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décrets, et qui s'obstinent à les mépriser (1). Les députés des contrées agitées m'ont assuré que les troubles se calment. Vous avez dû être rassurés à un certain point par le mémoire du garde des sceaux, plus effrayant par la force et l'exagération des expressions que par les faits : il en articule un seul; les malheurs arrivés à Béziers. Vous avez blàmé le peuple; vous avez donné une preuve touchante d'intérêt à ses malheurs : vous avez vu qu'ils ne tiennent pas à une cause générale, mais qu'ils prennent leur source dans les contraintes exercées sur la perception d'un impôt odieux, que le peuple croit détruit, et que, depuis le commencement de la révolution, il refuse de payer. Que ces faits ne nous inspirent donc aucune terreur. Rapportons maintenant les événemens qui peuvent dissiper nos craintes.

» Vous savez quels moyens on a employés en Normandie pour soulever le peuple, pour égarer les habitans des campagnes; vous avez vu avec quelle candeur ils ont désavoué les signatures surprises et apposées à une adresse, ouvrage de sédition et de délire, rédigée par les auteurs et les partisans de l'aristocratie. Qui est-ce qui ignore qu'on a répandu avec profusion, dans les provinces belgiques, des libelles incendiaires; que les principes de l'insurrection ont été prêchés dans la chaire du Dieu de paix; que les décrets sur la loi martiale, sur les contributions, sur la suppression du clergé ont été publiés avec soin; qu'on a caché tous ceux de vos décrets qui, non moins utiles, présentaient aux peuples des objets de bienfaisance faciles à saisir? Qu'on ne vienne donc pas calomnier le peuple! J'appelle le témoignage de la France entière; je laisse ses ennemis exagérer les voies de fait, s'écrier que la révolution a été signalée par des barbaries: moi j'atteste tous les bons citoyens, tous les amis de la raison, que jamais révolution n'a coûté si peu de sang et de cruautés. Vous avez vu un peuple immense, maître de sa destinée, rentrer

(1) La chambre des vacations du parlement de Rennes avait refusé d'enregistrer les décrets de l'Assemblée. Ses membres furent mandés à la barre, et déclarés inhabiles à remplir aucune fonction de citoyen actif. (Séances du 11 et du 16 janvier 1790.)

dans l'ordre au milieu de tous les pouvoirs abattus, de ces pouvoirs qui l'ont opprimé pendant tant de siècles; sa douceur, sa modération inaltérables ont seules déconcerté les manœuvres de ses ennemis, et on l'accuse devant ses repré

sentans!

» A quoi tendent ces accusations? Ne voyez-vous pas le royaume divisé? ne voyez-vous pas deux partis, celui du peuple et celui de l'aristocratie et du despotisme? Espérons que la constitution sera solidement affermie; mais reconnaissons qu'il reste encore de grandes choses à faire: grâce au zèle avec lequel on a égaré le peuple par des libelles, et déguisé les décrets, l'esprit public n'a pas encore pris l'ascendant si nécessaire. Ne voyez-vous pas qu'on cherche à énerver les sentimens généreux du peuple, pour le porter à préférer un paisible esclavage à une liberté achetée au prix de quelques agitations et de quelques sacrifices? Ce qui formera l'esprit public, ce qui déterminera s'il doit pencher vers la liberté ou se reporter vers le despotisme, ce sera l'établissement des assemblées administratives. Mais si l'intrigue s'introduisait dans les élections, si la législature suivante pouvait ainsi se trouver composée des ennemis de la révolution, la liberté ne serait plus qu'une vaine espérance que nous aurions présentée à l'Europe. Les nations n'ont qu'un moment pour devenir libres; c'est celui où l'excès de la tyrannie doit faire rougir de défendre le despotisme. Ce moment passé, les cris des bons citoyens sont dénoncés comme des actes de sédition; la servitude reste, la liberté disparaît. En Angleterre une loi sage ne permet pas aux troupes d'approcher des lieux où se font chaque année les élections; et dans les agitations incertaines d'une révolution on nous propose de dire au pouvoir exécutif: envoyez des troupes où vous voudrez, effrayez les peuples, gênez les suffrages, faites pencher la balance dans les élections!

>> Dans ce moment même des villes ont reçu des garnisons extraordinaires, qui ont par la terreur servi à violer la liberté du peuple, à élever aux places municipales des ennemis cachés de la révolution. Ce malheur est certain; je le prouverai, et je demande pour cet objet une séance extraordinaire. Préve

nons ce malheur; réparons-le par une loi que la liberté et la raison commandent à tout peuple qui veut être libre; qu'elles ont commandéeà une nation qui s'en sert avec une respectueuse constance pour maintenir une constitution à laquelle elle reconnaît des vices; mais ne proclamons pas une nouvelle loi martiale contre un peuple qui défend ses droits, qui recouvre sa liberté. Devons-nous déshonorer le patriotisme en l'appelant esprit de sédition, et honorer l'esclavage par le nom d'amour de l'ordre et de la paix? Non; il faut prévenir les troubles par des moyens plus analogues à la liberté. Si l'on aime véritablement la paix, ce ne sont pas des lois martiales qu'il faut présenter au peuple; elles donneraient de nouveaux moyens d'amener des troubles : lorsqu'il sera porté quelque cause à votre tribunal, protégez la cause, protégez les principes populaires.

» Tout cet empire est couvert de citoyens armés par la liberté; ils repousseront les brigands pour défendre leurs foyers. Rendons au peuple ses véritables droits; protégeons, je le répète, protégeons les principes patriotiques, attaqués dans tant d'endroits divers; ne souffrons pas que des soldats armés aillent opprimer les bons citoyens, sous le prétexte de les défendre; ne remettons pas le sort de la révolution dans les mains des chefs militaires; faisons sortir des villes ces soldats armés qui effraient le patriotisme pour détruire la

liberté. »

M. le comte de Clermont-Tonnerre.

Messieurs, avant que nous fussions libres, dans ces jours désastreux appelés les jours brillans de l'autorité royale, et qui n'étaient que le règne du despotisme, les flatteurs ne parlaient aux rois que de leur puissance; le nom du peuple, les droits du peuple offensaient leur orgueil, et l'on eût appelé séditieux celui qui les aurait prononcés.

>> Maintenant que le peuple est libre, et que ses droits sont assurés, faudrait-il que l'on n'osât pas lui parler de ses devoirs? Faudrait-il souiller les triomphes de la liberté par cette impatience qui souillait même les triomphes du despotisme? Non, messieurs, et j'userai de cette liberté, et je remplirai

ce devoir; je dirai au peuple, non ce qui lui plaît, non ce qui le flatte, mais ce qu'il est utile qu'il entende. J'avouerai avec le préopinant que jamais révolution plus complète, que jamais changement plus imposant et plus subit ne s'est opéré sans être accompagné de plus grands maux : peut-être, si je parlais à une autre nation, je l'en louerais; mais je parle à des Français, dont il faut compter les fautes, et non pas les vertus. Je dirai que quand même une seule tête fût tombée, quand même un seul agent du fisc eût été immolé à la vengeance populaire, quand même une seule goutte de sang eût coulé contre l'ordre de la loi, cette catastrophe unique souille la révolution française.

» Je ne suivrai pas plus loin l'opinion du préopinant; je ne releverai qu'une erreur (1).

>> Il a dit dans cette tribune, il a dit à vous, représentans de la nation : lorsqu'il sera porté quelque cause à votre tribunal, protégez la cause, protégez les principes populaires! Messieurs, on ne protège point les principes, et le mot protection ne peut être rapproché du mot tribunal sans incohérence et sans danger. Je reviens à la discussion de l'objet qui vous оссире.

» Le roi a appelé votre attention sur les désordres qui affligent plusieurs provinces ; il vous a protesté en même temps de son respect pour la loi; il a demandé que le maintien de la sûreté et de la tranquillité publiques fût enfin rendu possible.

» Voilà le but du décret que vous avez chargé votre comité de constitution de vous présenter. Il paraît ne s'être pas dissimulé que sa tâche était difficile; que si d'un côté la loi, dans ses dispositions, doit embrasser tous les temps et toutes les cir

(1) « Il ne sera pas peut-être indifférent de savoir que M. Robespierre, qui vient d'être nommé, en 1791, accusateur public, est le même à qui je reprochais alors d'avoir dit à l'Assemblée nationale : lorsqu'il sera porté quelque cause à votre tribunal, protégez la causè, protégez les principes populaires. Je crus cette phrase inconvenante : je plains les accusés qu'on livre aujourd'hui à l'homme qui l'a proférée. » ( Note de l'orateur, dans son discours réimprimé en 1791.)

constances, il faut d'une autre part qu'aucun temps, aucune circonstance particulière n'influe sur l'esprit de la loi de manière à l'altérer.

» Pour rédiger ce décret il a fallu marcher entre deux écueils; le danger d'exposer la liberté publique, et le danger de ne pourvoir ni à la sûreté ni au rétablissement de l'ordre, sans lequel il n'existe, il ne peut exister aucune liberté véritable: en voulant éviter ces deux écueils, les rédacteurs du premier décret me paraissent les avoir touchés l'un et l'autre. Un second décret semble être le résultat d'une discussion réfléchie; il renferme des dispositions moins dangereuses et des précautions plus efficaces.

» S'il était possible de faire une bonne loi dans ce moment, certes votre comité l'aurait faite; mais il est des circonstances de l'empire desquelles il est difficile de s'affranchir, dans lesquelles on ne peut agir que provisoirement, et je crois que c'est à ces circonstances qu'il faut attribuer les défections qui existent encore dans le décret.

» D'autres honorables membres vous ont présenté d'autres projets; quelques-uns vous ont proposé de remettre au roi une véritable dictature: je crois devoir vous présenter quelques considérations générales.

» L'état social repose sur deux bases, la liberté et la sûreté: le corps politique existe par deux moyens, la volonté générale et la force publique qui y soumet: la force publique n'existe elle-même que par l'impôt dans ce moment-ci, messieurs, l'impôt ne se paie pas; la force publique, ou du moins ce qui reste de cette force publique, est sans direction, sans union, sans organisation politique. La loi se divise en deux parties : l'une, qui rappelle au peuple ses droits, est préconisée, réclamée par toute la France, et certes c'est avec raison; l'autre, qui lui rappelle ses devoirs, est dans plusieurs endroits méconnue, et presque partout mal observée. » Il ne sait pas, ce bon peuple qu'on égare, que ses droits reposent sur l'observation de ses devoirs; qu'il n'y a de libre que l'homme qui obéit à la loi, et que ses concitoyens aiment et soutiennent, parce qu'à son tour il les aime et les soutient.

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