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ou individu participe à l'exercice de ce droit souverain, les différentes parties de la société politique doivent alors se trouver fréquemment dans un état de guerre ou d'anarchie, et il n'y a plus de gouvernement; car le pouvoir de gouverner doit être actif et irrésistible dans les routes qui lui sont tracées, puisqu'il n'est autre que la loi agissante.

» Je n'appliquerai pas ces principes à l'état actuel de nos provinces, qui ne représente aucune forme de gouvernement, mais au moyen constitutionnel de faire cesser d'aussi grands

maux.

>> Vous avez reconnu, messieurs, que le gouvernement français est monarchique, et que le pouvoir exécutif suprême réside dans les mains du roi.

» C'est aussi un principe constitutionnel de toutes les sociétés du monde, que la violence doit être réprimée par la force.

» Examinons maintenant dans le plan proposé quelle est l'intervention et l'influence du chef suprême du pouvoir exécutif, et comment il l'emploie à maintenir l'ordre et la réparation des violences. La loi qui les réprouve réclame son appui, voilà le principe: la conséquence ne peut être que les corps intermédiaires agissent, disposent, arrêtent le pouvoir exécutif par leur volonté propre et absolue; car alors je ne vois plus le chef suprême, et la force publique, subdivisée en autant de parties qu'il y a de municipalités, se trouve en effet dans leurs mains.

» Ce n'est pas que j'improuve la loi qui leur donne le droit de requérir les troupes réglées et met celles-ci aux ordres du magistrat civil: dans les cas ordinaires cette mesure est sage et nécessaire ; mais lorsqu'elle devient insuffisante le pouvoir exécutif suprême doit-il être inactif, et son emploi n'est-il pas légal lorsqu'il répare ou qu'il empêche les désordres réprouvés par la loi?

» Le nouveau décret proposé ne statue rien sur ces cas extraordinaires, et il n'indique point celui où le recours au monarque devient nécessaire, où la désobéissance à ses ordres serait une forfaiture. Ce décret s'adresse à chaque municipalité séparée; on n'y voit point le lien commun qui

les unit à la puissance publique et à sa direction supérieure ; le pouvoir exécutif se trouve séparé du monarque, et agit sans son intervention directe ni indirecte; de telle sorte que s'il n'y avait point de roi, mais seulement des troupes soldées et des capitaines dans les provinces, les municipalités n'auraient à faire ni plus ni moins que ce qu'on leur prescrit, et les capitaines pourraient aussi, sans autre supérieur que les assemblées administratives, remplir la mission de confiance qui leur est imposée.

>>

Cependant, si le gouvernement français cessait d'être monarchique, qui de nous pourrait croire que nous serions libres longtemps, et que l'empire se maintiendrait dans son intégrité? Mais nous perdrions, messieurs, tous les avantages de ce gouvernement, nous n'en n'aurions que les charges, si l'autorité royale ne ralliait, en les dirigeant, toutes les branches du pouvoir exécutif, et si elle n'avait, pour l'exécution des lois, toute l'activité qui résulte du commandement d'un seul.

» Je vous rappellerai ici que la surveillance continuelle du corps législatif suffira toujours pour prévenir ou arrêter les formes arbitraires et oppressives, et que le pouvoir exécutif ne s'exerçant que par des agens intermédiaires, leur responsabilité satisfait aux exigeances de la loi et aux réclamations des opprimés.

>>

J'ajouterai qu'il serait plus raisonnable que le corps législatif se réservât, dans certains cas, le droit d'ordonner une désobéissance formelle au gouvernement, que de transporter toute sa puissance aux corps intermédiaires.

» C'est, messieurs, n'en doutez pas, entre l'unité de direction et la responsabilité des agens du pouvoir exécutif que résident la sûreté et la liberté des citoyens.

» Les Romains et tous les peuples modernes nous ont donné successivement l'exemple des tristes résultats de la confusion des pouvoirs.

» Mais nous, peuple immense, placé sur un vaste territoire, si cette multitude de rayons n'aboutit à un centre, nous avons tout à craindre de la divergence des intérêts et des volontés.

» Vous êtes, messieurs, les organes de la volonté générale; mais son action tutélaire doit se développer par un mouvement central qui se communique dans une même direction à toutes les parties de l'empire; et lorsque notre position, notre population nous soumettent nécessairement aux formes monarchiques, nous devons bien en effacer les abus, mais non les avantages: or, il n'y a plus que trouble et péril dans cette forme de gouvernement, si toutes les subdivisions du pouvoir exécutif ne sont pas dans une dépendance immédiate du chef suprême, si un corps militaire ou civil, autre que le corps législatif, peut s'élever à la hauteur du gouvernement, suspendre sa marche et rompre son unité ses ordres ou assurent l'exécution des lois, ou les violent, ou suppléent à ce qu'elles n'ont pas prévu, et à ce qu'exige l'urgence du besoin : c'est au corps législatif seul à déterminer ces différens cas, car la nation suspend pour elle-même l'exercice des pouvoirs qu'elle confie à ses repré

sentans.

» J'ose dire que tout autre principe nous égare, qu'une plus grande latitude dans la liberté la restreint, et nous soumet à une multitude de volontés et de pouvoirs redoutables pour chaque citoyen, mais insuffisans pour en protéger un contre plusieurs.

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D'après ces observations, il me semble que l'unité et l'activité du pouvoir exécutif ne peuvent être solidement. établies qu'en statuant, préalablement à toute autre disposition, que tous les corps administratifs et militaires sont tenus d'obéir ponctuellement aux ordres du monarque.

» C'est au corps législatif à faire en sorte que ces ordres ne puissent ni contrarier ni renverser les lois; mais si les corps intermédiaires participent dans tous les cas au droit de suspendre et de résister, il s'élève alors dans le sein de la nation autant de gouvernemens qu'il y a de cités.

>> Alors une municipalité disposera exclusivement, dans son territoire, de la circulation des grains et du numéraire; favorisera une insurrection; relâchera à son gré la discipline militaire; retardera la perception des impôts; une ville pourra en affamer une autre; des réquisitions contradic

toires, par diverses municipalités, pourraient armer diffe rentes troupes les unes contre les autres; l'autorité des magistrats, celle des officiers militaires, sans bases fixes, sans point d'appui, seraient incertaines et précaires; il n'y aurait de puissant, de redoutable, dans la capitale et dans les provinces, que les passions et les erreurs de la multitude; le corps législatif même perdrait bientôt son autorité, et nous verrions reparaître les horreurs de l'anarchie.

» Ce n'est pas sur ce qui se passe maintenant dans plusieurs parties du royaume que se fondent mes conjectures; c'est sur l'ordre naturel des choses qu'elles s'appuient, sur l'expérience, sur les principes et les conditions nécessaires de la liberté, qui ne peut jamais exister dans un état de stagnation vis-à-vis du gouvernement: il faut qu'elle en soit incessamment protégée s'il est fort, ou qu'elle périsse avec lui s'il est faible.

» Ainsi, tout ce qui ne concourt pas à l'ordre dans un système politique l'altère, et finit par le désorganiser.

» Encore une réflexion, messieurs; c'est la dernière, je la recommande à votre attention.

» Lorsqu'une nation reconnaît un chef suprême, qu'elle fasse révérer sa puissance, qu'elle se garde bien de travailler à le rendre inutile! S'il cessait d'être nécessaire à son bonheur, il deviendrait redoutable à sa liberté.

» Si au contraire le monarque, dans ses augustes fonctions, est environné d'un grand pouvoir pour faire le bien, s'il ne rencontre de barrières que celles qui le séparent du mal, quel prince alors serait tenté de regarder en arrière, de regretter le despotisme, de rappeler sur son trône resplendissant de gloire et de félicité les sombres terreurs de la tyrannie!

» Je conclus, messieurs, par vous proposer les bases fondamentales du pouvoir exécutif dans une monarchie, et je demande que ces articles précèdent ceux du nouveau décret, que je me réserve particulièrement de discuter.» (Suivait le projet.)

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M. Robespierre. (Séance du lundi 22.)

«Avant d'examiner les différens décrets, je dois vous exposer dans quelles circonstances et sous quels auspices ils vous sont présentés. Il y a peu de jours, sur le simple récit des événemens du Quercy, l'Assemblée, par un décret, a ordonné la réunion des troupes soldées et des maréchaussées aux gardes nationales, pour réprimer les désordres. Ce décret a paru insuffisant aux ministres, qui ont demandé dans leur mémoire que le pouvoir exécutif soit autorisé à déployer la terreur des armes. Ce mémoire a été renvoyé au comité, et samedi des membres de cette Assemblée vous ont fait des propositions conformes à celles des ministres. Qu'on me pardonne de n'avoir pu concevoir comment les moyens du despotisme pouvaient assurer la liberté; qu'on me pardonne de demander comment une révolution faite par le peuple peut être protégée par déploiement ministériel de la force des armes. Il faudrait me démontrer que le royaume est à la veille d'une subversion totale: cette démonstration a paru nécessaire à ceux-là mêmes qui se joignent à la demande des ministres, puisqu'ils assurent qu'elle est acquise. Voyons si cela est vrai,

le

» Nous ne connaissons la situation du royaume que par ce qui a été dit par quelques membres sur les troubles du Quercy, et vous avez vu que ces troubles ne consistent qu'en quelques châteaux brûlés. Des châteaux ont le même sort dans l'Agénois. Nous nous rappelons avec plaisir que deux députés qui partagent ces malheurs, deux députés nobles (1), ont préféré à ce vain titre celui de défenseurs du peuple; ils vous ont conjuré de ne pas vous effrayer de ces événemens, et ils ont présenté les principes que je développe aujourd'hui. Il y a encore quelques voies de fait en Auvergne et quelquesunes en Bretagne. Il est notoire que les Bretons ont calmé des émotions plus violentes; il est notoire que, dans cette province, ces accidens ne sont tombés que sur ces magistrats qui ont refusé la justice au peuple, qui ont été rebelles à vos

(1) MM. d'Aiguillon et Charles de Lameth.

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