutes consacrées, parce qu'un empire ne peut exister sans lois civiles.

» Le pouvoir royal était sans bornes : votre sagesse l'a circonscrit par des lois; vous avez fixé lá nature de son influence sur le pouvoir législatif; vous avez assujéti ses agens à une juste responsabilité, et, n'eussiez-vous porté

que cette loi et celle de la permanence du corps législatif, la France serait encore libre. Sans doute vous n'avez pas pris encore toutes les précautions ni posé toutes les barrières; mais enfin il faut, jusqu'au moment où vous pourrez consommer la nouvelle organisation, recourir provisoirement au pouvoir exécutif, et le consacrer en tout ce qui ne blesse pas les lois déjà faites, parce qu'un empire ne peut pas plus exister sans un pouvoir exécutif qu'il ne peut exister sans impôts, sans lois criminelles et sans lois civiles.

» Si le roi demeure sans force les impôts ne seront pas payés, et si les impôts n'étaient pas payés nous justifierions forcément nos détracteurs; nous manquerions aux engagemens publics que nous avons consacrés, car on ne paie qu'avec de l'argent, et l'argent n'est que le résultat des impôts, surtout pour une nation qui ne veut plus tenter des emprunts. Ce malheur, et ce malheur seul, exposerait la constitution; nous lui aurions créé des ennemis puissans: elle ne peut plus avoir d'ennemis que ceux que nous lui aurions créés. J'ai dit la constitution, car la révolution est faite, et s'il vous restait un doute, rappelez-vous qu'hier vous avez entendu ces paroles de la bouche d'un honorable membre, de l'homme auquel il appartient surtont de parler liberté et révolution (1). Organisons donc la force publique, et ne la craignons pas; qu'elle soit plus forte que les brigands; elle sera toujours plus faible que nous. La raison publique, l'Assemblée nationale suffisent pour tenir les ministres dans les bornes de la loi, et assurer la responsabilité légale.

>> Ces considérations me décident à adopter le décret du comité de constitution, auquel je désire qu'on ajoute les articles de M. Malouet, sauf les amendemens qui pourront être proposés à l'un et aux autres quand la discussion principale sera terminée. »

(1) « M. de la Fayette a dit dans son opinion de samedi : La révolution est faite; faisons la constitution.» (Note de l'orateur)

M. le comte de Mirabeau.

« On a voulu entraîner une assemblée législative dans la plus étrange des erreurs. De quoi s'agit-il? de faits mal expliqués, mal éclaircis. On soupçonne, plus qu'on ne sait, que telle municipalité n'a pas rempli ses devoirs. En fait d'attroupemens toutes les circonstances méritent votre attention. Il vous était facile de prévoir que, par la loi martiale, vous aviez donné lieu à un délit de grande importance si cette loi n'était pas exactement, pas fidèlement exécutée : en effet, une municipalité qui n'use pas des pouvoirs qui lui sont donnés dans une circonstance importante commet un grand crime: il fallait qualifier ce crime, indiquer la peine et le tribunal; il ne fallait que cela. Au lieu de se réduire à une question aussi simple, on nous a dit que la république est en danger!... (J'entends, et je serai entendu par tout homme qui écoutera avec réflexion, j'entends la chose publique.) On nous a fait un tableau effrayant des malheurs de la France; on a prétendu que l'Etat était bouleversé, que la monarchie était tellement en péril qu'il fallait recourir à de grandes ressources. On a demandé la dictature; la dictature, dans un pays de vingt-quatre millions d'âmes! La dictature à un seul, dans un pays qui travaille à sa constitution, dans un pays dont les représentans sont assemblés! La dictature d'un seul!

» Lisez, lisez ces lignes de sang dans les lettres de Joseph II au général d'Alton: Il ne faut pas compter quelques gouttes de sang de plus ou de moins quand il s'agit d'apaiser des troubles..... Voilà le code des dictateurs; voilà ce qu'on n'a pas rougi de proposer! On a voulu renouveler ces proclamations dictatoriales des mois de juin et de juillet. Enfin, enlumine ces propositions des mots tant de fois répétés : les vertus d'un monarque vraiment vertueux....!

on

>> La dictature passe les forces d'un seul, quels que soient son caractère, ses vertus, son talent, son génie.

» Le désordre règne, dit-on ; je le veux croire un moment : on l'attribue à l'oubli d'achever le pouvoir exécutif, comme si tout l'ouvrage de l'organisation sociale n'y tendait pas! Je

voudrais qu'on se demandât à soi-même ce que c'est que le pouvoir exécutif : vous ne faites rien qui n'y ait rapport. Que ceux qui veulent empiéter sur vos travaux répondent à ce dilemme bien simple: ou quelque partie de la constitution blesse le pouvoir exécutif; alors qu'on nous déclare en quoi: ou il faut achever le pouvoir exécutif; alors que restet-il à faire? Qu'on le dise, et on verra s'il ne tient pas à tout ce que vous devez faire encore. Si vous me dites que le pouvoir militaire manque au pouvoir exécutif, je vous répondrai laissez-nous donc achever l'organisation du pouvoir militaire. Le pouvoir judiciaire? laissez-nous donc achever l'organisation du pouvoir judiciaire. Ainsi donc ne nous demandez pas ce que nous devons faire, si nous avons fait ce que

nous avons pu.

» Il me semble qu'il est aisé de revenir à la question, dont nous n'avons pu nous écarter. Vous avez fait une loi martiale (1); vous en avez confié l'exécution aux officiers muni

(1) La loi martiale fut décrétée le 21 octobre 1759, d'après un projet présenté par le comte de Mirabeau, et dans lequel on fondit un autre projet sur les émeutes présenté par M. Target.

Dans la discussion de cette loi, sollicitée par un grand nombre de motions, Mirabeau en avait cependant prévu l'insuffisance et le danger : « Je ne sais rien, dit-il alors, de plus effrayant que des motions » occasionnées par la disette. Tout se tait, et tout doit se taire, tout > succombe et doit succomber devant un peuple qui a faim. Que fera » une loi martiale si le peuple attroupé s'écrie : Il n'y a pas de pain » chez les boulangers....? Quel monstre lui répondra par des coups de » fusil ? Un tribunal national connaîtrait sans doute de l'état du moment et des délits qui l'ont occasionné; mais il n'existe pas ce tribunal; » mais il faut du temps pour l'établir; mais les commotions sont fortes » et terribles; mais le glaive irrésistible de la nécessité est prêt à fondre » sur vos têtes. La première mesure à prendre n'est donc ni une loi › martiale ni un tribunal; j'en connais une autre, et la voici:

» Le pouvoir exécutif se prévaut de sa propre annihilation. Deman» dons-lui qu'il dise, de la manière la plus déterminée, quels moyens » il lui faut, quelles ressources il attend de nous pour assurer les sub>sistances de la capitale. Donnons-lui ces moyens, ces ressources, et » qu'à l'instant il soit responsable de leur exécution..

L'Assemblée adopta ce dernier avis, et voulut encore déployer des mesures extraordinaires; elle rendit la loi martiale. La discussion qui

cipaux il reste à établir le mode de leur responsabilité. Il manque encore quelques dispositions.... Hé bien, il faut fixer le mode des proclamations. Il existe des brigands.... Il faut faire une addition provisoire pour ce cas seulement. Mais il ne fallait pas empiéter sur notre travail; il ne fallait pas proposer une exécrable dictature! Je n'ajouterai rien à ce qui a été dit, mais peut-être résumerai-je mieux les diverses opinions des préopinans. J'ai rédigé le projet d'une loi additionnelle à la loi martiale.» (Suivait un projet.)

Les débats se prolongèrent encore, souvent interrompus par des murmures ou par des applaudissemens, selon que les orateurs parlaient le langage de l'oppression ou celui de la liberté. On réclamait de toute part la fin de la discussion, lorsque M. de Cazalès reprit la parole pour justifier et renouveler sa motion :

M. de Cazalès.

« Avant d'entrer dans la discussion je rétablirai des faits qui n'ont pas été bien exactement exposés par un préopinant: 1o depuis la révolution anglaise, en 1688, l'Habeas corpus a été suspendu neuf fois; 2° ce qu'il lui plaît d'appeler dictature a été accordé au roi d'Angleterre dans des momens

eut lieu à cette occasion n'offre aucune opinion remarquable; Mirabeau, en présentant son projet, avait en quelque sorte interdit les longs discours; il ne le fit précéder que de ces quelques lignes :

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« La loi que je vais avoir l'honneur de vous proposer est imitée, » mais non pas copiée de celle des Anglais; ceux qui connaissent le riot » act en sentiront la différence. Je ne confie le pouvoir militaire qu'à » des magistrats élus par le peuple, et dans la plus grande partie de l'Angleterre, dans toutes les villes qui n'ont pas des corporations, » les magistrats sont nommés par le roi. Je propose encore une autre », précaution, bien adaptée à un gouvernement qui respecte le peuple » et la liberté; c'est de donner aux mécontens attroupés un moyen légal de faire entendre leurs plaintes et de demander le redressement » de leurs griefs. Mais au lieu d'insister plus longtemps sur ce que j'ai mis dans ce projet de loi, je vais vous lire la loi même : on entend › rarement un exorde sans se rappeler le mot du misantrope à l'homme » au sonnet Lisez toujours; nous verrons bien. » (Suivait le projet. )

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